Paula, ma chérie,
Sache que j’ai toujours cette boîte d’allumettes dans ma besace,
Cette boîte allongée comme un petit cercueil,
Là, tout au fond,
Parmi des épluchures d’oranges sanguines,
Des trèfles à trois feuilles arrachés aux caniveaux de la ville,
Et dans cette boîte il y a ton cœur, Paula,
Ton petit cœur de satin noir,
Un peu rêche avec le temps,
Un peu tout abîmé,
Tout cornu de souvenirs à sa pointe extrême
Qui est ton vieux rire, Paula,
Qui est ton vieux rire, Paula, ma chérie.
Ton si vieux destin, Paula.
Ton si vieux destin joue à cache-cache de partout,
Et tu dois faire mine de le chercher,
partout.
C’est un enfant qui se dérobe,
Son visage est de lait.
Jamais tu ne pourras le voir si bien
Qu’en toi-même, Paula.
Qu’en toi-même.
Deviens qui tu hais, ma tendre amie,
Mon trésor d’amour.
Tu leur feras peur, aux autres.
Ce sera beau.
Beau comme Venise
Lorsqu’on est un masque.
Puis deviens celle que tu seras.
Je serai là, moi,
Avec ma besace,
Ma boîte d’allumettes avec ton cœur dedans.
Je te le rendrai.
Je serai ton peintre.
Mes mains seront des oiseaux
Nos œuvres des volières.
Ma barbelée, ne sors plus, ne danse plus :
Ici, on coupe les têtes des fleurs :
Ici, les caresses tombent aussi vite que les baisers.
Paula, ma chérie, souviens-t’en :
Tu criais devant l’océan,
Des cailloux dans la bouche,
Comme Démosthène…
Je ne veux plus te voir ainsi.
Plus te voir ainsi.
Parce que nos mains sont des oiseaux,
Nos œuvres des volières.
Pour les sans-race, redis-le chère Paula :
Pour le corps ; pour le sang ; pour les larmes.
Car :
Quand tu ravales une gorgée de larmes
Ta gorge se noue,
Tout ton cœur s’épaissit
D’un mystère que toi seule doit connaître :
Ta foi, Paula.
Ta foi pour un lit d’herbes ou de cailloux
Sur lequel tu t’étendras, bien ivre,
Au dernier soir de ta vie :
Parce que tes mains étaient des oiseaux,
Tes œuvres des volières,
Et moi, misérablement seul avec ta dépouille,
J’irai ouvrir ta poitrine
Pour y prendre ton petit cœur de satin noir,
Et moi, moi, misérablement gai, j’irai marcher sur la grève
En pensant tout bas que je n’avais plus d’allumettes,
Et que j’ai jeté la boîte,
Que je l’ai jetée,
Cette boîte allongée pareille à un petit cercueil,
Je froisserai et défroisserai ton cœur entre mes doigts,
Ton petit cœur ensanglanté,
Et une étoile longera la nuit du ciel
Et ton vœu sera le mien,
Ma douce, ma tendre, ma très-chère Paula.
NICOLAS JAEN
Il se présente :
Nicolas Jaen est né le 2 février, dans le Sud-est de la France. Derniers textes publiés: Lettres à A., l'Atelier des grames; Bestiaire et La photographie absolue, éd. du frau.