entendre le bruit sourdre des mots
francis coulaud
il y a cet aspect des choses qui se révèle parfois ; indéfinissable état où les objets et les êtres semblent se figer sur eux-mêmes, carapacés d’immobiles apparences, d’invariables fonctions, pour entamer à l’intérieur de cette armure d’imperceptibles mutations, des variations sur leur base
ces frémissements internes échappent à toute calcification ; floraisons discrètes épanouies hors de la pétrification dont elles émanent
il y a cette voix qui parle perpétuellement, incarnée dans différents supports : le cri d’un chien ou un aria magnifique
il y a cette voix qui parle perpétuellement et qui demande perpétuellement à être traduite
une voix incompréhensible, qui parle
il n’y a pas qu’une seule façon de la traduire : ce peut être le cri d’un chien ou un aria magnifique
la voix ne dit qu’une seule chose perpétuellement
il y a le corps, citadelle imaginée
il y a les objets, l’empire des choses
il y a le corps, désert où naissent les discours
il y a une fermeture
un signe qui marque une fermeture
une porte fermée
ce peut-être aussi un éboulis de roches devant une cavité ; de la terre qui recouvre un trou
ou encore un voile, une peau qui s’est formée, qui obture un orifice
il y a un endroit où rester près de_devant cette fermeture.
un endroit plane, nettoyé , privé d’aspérités
être soudain dans cet endroit, plaqué contre cet endroit plane, nettoyé, près de/devant la fermeture
près de_devant la fermeture se ressent l’évidement soudain (soudain l’enveloppe n’est plus remplie par ce qu’elle contenait)
le corps soudain est vide
se ressentent aussi soudainement le frôlement des paupières contre la cornée, l’espace entre la langue et le palais,
tous les creux du corps
s’imagine une main, plaquée contre le périnée, qui soutient le corps, le dresse vers le haut
une autre main est posée sur la boîte du crâne
près de_devant la fermeture se ressent la soif, une béance du temps comme peut en provoquer la soif
être près de_devant la fermeture ce n’est pas attendre que soudain la porte s’ouvre, que l’éboulis s’effondre
ce n’est pas attendre que la peau, le voile qui obture l’orifice se déchire
près de_devant la fermeture, il n’y a pas d’attente
près de_devant la porte fermée il n’y pas plus d’espoir que d’attente.
c’est un état d’étude
dans cet état d’étude, de façon plus ou moins ordonnée, il y a éveil, présence
il y a porosité à tout ce qui a fait le corps, à tout ce qui l’a contraint ou épanoui jusqu’alors
dans l’état se côtoient l’évidement conséquent à la soif et la satiété d’être rempli de cet endroit plane, nettoyé
la réminiscence de minuscules détails
l’oubli des hiérarchies
le trou de la bouche descend jusqu’au cœur, le corps entier est traversé d’un trou
un tube_trou au parois lisses et froides, d’un diamètre régulier
par le tube_trou respire avidement l’instinct de rester plaqué contre cet endroit plane, nettoyé, béant
près de_devant la fermeture
il y a une trace, un creux, un sillon, une fente fossile laissé dans l’espace et le temps par quelque chose qui s’est passé ici ; une séquence d’évènements passée dont l’aboutissement, la terminaison a été la matérialisation de toutes sortes d’objets animés ou inanimés, répartis en groupes, fonctionnant en réseau ; chaque groupe étant tour à tour investi de la fonction de dominant sur les autres groupes; jeu des dominations possiblement cyclique, générant des règnes hétéroclites, cohérents ou contradictoires avec les précédents ; le dernier en date ayant vu l’avènement d’une matière_objet immatérielle qui accomplit en simultané le geste de rétro-nommer, de nommer et d’anti-nommer tous les autres objets, groupes d’objets qui l’entourent, qui la composent, qu’ils soient visibles ou invisibles, à sa portée ou non ; ce triple geste ayant pour conséquence la rétrogradation de tous les groupes d’objets dans une sous-catégorie au sein de laquelle la matière_objet puise sans cesse pour établir d’autres réseaux de nominations, de classement, de commentaires dans l’espace et le temps; cette entreprise s’étant heurtée pour l’instant à un seul obstacle : la définition, l’explication, la circonvolution de la présence de la trace, du creux, du sillon, de la fente fossile laissé dans l’espace et le temps par quelque chose qui s’est passé ici ; cet échec face au silence n’ayant pas été suffisant pour induire ne serait-ce qu’une brève interruption dans la production des commentaires, des estimations, des regrets, du déni de cet échec
les normes dans sa pensée
la pensée de lui fécondée par les normes, pleine des prolongements, des épanouissements des normes
pensée_norme pleine jouant au jeu des constructions
pensée_norme pleine du jeu d’avoir digéré les règles
règles digérées_dissoutes par la pensée_norme
phénomène d’intégration
dissolution_intégration des règles dans la substance qui scelle les constructions
au sein de l’espace hermétique_scellé le corps se maintient
nourri dans l’espace hermétique scellé des constructions scellées
hermétiquement cerné le corps se maintient dépendant de ce qui scelle les constructions
dépendant, maintenu, le corps s’aligne, le corps se pense aligné
le corps se pense dans les normes
le corps se tient au sein, il se copie
il sécrète cette_une_la pensée de lui aligné, cette_une_la pensée de lui fécondable
processus de copie
absence_élimination de l’erreur dans le processus de copie au sein des constructions
les voir passer
serrés nus sous des morceaux d’étoffe, tissus tenus entre eux par des nœuds invisibles
passer d’un pas uni, cadence du troupeau ; chaque pas dans chaque pas, pour que le troupeau tienne
silence du troupeau quand il passe
mains qui se frôlent, en dessous, dans le troupeau ; mains qui se serrent, se tiennent
au dessus, les yeux sont pour les pieds, ils sont là où l’empreinte empèsera le sol
les yeux au dessus, antétrace du passage, pour que le troupeau tienne
les yeux ne sont pas pour les mains qui se serrent en dessous, les mains qui se tiennent
les yeux au dessus, regard unique, ils forgent l’axe ; les pieds suivent
serrés ils passent parmi ceux là qui sont hors du troupeau, isolés le long du passage
regards isolés sur le troupeau qui passe
regards isolés, mouvants, de ceux là isolés qui scrutent l’agencement, les détails du troupeau
ils voient les mains qui se tiennent en dessous, entre les yeux qui forgent et les pieds qui suivent l’axe
trajectoires des regards isolés le long du passage
elles croisent, coupent, sidèrent l’axe, le regard unique qui tient le troupeau
rassemblement avant la chute
tout au bord
la chute à la ressemblance de
à la ressemblance de la chute de
idée de la chute à la ressemblance de l’idée de la chute de
le trou
le trou face à la chute
le trou vide ouvert face au rassemblement d’avant la chute
corps tendu vers le saut face à l’idée du trou
un trou fait pour la chute
une chute par trou
dans l’idée
voir venir le trou
hériter de la chute
avoir entendu dire
avoir dans l’idée que parfois la chute se mute en ascension
se souvenir au bord du trou
de ce qui a déjà été dit à propos de la chute
au moment de la chute, au moment de laisser les pieds quitter le bord, dans ce moment ici où, sans échelle, le corps s’applique au trou, dans ce moment là, souvent, un nouveau trou s’ouvre face au trou fait pour la chute
la bouche
la bouche face au trou
trou ouvert de la bouche du corps qui va chuter
trou ouvert de la bouche plein du dedans du corps
des idées du dedans
de l’idée de la chute
trou ouvert de la bouche face au vide du trou où le corps doit chuter
dans l’idée
derrière la bouche-trou
le corps au bord du vide
écorce-corps muette figée dans la posture
oreille-monde de l’écorce-corps plaquée contre face au vide
plaquée contre le trou qui parle face au vide
la bouche-trou qui parle au vide
qui annonce la chute
la chute est annoncée au trou vide béant
le trou fait pour la chute
le plein-dedans de l’écorce-corps sort par la bouche-trou
il comble le trou vide du faux bruit de la chute
mais rien ne tombe en vrai
le trou vide comblé
la bouche-trou se vide
sous les pieds de l’écorce le bord se prolonge là où le vide était
écorce-corps
se souvenir du bord
là où le vide était
à l’endroit de la chute
à l’endroit où les pieds n’ont pas quitté le bord le plat bord
brèves séquences
revenant
brèves séquences saoulent et couchent dans la machine
gênent, engrènent, stoppent le corps
sont près de l’aorte, sous la gorge, dans le ventre
griffent, agrippés à l’organe
séquences, reprises, répétitives
reviennent dans le geste non habité
sèchent contre la forme en creux, prennent la forme
du mot, du geste, de ce qui a été dit, agit, de corps à corps, dans le temps du vivant
répètent l’alphabet du vivant, mais à vide
sans le souffle
séquences sèches revenant
apnées
entre deux gestes inhabités
mis en boucle
les mots lèvent le corps
accroupi à debout
quatre_deux appuis sur le sol
les mots tiennent le corps au bassin, aux aisselles, à la nuque
corps des mots tient le corps
corps derrière le corps ; en l’air il le tient
en le_se nommant il_s le_se tien_nent
les mots sont les noms des endroits du corps
ils sont les noms des gestes accomplis
ce qu’accomplit la main est dit par_est dans_est le mot MAIN
les mots sont les noms des envers du corps
ils sont les noms des gestes_gestations
le premier nom est GESTE
tous les gestes ont un nom
le corps levé est une paroi fine trouée entre gestation et accompli
le corps levé est une paroi fine trouée qui gère l’envers et l’endroit
entre deux masses de noms_mots
paroi fine trouée, crevée par les mots_noms
au travers de la paroi ils vont_viennent vers_de l'i nommé
la nuque verticale
bouche ouverte, fixe
menton bas enfoncé vers la nuque
mâchoires disjointes
la lèvre du bas laisse voir la gencive
yeux ouverts, sans regard précis, fixes
dessous se tient le corps debout
quelque chose dedans est cassé
il tient avec au dedans une cassure
la cassure le tient.
ce qui est cassé a formé un appui par où il peut se tenir droit : la pointe d’un os s’est fixé dans la chair, un organe décroché fait contrepoids
de la bouche ouverte_fixe sortent
l’extrême brutalité, violence
le déni, la niaison
l’absolu régressant, la nègue
l’irrésistible retour à la_de la dépendance
l’au-delà du tolérable
le parfait reflet, la copie assainie des abîmes du modèle
la copie privée_bannie d’erreur
l’avènement des cycles pensés en droite
elle_il se regarde
se fait parler face
s’échine à se grimper
copie privée_bannie d’erreur
de la bouche ouverte_fixe s’extraient
les justifications
morceaux du désir maintenu immobile
butées du désir
extrême violence, brutalité
FRANCIS COULAUD
Francis Coulaud/ Né en 1967/ Comédien, auteur
Formation au Conservatoire de Lyon.
De 1990 à 2000, il travaille en tant que comédien avec la compagnie Lhoré Dana, et participe à l’élaboration des différents projets de la compagnie autour de l’écriture contemporaine et de sa diffusion auprès d’un large public.
En 2001, il est l'un des fondateurs du collectif d'artistes Le Larynx. Le collectif s'installe au Théâtre du Merlan à Marseille, et entreprend une recherche pluridisciplinaire (danse, théâtre et création vocale) autour du langage et de ses détours poétiques.
C’est au sein de ce projet qu’il s’engage dans l’écriture, en parallèle à son parcours d'acteur.
Après avoir écrit plusieurs textes courts pour Le Larynx, il écrit BOZ, en 2004, pièce pour laquelle il reçoit une bourse de la DMDTS.
Il est accueilli en octobre 2005 en résidence à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon pour l’écriture d’une nouvelle pièce: Guerres.
Il écrit plusieurs textes pour le collectif le nom commun (Créations sonores a capella -Marseille) et la compagnie la maquina (Danse/théâtre - Var).
En juillet 2006, il reçoit la bourse de découverte du Centre national du Livre pour Les Mots Loups, texte qu’il finalise lors d’une nouvelle résidence à la Chartreuse en décembre 2006.
En 2007, il reçoit pour ce texte une bourse du Centre National du Théâtre.
Depuis 2005, il anime des ateliers d’écriture/lecture au sein de l’hôpital de la Conception, à Marseille, auprès de patients et de soignants des unités de psychiatrie.
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