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LES BARRICADES
Avril 2008
ROMANCE SENTIMENTALE
Je pense à toi
quand une femme du hameau
sillonne les sentiers
savoure le paysage
va recueillir le miel
des ruches alignées
sous un soleil de Sahara
et revient bardée
de piqûres et d'hématomes.
Je pense à toi
quand le train
qui relie le petit village de Croix
à la grande ville d'Agada
étouffe les piaillements
de quelques poules
égarées malencontreusement
sur les voies.
Je pense à toi
quand l'école du village
accueille une fois par an
des touristes échevelés,
venus admirer tes poteries
et tes ouvrages en raphia
qui me font rêver
de tes robes colorées
trop larges
sans style
et sans boutons assortis.
Je pense à toi, enfin,
quand les eaux en crue
débordent les berges du torrent
et que des lapins s'y noient
car, comme toi,
ils ne savent pas nager.
A CELUI QUI VA MOURIR
A celui qui va mourir,
âgé de quatre vingt dix huit ans...
le jeune neveu
fraîchement arrivé d'Anatolie
prodigue des encouragements
en dialecte sibyllin.
Bonne chance !
Bonne route !
Bon courage !
Le vieillard
quelque peu désorienté
par ces propos
et par la prise d'herbes
décongestionnantes,
rêve de chasse au lapin sauvage
de repas avec des vins
parfumés de cardamome,
de jolies filles
voilées de tulle rose et bleu
lui massant le dos et les reins
avec délicatesse.
Un ultime soupir
délie tous ces rêves extatiques,
affole le neveu
qui n'a pas vu son oncle
depuis dix ans !
Il finit par dire
d'une voix forte
et sans hésitations :
« bon rétablissement ! »
UN BRESILIEN A PARIS
Le danger des protestations
d'un Brésilien à Paris
entame l'autorité
du préfet de région
qui prépare alors, en secret,
des camisoles invisibles
pour arrêter le Brésilien
le plus discrètement possible.
Le faire passer pour fou
et l'interner
dans un système de Santé
au bout du fil !
Parti jouer au bowling
avec des amis Scandinaves,
le Brésilien se dilue
dans une foule sans trafic
qui, à la veille des vacances de Pâques,
a parrainé un petit Indien.
Les agents du préfet,
sans lunettes
et sans intelligence,
ont capturé le petit Indien
avec les camisoles invisibles...
le prenant pour le Brésilien !
Chutes de neige à Pâques !
Les distributions de médailles
n'auront pas lieu.
Le Nouvel Ordre du Conseil Préfectoral
devra faire des excuses
au gouvernement Indien,
tandis que le Brésilien
qui a filé à Monaco
s'interroge encore
sur le prix du café
en France
et sur la beauté
des femmes aux cheveux blonds.
BATEAUX ROUGES
Révolution des usagers
du téléphone.
Vingt bateaux rouges
voguent allègrement
sur une toile bleue.
Exposition-rébellion
au Centre du Lotus Blanc.
Couleur du vide.
Vingt bateaux rouges
alignés par deux
sans but, ni destination.
Jour d'inauguration.
Silence de mort
à l'envolée de l'oeuvre d'art.
Malaise palpable,
visages blêmes.
Couleur du vide.
Silence de l'eau
au port du canal.
Splendeur du vide.
Soudain, un révolutionnaire
se met à crier :
« on a perdu les papiers ! »
Les papiers de poésie pure
sur lesquels devaient voguer
les bateaux.
« Bienvenue dans notre monde ! »
a riposté le maire
avant de s'élancer
dans le discours-fleuve
qui faillit l'emporter
vers d'autres rives.
Heureusement,
la corne de brume
sonna.
Les bateaux commencèrent
à glisser
sur les papiers de poésie.
Les bateaux rouges,
toujours rouges.
Alignés par deux,
sans but, ni destination.
ISABELLE JULLIAN
Isabelle Jullian est née en 1954. Elle a publié dans la revue « Florilège ». Elle est membre de l’association « La voix des mots » animée par Yves-Jacques Bouin. Elle a été la principale collaboratrice du Rédacteur en chef, le poète Jurassien:Nicolas Sylvain , de la revue Franco-Roumaine « Florica » entre 1988 et 1991.
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