À l’heure incertaine
(4 tankas liés)
À l’heure incertaine
les chiens s’apparentent aux loups
en morsures nerveuses
au crépuscule alourdi
des rêves de liberté
À l’heure incertaine
les chats sont pareils aux tigres
ronronnant d’aigreur
par l’aube d’un matin gris
où tout espoir est permis
À l’heure incertaine
la génisse veut être buffle
secouant son joug
en dépit de l’air torride
d’après-midi de torpeur
À l’heure certaine
les singes se muent en hommes
riant du passé
laissant la jungle rasée
aux ombres de la joie
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Braises au cœur du sanctuaire
(5 pantouns liés)
Braises au cœur du sanctuaire,
la pluie étouffe les flammes.
Fleurs de lotus en lisière
fanent les raideurs de l’âme.
La pluie délaye les drames
comme un chœur d’anges insomniaques.
Souvenirs pointant leur lame
de fins rasoirs démoniaques.
En chœur d’anges acariâtres,
le cristal d’un rire peut tuer.
Sentiments opiniâtres
fusent sous l’encre amidonnée.
Le cristal d’un rire peut muer
l’anthracite en vagues couleurs.
Ratures rageuses et tourmentées
masquent de turquoises frayeurs.
Plébiscites de vagues rumeurs
brisent les cercles invisibles.
Jeux syncopés et sans ardeur
mènent à des affres indicibles.
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Pavane dans le Jardin du Peuple
Haïbun, été 201X
Près du Danube,
que seule la musique voit bleu,
îlots du passé.
Venant de Michaeler-platz, par la chaleur terrassé, troquer l’ocre des façades et le granit des pavés pour l’émeraude des pelouses.
Ciel de canicule,
sans gris nuages pommelés
cyprès sans ombres.
Volksgarten – Jardin du Peuple – de noires grilles enserré. Même longtemps après les sanglantes foudres des révolutions, le monde des humbles cède volontiers sa place aux pâles fantômes des rois.
Doux jardins viennois,
modelés à la française,
verts buissons guindés.
À la recherche d’un banc qui rende invisible aux heures du jour torride. Il faut disputer l’illusoire fraîcheur aux oiseaux qui ont déserté vasques et bassins. Insolents corbeaux hérissant leur dos cendré et pigeons hâbleurs, fiers du miroitement irisé de leur col.
De craie et d’ivoire
les fontaines distillent le temps
de vieux bronze et d’eau.
Dans la touffeur d’un air gorgé d’immobilité, stagnent les voluptueuses senteurs traîtresses et trop capiteuses d’inflorescences domestiquées de feu, d’or et de sang.
Chromatiquement,
dix mille roses trompent leur nom
de cent mille couleurs.
YANN QUERO
Il se présente :
Yann Quero est un écrivain, essayiste et poète français. Passionné par les mythologies et l’histoire, il a publié sept romans ainsi que de nombreux textes de fiction, ou sur les littératures de l’imaginaire, parus dans des journaux ou revues tels que Libération, Solaris, Lunatique, Etherval, Galaxies, Géante Rouge, Les Vagabonds du Rêve... Il a aussi coordonné six anthologies de nouvelles et plusieurs numéros de revues sur de grands sujets de société, et est l’auteur de poèmes souvent inspirés des formes orientales, dont certains ont été traduits en anglais, en malais et en roumain.