GÉOMETRIE VARIABLE
Un aéroplane tousse sur le ciel de la Gironde
une virgule, trois points, un arrière plan
qu'elle est généreuse l'atmosphère
aux yeux d'un rameau face à une cascade
pulvérisée
comme le cri de la Pleureuse dans la nuit
les hirondelles
patrouillent les promesses avec leurs sifflements.
Qu'aurais-je vu ?
Déplacer les pierres tombales, la vie photocopiée
de ceux qui jettent du sel sacré pour se tromper
combien de fois faut-il plonger
visiter chaque matin sa tombe
pour comprendre les effets de surface ?
- Prends ton temps, intrépide chasseresse
pose un genou sur les cailloux :
notre prénom annonce, nous représente -
J'ai trouvé l'image sur laquelle dormir :
à la pointe de la jetée
sur le turquoise cru
un homme-poisson aux mâchoires prognathes
m'enseignant à être vigneron
tombé puis endormi en moi
ma langue brûlée, répandue sur le sable :
il corrobore l'étendue de ma cartographie
comme le soulèvement de la mer en furie
trop énorme
pour l’œil des hommes.
Pourquoi ne le croirais-je pas ici
lorsque je le vois ailleurs, conquérant
l'injonction ancestrale du progrès du soleil
dans elliptique ?
Le temps qu'à duré cette image, j'ai aimé.
Les rapides dans la nuit ont cessé leur train
où sommes-nous quand nous sommes en France ?
Perchiste de sable
dans l'Antarctique secrète
crois-tu que je ne suis pas une Idole ?
Essaye-toi, touche-moi
et condamné à une chute libre
tu brûleras
déchiré de tout autre
suspendu aux griffes du fil de fer barbelé :
l'univers pénétrera en toi par la bouche
alors que tes pupilles-océans s'ancreront en moi :
nous chanterons ce clairon du non-lieu
du double
du ciel prisonnier des nuages
ta face coupante comme un rasoir.
Frère, dormeur, chapelet de brûlures
pierre et sel insulaire
je te nomme par ton nom !
Lève tes yeux craquelés, tes lèvres serrées
docile Enfant
je t'embrasse sur le front
à tes pieds suspendus
les guêpes de landes
halètent comme les variations des crocodiles
fragments de miroir qui me renvoient
à la ferveur des genoux devant la statue
de Jacob, d’Énée, de Mauriac
je ne suis qu'une trompette
bouchée, dressée à deux pattes
un dossier hérissé de trombones
aux pliures écornées
je ne suis qu'une mémoire séraphique
Senhora amabilissima
Princesse de bronze désaffectée
faites que l'angelot emporte l'Un à l'Autre !
Tu peux t'en aller maintenant
mais saches que les tigres viennent de nuit, qu'il est
six heures ici, que je suis né d'un galet lancé à l'eau.
Les mots sont faits pour être mâchés
les fresques de Pompéi sont figées dans une éternité
de scaphandre, visible mais inexistante
sur les bords de Garonne j'enfile le gilet
aux milles rames : la couleur est une fiction de lumière
au bout du phare, une huître ouverte - le théâtre de Syracuse -
une épée tranche le corps de la naïade
sa jupe fendue jusqu'aux fontanelles
bascule dans la chute
d'un astre d'ardoise.
Elle craque.
J'imaginais des lyres anciennes
la foi païenne
en fredonnant
la première polyphonie
américaine :
Pérou,1631
***
RÉSONANCE
Il m'appartenait encore
jusqu'à ma bouche cousue
ce poisson
comme un obstacle à la propagande
de l'abysse.
La marée basse
en instrument soliste
quel dialogue peut-elle engager
pour silencer
les ravines ?
Ton absence est ce rideau rouge
entre public et comédiens
douleur d'origine, tombant d'un seul
tenant
l'univers des sangliers broyés plonge
à chaque kilomètre sous le torrent.
À l'intérieur de ta voix navrée
la parole boutonne
invente l'Autre qui par mégarde
coule
sur la mémoire verticale.
Vous ne devinerez jamais le vent du Nord
s'il conduit à la plaie
ou à la tourbe
la tête est un voilier inversé
que le grésil cingle derrière
le souvenir
sur la terre plate
des cailloux percée, d'allumettes mordues
de bicyclettes inclinées
d'anciens épis blessés
par les verdiers.
Résister au bruissement
au croisement des passages
le pied est nomade
improbable.
CARLES DIAZ
Bio :
Carles Diaz (1978), écrivain Franco-chilien, docteur en histoire de l'art, vit et travaille à Bordeaux. Il a publié notamment aux Éditions Abordo « Les déferlantes nocturnes » (2010) et « Le fleuve à l'envers » (2013).