Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - NICOLAS JAEN

Publié par Le Capital des Mots sur 10 Juin 2019, 08:45am

Catégories : #poésie


 

Paula, ma chérie,

Sache que j’ai toujours cette boîte d’allumettes dans ma besace,

Cette boîte allongée comme un petit cercueil,

Là, tout au fond,

Parmi des épluchures d’oranges sanguines,

Des trèfles à trois feuilles arrachés aux caniveaux de la ville,

Et dans cette boîte il y a ton cœur, Paula,

Ton petit cœur de satin noir,

Un peu rêche avec le temps,

Un peu tout abîmé,

Tout cornu de souvenirs à sa pointe extrême

Qui est ton vieux rire, Paula,

Qui est ton vieux rire, Paula, ma chérie.


 

Ton si vieux destin, Paula.

Ton si vieux destin joue à cache-cache de partout,

Et tu dois faire mine de le chercher,

partout.

C’est un enfant qui se dérobe,

Son visage est de lait.

Jamais tu ne pourras le voir si bien

Qu’en toi-même, Paula.

Qu’en toi-même.


 

Deviens qui tu hais, ma tendre amie,

Mon trésor d’amour.

Tu leur feras peur, aux autres.

Ce sera beau.

Beau comme Venise

Lorsqu’on est un masque.


 

Puis deviens celle que tu seras.

Je serai là, moi,

Avec ma besace,

Ma boîte d’allumettes avec ton cœur dedans.


 

Je te le rendrai.


 

Je serai ton peintre.


 

Mes mains seront des oiseaux

Nos œuvres des volières.


 


 


 


 


 


 

Ma barbelée, ne sors plus, ne danse plus :

Ici, on coupe les têtes des fleurs :

Ici, les caresses tombent aussi vite que les baisers.


 

Paula, ma chérie, souviens-t’en :

Tu criais devant l’océan,

Des cailloux dans la bouche,

Comme Démosthène…


 

Je ne veux plus te voir ainsi.

Plus te voir ainsi.


 

Parce que nos mains sont des oiseaux,

Nos œuvres des volières.


 

Pour les sans-race, redis-le chère Paula :

Pour le corps ; pour le sang ; pour les larmes.

Car :

Quand tu ravales une gorgée de larmes

Ta gorge se noue,

Tout ton cœur s’épaissit

D’un mystère que toi seule doit connaître :

Ta foi, Paula.


 

Ta foi pour un lit d’herbes ou de cailloux

Sur lequel tu t’étendras, bien ivre,

Au dernier soir de ta vie :


 

Parce que tes mains étaient des oiseaux,

Tes œuvres des volières,


 

Et moi, misérablement seul avec ta dépouille,

J’irai ouvrir ta poitrine

Pour y prendre ton petit cœur de satin noir,


 

Et moi, moi, misérablement gai, j’irai marcher sur la grève

En pensant tout bas que je n’avais plus d’allumettes,

Et que j’ai jeté la boîte,

Que je l’ai jetée,

Cette boîte allongée pareille à un petit cercueil,

Je froisserai et défroisserai ton cœur entre mes doigts,

Ton petit cœur ensanglanté,

Et une étoile longera la nuit du ciel

Et ton vœu sera le mien,


 

Ma douce, ma tendre, ma très-chère Paula.


 

NICOLAS JAEN 

 

 

Il se présente :

 

Nicolas Jaen est né le 2 février, dans le Sud-est de la France. Derniers textes publiés: Lettres à A., l'Atelier des grames; Bestiaire et La photographie absolue, éd. du frau.

 

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