Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - CÉCILE COULON

Publié par ERIC DUBOIS sur 7 Février 2014, 19:49pm

Catégories : #poèmes

 

 

UNE DE PERDUE, DIX DE TROUBLEES

 

les bruits qui courent sont fatigués j'étais une fille sans histoire je n'avais pas de souvenirs ça faisait mal de sourire 

à des caméras braquées sur moi comme un serpent docile je ne sais pas vous parler mais je sais vous

écrire

et comme dirait l'anti héros d'un mauvais film si tu as un tant soit peu de talent ne le libère jamais

gratuitement 

ça fait des semaines que je drague une paire d'yeux d'oreilles de panards qui passe à toute vitesse sans

même que j'ai le temps

de lui montrer mon diplôme de professeur de caresses depuis que je vous connais je passe

mes journées en état d'ivresse

et les flics de la bonne conscience m'arrêtent au carrefour de routes moins goudronnées que mes

poumons pas besoin d'alcotest 

laissez-moi écrire mes lettres d'humour et remplir le tonneau de la tendresse avec les quelques bonnes

adresses que je connais trop bien 

pour y avoir laissé mon manteau la moitié de mon livret A et les restes de pudeur que je gardais sous clé

dans le placard de la salle de bains

il y a des poètes qui ont fait semblant d'être amoureux je ne peux pas imaginer qu'on puisse se donner du chagrin

simplement pour faire croire à des lecteurs que l'auteur a chopé le béguin l'amour c'est comme la

varicelle si tu l'as pas reçu dans ton enfance 

ça va faire des ravages et la fièvre va manger les derniers paysages que ta famille a tenté de te faire

aimer comme on apprivoise un animal sauvage 

si tu savais comme j'ai aimé la france les lacs et les volcans les falaises la pierre noire et les cheveux

emmêlés par le vent sur une plage tous les soirs 

j'imagine que tu vas me donner tout ce qui dort en toi depuis vingt ans je ne suis pas pressée j'attends

devant un grand lit vide mon verre est encore plein 

je vais travailler vite et bien, tu seras obligé de reconnaître que j'ai dû en bouffer des violences pour arriver

jusqu'à toi sans connaître le chemin 

dans mes univers intérieurs c'est une de perdue dix de troublées la passion un jeu de clés que tu as

oublié sur une étagère effondrée à même le parquet

d'une maison mal décorée au bout d'un village abandonné les gens qui s'aiment l'ont déjà déserté si

j'avais pu vous amener là bas vous redonner

le goût du bon vin le courage de ne pas se demander ce qui nous arrivera si nous nous réveillons

ensemble demain matin je n'ai pas de compte à rendre

puisque personne ne m'en a donné sur la carte du tendre l'autoroute n'était pas indiquée je suis malade

en voiture alors je ne peux pas emprunter

des routes c'est trop lourd à porter et puis très salissant j'oublie ce que je donne je me souviens de ce que

je reçois et de toi je ne me rappelle pas 

les sourires tendus devant la porte d'une salle que le crépuscule tentait de traverser à la manière d'un

soldat blessé sur le champ de bataille 

je voudrais que tu viennes au bord de l'étang nous ferions griller des brochets sur des rochers brûlants je

te raconterai les poèmes et les derniers romans 

la barque retournée sur une rive pleine de boue elle ne nous verrait pas emmêler nos existences comme

deux branches cassées s'enlacer en silence 

j'ai besoin d'un bon bain d'une tartine de pain chaud et je voudrais sentir tes bras se serrer contre moi

m'enlever la peur que tu ne sois pas là 

si tu lis ce poème n'oublie pas : ça ne parle pas de nous ça ne parle que de toi

 

 

© Cécile Coulon

 

 

***

 

 

LE COURAGE DE SE TAIRE

 

Il y a des gens qui sont nés avec un peu de foin dans la poitrine des brindilles au fond des yeux

il suffit d'un souffle chaud pour y mettre le feu et chacun cherche sa flamme mais personne ne se brûle et

ton coeur dans l'étable 

est épais et solide comme la peau sombre d'un boeuf qu'un fermier vient nourrir entre deux cafés noirs

renversés sur la table 

si ton corps est un hameau je n'en vois pas les habitants la route principale s'arrondit sur ton flanc chemin de promesse 

que les hommes traversent de temps en temps la courbe de leurs mains fait le tour de ton cul je n'ai pas

peur des erreurs 

mais j'ai le sentiment trop fort de ne pas avoir vécu et ça ne suffira pas de prendre des trains des jambes à

mon cou et des couleurs

j'apprends à trouver le courage de me taire quand je vois des cortèges dans la rue des pancartes et des

slogans vengeurs

j'ai décidé de faire la grève de la retraite comme ça tout le monde est content je n'ai jamais travaillé ce n'est

pas maintenant

que je vais commencer à demander du fric la reconnaissance du milieu et des tickets restau j'ai suivi le

troupeau 

au milieu de la foule c'est encore le meilleur endroit pour qu'on ne fasse pas attention à toi si tu veux être différent 

commence par être tout court et n'en veux pas à tes parents ils n'y sont pour rien si leurs enfants ne sont

pas intelligents

tu me reproches de ne pas faire confiance encore heureux je ne vais pas prendre le risque d'accrocher la méfiance

au porte-manteau des amoureux je ne suis pas de ceux qui attendent sagement dans un coin de leur ville les gémissements 

d'un peuple malheureux j'ai de la chance depuis que je suis née on ne m'a jamais obligée à choisir entre

deux camps

j'avance comme une machine la tendresse en sourdine de toute façon face à un choix cornélien j'ai

tendance à prendre racine

j'ai tellement croisé les doigts quand j'ai promis que mes phalanges ont des noeuds si les murs ont des

oreilles

je suis certaine que ta chambre avait des yeux je me souviens d'un temps j'avais même du mal à garder mes vêtements

j'étais persuadée que ta peau me tiendrait chaud cet hiver mais l'édredon est percé et j'ai besoin de nourrir

ma colère 

avec des films en couleurs un compte à découvertes et des kilomètres de route que la neige a recouvert de

son manteau troué

vos rires m'ont rassurée chez moi la porte est toujours ouverte mais les volets fermés n'accueillent la lumière qu'après six heures

les soirs d'été je n'ai pas envie d'ouvrir des livres de grammaire pour expliquer comment construire un bon poème 

il suffit d'avoir du temps pour s'inventer du chagrin et faire croire à son lecteur qu'on ne sait pas dire je

t'aime.

 


© Cécile Coulon
***

 

S'IL TE PLAIT REVIENS

 

s'il te plaît reviens chez toi reviens chez nous reviens où tu es né 

n'oublie pas la tendresse de tes nourrices la violence des orages les défilés ici les armistices

sont sonnées chaque année s'il te plaît reviens chez toi reviens où je suis née je me souviens

de tout ce que nous avons été de tout ce que nous avons détruit en essayant d'y 'échapper 

n'oublie pas les grandes mains qui t'ont nourri quand tu avais si faim tout l'or du monde n'aurait jamais

suffi

à apaiser nos soifs nos hivers nos chagrins il se tient courbé comme un vieux clou le droit chemin 

nous sommes nés dans la boue dans la neige la rivière nous allaitait tous les matins s'il te plaît 

souviens-toi des tartes au caramel et du petit salé souviens toi du sucre renversé et des tartines de pain

que nous avons partagées à la chaleur des flammes le chien couché devant la cheminée et les assiettes

lavées séchaient contre la vitre le soleil a percé la vaisselle sale un chat a pris la fuite sous l'évier 

s'il te plaît reviens chez toi reviens chez nous reviens où tu es né personne ne t'en voudra il y a le sapin 

à côté de l'étang là nous faisions la sieste en été les enfants prenaient le bain dans le petit bassin 

où nous avons pêché de longs poissons dorés et tu les relâchais à la surface de l'eau admirable geôlier 

ton coeur attrape des coups de soleil et ton crâne des coups de savates je te promets que je n'y suis pour

rien 

si tu n'étais pas bien auprès des tiens s'il te plaît si tu reviens chez toi c'est là où je suis née longtemps

j'ai caressé tes mains j'ai même tenu ta tête entre mes seins et ton manteau troué attendait dans l'entrée

la tombée de la nuit tu partais sans un bruit dans l'ombre du matin les oies dormaient encore il y avait un poulain 

qui t'a tendu la gueule pour demander pardon tu as passé la paume sur la crinière de poils bruns  le petit 

cheval a soupiré et moi aussi aujourd'hui tu bois du mauvais vin tu respires de mauvaises filles dans un lit

sans parfum

s'il te plaît reviens chez toi reviens où tu es né il n'y a pas de quoi pleurer je ne sais pas ce que tu crains 

les parents n'écoutent pas les animaux ont fermé le chemin qui mènent jusque chez moi et la route est goudronnée

s'il te plaît il fait beau ce novembre la lumière a brandi son drapeau l'automne est un cadeau oublié sur la

table de chevet

s'il te plaît reviens chez toi reviens chez nous reviens où tu es né.

 

 

 

 

 

© Cécile Coulon

 

 

 

 

 

 

 

CÉCILE COULON

 

 

 

Notice biblio :

Cécile Coulon est née en 1990. Après des études en hypokhâgne et khâgne à Clermont-Ferrand, elle poursuit des études de Lettres Modernes.

Son premier roman Le voleur de vie et son recueil de nouvelles Sauvages ont paru aux Éditions Revoir. Le Rire du Grand Blessé est son troisième roman paru aux Editions Viviane Hamy, après Méfiez-vous des enfants sages et Le Roi n'a pas sommeil.

 

 

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C
<br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> Vous écrivez par longues périodes qui partent et partent, et que ramène le retour provisoire à la ligne. On dirait des coups d'un fouet aux mèches hectométriques, ça fuse et claque même en<br /> douceur et ça repart, encore après (c'est un signe) la fin de la lecture. Cela me plaît fort et m'intrigue, voilà. Et au revoir.<br />
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B
<br /> wouahh !! que dire d'autre ??? c'est chaud, ça brûle ..<br />
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