Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS n°3- Janvier 2008- Paul Badin- Joël-Claude Meffre

Publié par LE CAPITAL DES MOTS ( revue de poésie) sur 26 Décembre 2007, 00:00am

Catégories : #poèmes

L’Angle et le Zénith
 
 
L’esprit souffle au bout des doigts.
                  (Henri Bergson)
 
      pour Joël-Claude Meffre.
 
 
 
Lettres reliées
 
On était parvenus, avec Suzon et Paul, au lieu de la chapelle, ayant gravi les escaliers parmi les chênes verts, les yeux tournés vers une sorte de trouée de lumière tout en haut, là où sont les rideaux d’arbres serrés. Et puis le vaisseau de pierres ocrées nous est apparu, parmi les murets de calcaires.
 
Chaque fois que je vais sur ces lieux, en montant les escaliers, je me répète l’affirmation de Tolstoï : « Dieu est mon désir ». Je vais vers mon désir, sans doute, mais je ne sais quel il est, tant il paraît multiforme ; celui de Dieu retourné sur lui-même, peut-être, domine, retourné alors comme un gant, face au monde, Présence à chaque instant réactualisée. Le désir que le jour vienne et que les escaliers ne cessent de monter vers un vaisseau qui vogue, voilà aussi un autre rêve que je fais en ce lieu, à la chapelle du Saint-Sépulcre, édifiée à l’âge cistercien, ancrée au versant de la colline, hameau des Valettes.
 
Avec Paul et Suzon, je vois les murs de moellons imprégnés de lettres alphabétiques sur la façade, qui sont disséminées comme des graines, qui furent destinées à la consécration du vaisseau. L’une d’entre elles forme le nom d’UGO, le tâcheron, le constructeur itinérant. Mais on découvre ensemble ce que je n’avais su voir avant : les quatre murs formant la nef et celui du chevet ont un bandeau de lettres disposées dans l’ordre à hauteur d’homme (du A au C sur la façade sud, du E à K sur le dos du chevet à l’est, du I à S sur la façade nord, et les lettres « dures » S, T, U, V, X, Y, Z, à l’ouest). C’est la chapelle aux lettres. On a découvert ensemble ce que d’autres savaient avant nous. Cette découverte, désormais, est notre bien, notre trophée.
L’abécédaire du Saint Sépulcre n’engendre rien que ses propres lettres, répétées trois fois, scellées dans les lits des moellons, à portée des yeux, avec l’alpha près de la porte qui sourit à l’oméga sur l’autre piédroit. Ce sont des lettres d’espoir peut-être, sans doute, des lettres, comme matrice de toute écriture, qui attendent ici. On en déroulera tant et tant, formant tant de mots qui courent toujours à leur perte et qui renaissent du sépulcre humain, à chaque fois.
 
Je me suis dit que les murs n’ont pas d’oreilles ici ; mais ils portent le sens de ce qu’elles sont, placées lit sur lit ; elles nous attendaient, il est vrai ; et le fruit de cette expérience commune inoubliable indique qu’il revient seul à Paul Badin d’écrire maintenant avec les lettres un long ruban de mots désirés.
   
 
Joël Claude Meffre
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
         A
 
Écrire à l’angle
des rencontres
dans la flèche
l’errance
la dilution
d’une traversée
fasciné d’absolu
d’aube
de pestilence
attiré par le sang
des tendresses
des héroïsmes
des abîmes
forgé dans l’argile commun
la honte
l’orgueil…
Sous les humeurs de l’âme
aucun tuteur
qui permette de croître
uniformément droit
 
 
         B
 
Les mots s’engouffrent
dans l’entonnoir
avide et qui se creuse
dedans nos manques
- tropisme oblige –
entre l’angle de visée
- combat de la bête contre le bien –
et l’angle de pulsion
- qu’il soit base ou balise –
La beauté
- fragile braise -
naît du choix du lieu
d’où l’on tire ses angles
écho et blason 
de quelle scène primordiale ?
Le percevoir
n’élimine pas
la diffraction de la vie
l’assume
en meilleure plénitude
 
 
 
 
 
 
 
 
         C
 
Ce carnet d’abbaye
façonné à Sénanque
huit par douze centimètres
prévient tout envol
vers les certitudes
- entre nous chancelantes –
oriente la conscience
vers des fragments
à reconstituer
- notre chasse quotidienne -
Encore n’a-t-on pas
vraiment à se plaindre
en ce continent
à relents de moisissure :
tant de création
accumulée
d’humanisme
bousculé
loin des cris
du carnage actualisé
 
 
         D Q W
 
Le destin a frappé
coups de déclin
nouveaux défis
désastres et délices
chacun s’arroge
le doigt de Dieu
QW doublons
qu’abandonnent les clercs
etDles petites mains
n’honorent pas l’alphabet de taille
de la chapelle quiète
du Saint-Sépulcre
Quête toujours inaccomplie
de la couple grecque
αlpha et Ωmega
ouvrent l’expansion infinie
Si Gutenberg connut leur foi
fragiles la lettre et l’esprit
malgré les milliards dewatts
de la conscience en création
 
 
 
 
 
 
 
         E
 
Impassible le fleuve
en ses eaux visiteuses
ignorant l’encre vénéneuse
tendre l’épaule des feuillages
et frémissements de lumière
quand l’enjeu des rafales
- au loin tapies -
n’est qu’énigme
C’est l’atmosphère toute entière
qui se charge
à mouiller une à une
les salves d’espoir
l’érosion du mystère
démultiplie l’ennui
l’hydre des pouvoirs
perd le sens d’équilibre
l’esprit de l’oued
adopte l’intermittence
oublieux des leçons
de l’échec quotidien
 
 
 
         F
 
On y respire encore
à sa convenance
tellement mieux
que dans cette matrice Afrique
au sud
qui se meurt de futur
l’infini
s’y est définitivement brouillé
sur les grandes pistes
de la faim
Aucune foi comme antidote
au fléau d’indifférence
inoculé en pleine force de l’âge
aux foules de jouissance
par les marchands du temple
les pensées sont obèses
les frères ponctionnés
ou piétinés
des fumées s’accumulent
sur quelle foudre qui couve ?
 
 
 
 
 
 
         G
 
Vociférer contre ces salissures ?
elles pavent nos rues
ponctuent nos gestes
depuis toujours
et guerres plus que jamais 
Porter le glaive ?
mais qui croit encore
aux croisés
de notre côté ?
Résister ? oui
attitude en soi grave
devenue aussi délibérément
unique
que la pensée du même nom
qu’elle pourfend pourtant
 - avenir à ce point gâchis
qu’on en est réduits à
ne plus le désirer -
Les germes sont-ils à ce point pourris
que toute grâce s’étouffe ?
 
 
 
         H
 
Oiseaux toujours
aux avant-garde du jour
que nous chantez-vous 
qui désaccorde
à chaque heure un peu plus
la grande honte en nous
ne résout rien 
de ce qui nous revient
d’honneur à dresser
aux tables hospitalières ?
L’horizon filtre ses chances
à la lumière aux ombres
- le temps du grand jugement
non encore advenu –
pèse les éveils les haines
la moindre herbe recommencée
Point de hasard
on le sait maintenant
dans la mécanique des climats
homme qui trop lâche les rênes
 
(extrait)
 
 
PAUL BADIN
 
 
 
l'auteur
 
   né en 1943 en Anjou où il réside, professeur de lettres, ex-coordonnateur lecture-écriture à la Mission d’Action Culturelle du Rectorat de Nantes, ex-président-fondateur du Chant des mots (saison poétique et littéraire d'Angers) et directeur de publication de sa revue de poésie, N4728.
   1970, découverte - capitale - de la poésie de René Char, premiers poèmes et rencontres aux Busclats (L'Isle sur la Sorgue) de 1978 à 1988…
 
ouvrages
 
chez l’auteur : 18 recueils publiés entre 1979 et 1992
 
chez les éditeurs 
-Les plis du temps, Ed. Caractères, 1995
-Clair de Chine, Ed. Soc et Foc, 1996, traduction, calligraphie, peinture : Yan Wenli et Cheng Jing Ping
-Krama, Ed. Pays d'herbes, 1996 (Cambodge),bois gravé, couleur : Liselotte Voellmy
-Pureaux, Ed. Cahiers bleus, 1998
-Ricercar, Ed. L'Amourier, 2000
-Onze d'été, Ed. Tarabuste, Triages n°13, 2001
-La Loire en barque ce matin, Ed. José Saudubois, 2002, photographies noir et blanc : José Saudubois
-Loire, Ed. Tarabuste, 2005, peinture : Martin Miguel
-Rives Sud, Le chat qui tousse, gravure Gérard Houver
-Chantier mobile/Bewegliche Baustelle, Verlag Im Wald/ Editions en forêt, 2006, gravures Gérard Houver
-Jardin secret, L’Aile Editions, 2007, gravures couleur et noir et blanc : Gérard Houver.
 
l’auteur est traduit en allemand et en chinois
 
diverses publications en revues
 
 
 
 
 
 
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