J'ai rencontré l'enfant que je fus
Pour toi, Paula, j'ai rencontré l'enfant que je fus.
Il marchait devant lui, surnuméraire.
Ses gestes étaient de porcelaine.
Son cœur était pareil à ceux des poitrinaires,
un peu venteux, un peu écrasé dans sa cage,
mais il avait un pantalon vert
qui tombait parfaitement sur des souliers vernis.
Son sourire c'était sa cicatrice.
Il ne montrait jamais ses dents,
jamais ses dents.
Plus taiseux que le silence,
il méditait tout bas
en parcourant la lande des réprouvés.
Ses yeux avaient de pâles lueurs abandonniques.
Il ne jouait plus aux billes,
ni au gendarme, ni au voleur.
Il ne jouait plus à rien.
J'ai mis une main sur son épaule,
il s'est retourné
et m'a fixé de tous ses yeux.
Aussi, je lui ai parlé de toi, ma Paula.
Il a eu comme une absence,
et il est revenu à lui :
« Vous êtes un bavard. Vous vouvoyez le silence. »
m'a-t-il dit soudain.
Puis il est parti.
J'y pense encore maintenant.
J'y pense encore maintenant.
***
J'entends la nuit venir, ma Paula.
J'entends le silence s'épaissir.
Aussi je le sais : il est temps.
Temps que tu prennes la petite fille que tu as été dans tes bras.
Je la vois tout entière dans son demi-sourire.
Vas-y, avant que les fleurs quittent sa robe.
Va lui dire les mots de toi, les tiens,
elle sera tout amour.
Moi, je vais dormir très longtemps,
peut-être à en mourir :
l'enfant que j'étais ne se soucie pas de moi.
Il est de la trempe des étoiles
qui vous regardent de haut.
Il a son double sur l'étang
où les chevaux vont boire.
Je ne sais s'il est mort
et s'il m'éclaire de là-haut
ou bien s'il resplendit de vie
et qu'il guide mes pensées les plus intimes.
C'est un peu de moi qui meurt,
garçon sombre mon poème,
garçon aux yeux noirs, tu me survivras.
NICOLAS JAEN
Il se présente :
Nicolas Jaen est né le 2 février, dans le Sud-est de la France. Derniers textes publiés: Lettres à A., l'Atelier des grames; Bestiaire et La photographie absolue, éd. du frau.