L’Autre moi dans la série Introspection
Je marche
Elle marche
Elle marche à mes côtés
Je ne veux pas la regarder
Je ne peux pas la regarder
Miroir
Le problème est le miroir
Devant le miroir
Le double apparaît
Le regard
Effroi Mon regard s’est vidé de moi
Le miroir me donne à voir
MOI
Avec à l’intérieur de moi
UNE AUTRE…
C’est là dans ce regard symétrique
Que je rencontre l’étrangère
L’échange aggrave l’effet l’altérité
Ce que j’y lis me bouleverse
Une part enfuie de moi, perdue ?
Je la toise, l’Autre, je me fais forte
Je suis dans un espace-temps étrange
ENTRE ELLE ET MOI
Elle étant moi quand même…
Je suis vacillante sur une route improbable
Entre deux mondes, un ancien, un nouveau
Et dans cet entre-deux je voudrais remonter mon temps
Je cherche la machine miraculeuse
…En vain
Peur du regard de l’étrangère dans le miroir
La peur aggrave le désarroi
Et mon corps oscille voulant choisir sa tête…
Vertige. Combat muet
JE SUIS VIVANTE
je suis vivante
Et ces aveugles autour de moi
Ne comprennent pas
Ne voient pas
Ne savent pas
Ne sentent pas
S’aperçoivent de rien
Vivent autre réalité
Je marche à leur côté
Mais un indicible nous sépare
Avec la discrétion de l’indicible
La ténuité de l’indicible
Le POIDS de l’indicible
JE SUIS VIVANTE
je suis vivante
Pensées flottantes
Toute une vie à chercher le feu
Devenir feu
Mais ne brûle pas tout bois
Mais ne danse pas dans les flammes tout corps
La tiédeur me répugne
Comme la faculté d’oubli
Ne rien perdre
Ne rien oublier
Horreur des portes fermées telle une chatte
Or vous fermez vos portes
Vous déclarez « tout passe »
Vous cultivez l’oubli
Mais rien ne passe jamais
Je ne veux dissoudre ni mes douleurs ni mes joies
Ce que j’ai vécu est à son poste
Quelque part en mon cerveau dans une somnolence légère
Un rien le ranime et le transmet à mon cœur, à mon ventre
Et ma poitrine exulte ou s’écrase à ces souvenirs
JE SUIS VIVANTE
je suis vivante
Un être vivant devrait se laisser traverser par ses émotions
Et non les tenir à l’écart
Pas de pilule à effacer les ressentis
Ne savent plus supporter leur vie
Appellent la chimie à leur secours
Ainsi sont morts avant la mort
JE SUIS VIVANTE
je suis vivante
Pourvu que celle du miroir
Aux yeux d’absence
Ne fasse pas de moi une résignée
J’accepte la souffrance en la frottant au combat
je suis vivante
je suis vivante
Je suis celle qui marche
Qui arpente les rues
Mais l’autre m’accompagne
Elle m’épouvante
Je suis celle qui marche
Qui arpente les rues
Je suis celle qui court
Pour perdre l’autre moi
Narki Nal Avril 2019
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Ma vieille douleur dans la série Le tourbillon de la vie
La vieille douleur
La douleur fondamentale
Toujours la même peine
Celle qui est tapie
Enfouie mais tremblante de resurgir
De sombres fondations
Nous surprenant par sa vigueur
Alors même qu’oubliée juste avant
La vieille douleur dis-je
Ce n’est pas que je l’aime
Mais qui serais-je de l’effacer
Sinon une autre que moi
Peut-être une mère t’a manqué
Mais une fille a manqué à sa mère
La vie s’est écoulée sans elle
On prend l’habitude
Mais regardant le passé on s’étonne
On l’aurait voulu autre la vie
Et la vieille douleur s’allume
Et on la regarde cette lueur
Que l’on ne peut éteindre jamais
Un amour absolu a manqué
Jamais nous n’y aurons goûté
Et privé.e.s de ce goût
Sans vraie conscience de ce qui nous meut
Nous le cherchons pourtant jusqu’à la mort
Éperonné.e.s par une sorte de sourd mal-être
Qui n’est que ce qui émerge de cette vieille douleur d’exister
La faille ontologique
MA vieille douleur
Narki Nal Oct 2017
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Animalité dans la série Les animaux, la nature et moi
L’animal en soi sommeille
On le dit
Mais l’animal en moi est éveillé
Je vibre aux odeurs de terre mouillée
Je hume la mer d’aussi loin que le chien hume sa pâtée
Nulle fleur odorante ne passe inaperçue
Ma peau est sensible aux alizés
J’entends la petite vie qui grouille, sable ou gravier
Humus, lichen, pourriture organique
Je vois la douceur tendre du vert des jeunes pousses
Les feuillages éclaboussent ma rétine
Les pétales blancs ou pastel y impriment leur pointillisme
Toute bête qui croise mon chemin me rend l’extase des lointains jours d’avant
D’avant que ne se séparent femmes et femelles
Je froisse entre mes doigts leur pelage doux ou rude ou leurs merveilleuses plumes
La nature dont je suis est l’indicible bonheur où puisent mes racines
Et la puissante attraction des corps est mon vertige d’amour
L’amour, le vrai, celui qui sent la chair comme un capiteux parfum
Celui qui ne craint pas les humeurs liquides et odorantes
Celui qui au contraire peut s’y vautrer sauvagement
Celui qui a connu la force indescriptible et chavirante du désir décliné en ses multiples formes dont celle de l’enfant à naître de celui qu’on aime du fond de ses entrailles
Mais qui est l’animal en moi sinon moi
Mais qu’est-ce une femme ?
Narki Nal 28 avril 2017
"Quand l’homme reconnaîtra de nouveau sa nature animale au plein sens du terme, il pourra créer une culture authentique."
Wilhelm Reich
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Mycélium dans la série Introspection
Je suis celle qu’on quitte, celle qui se noie
Je suis Ophélie au fil de l’eau
Vous êtes sur les berges endormies de brume
Où les hautes herbes traversées de vent
ondulent leur caresse
Je passe, je vous vois, vous êtes mon passé
Mon passé qui me regarde sans me voir
Mon passé qui défile comme je vais au fil de l’eau
Je suis celle qu’on quitte, celle qui se noie.
Je suis celle qui se révolte, je suis celle qui tue
L’envie de le toucher qui monte puis vole en éclats
Le baiser qui s’approche et qui devient morsure
Ce désir inconstant comme les herbes aux saisons
Cette brûlure qui se glace. Lumière blanche.
Lumière diffractée. Fraction du temps. Lame miroir
Éblouissement bref de la rétine. Vois ma vie. Bobine dévidée. Poitrine évidée. Sanglot du sang qui afflue… Pour rien.
Je suis celle qui se révolte, je suis celle qui tue.
Je suis celle qui part sans partir, celle qui reste-fuit
Écrire est une nuit. Mes pas dans cette nuit profonde.
Vertige.Tige de feu.Pensée morbide.Taire. Se taire.
Mycélium de pourriture répandu en soi, en silence.
Lancinant ce bruit sans bruit. Bouffée-désir de l’explosion.
Ma tête qui explose. Éclaboussures d’os brisés.
Mais où est le cerveau ? Dissous.
Violence du refus muet. Dernier voyage.
Le mycélium de pourriture gagne. Cerveau dix sous. Cerveau rien.
Je suis celle qui part sans partir, celle qui reste-fuit
Je ne suis plus qu’une enveloppe.
NC/Narki Nal avril 2014
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L’obstination des rêves dans la série Les rêves rêvent
Le rêve exauce le désir.
Les désirs enfouis renaissent et, ainsi, au gré de mon inconscient réapparaissent.
Parfois le plaisir est si grand d’enfin toucher au but
Que je refuse le réveil
Je flotte et pilote mon rêve
Je m’accroche à ce voyage et m’approche enfin du port,
Du fantasme.
Mais quelque chose se détraque
Le vaisseau tangue, je bascule et glisse hors du rêve.
Déçue, amère de ce retour honni.
Ô, me rendormir !
Et rendormir je ne peux me.
Mais le rêve exauce le désir
Le désir obstiné à renaître.
Une autre fois…
Une autre nuit…
Un autre rêve… ou le même
Obstiné à renaître.
NC/Narki Nal avril 2014
NARKI NAL
Elle se présente :
Nicole Cardinali alias Narki Nal
Comme beaucoup, j’ai eu plusieurs vies : enseignante mais scientifique, éditorialiste polémiste dans des journaux associatifs, comédienne puis metteuse en scène … Une constante, l’écriture, qu'elle soit pédagogique, politique, sur mon travail de mise en scène ou depuis très longtemps poétique. Des poèmes tristes ou violents, souvent tragiques, mais je suis une femme qui aime rire !
« En vrai » je suis née deux fois. La deuxième lors de ma participation au Collectif des Diables Bleus dans les années 2000, pendant l’occupation des casernes abandonnées des Chasseurs alpins à Nice. Ma vie y a pris un autre cours dans ce lieu agriculturel de poésie réalisée, d’expositions sans musée, de rencontres et d’échanges, de concerts et spectacles où il n’apparaissait pas étrange de s’occuper de jardins partagés, de distribution de paniers de légumes de producteurs du coin et de monter une pièce de théâtre tout en participant à la cuisine collective, de dire des textes lors de soirées appelées Mardis bleus… Ce lieu n’est plus.
Mais la tradition continue, d’une soirée mensuelle de lecture de textes, ouverte à toutes et à tous, ce que nous appelons « Banquet poétique », dans un lieu modeste mais chaleureux. Banquet de mots et de mets, que j’anime avec mon compagnon et artiste Zacloud, au 29 route de Turin à Nice, lieu nommé « Diables Bleus Le 29 ».