NOYER LES POISSONS
( Extraits)
1
Aujourd’hui est un jour comme
Un autre
Il se rend à la Meuse
S’arranger avec ses habitudes
Il ressent alors
Une bouffée d’existence.
Aujourd’hui elle sonne clair
Sent le mégot refroidi
Des soirées hydrophobes
Aujourd’hui il n’a pas
L’intention de laisser bec
Dans l’eau
Mourir le temps
Il se sent si aride
Aujourd’hui il palpite
Des promesses galactiques
Des liqueurs de vérité
Que distillera la Meuse
Aujourd’hui à la Meuse il est héron
Pied de grue
Les alcools glissent dans sa gorge
Comme un banc de poissons
Aujourd’hui comme un autre jour
Il alambique son existence
À descendre comme un fleuve
Au comptoir de la Meuse
2
Au pied des arbres
Parce que les arbres passent vite
Au mois d’août.
Qu’elle est verte !
Elle se meut à ma rencontre
Avec élégance.
Moi, la croisant du pas
Le regard au pied du rideau
D’arbres
Mon dieu qu’elle est verte !
Je tente l’approche
Muette
Je veux déchiffrer
Ses infimes frémissements
Caresser sa peau fluide
Y plonger ma main peut-être
Je l’aborde
Elle me fuit, me coule
Entre les doigts
Que verte elle est !
Que verte et froide !
Elle ne m’attendra pas.
3
Comme si la terre et moi
Nous nous rapprochions
Dans le mystère des forêts
Comme si les boucles
Du vent muet
Me tressaient une chevelure de silence
Comme si le camaïeu
Des nuages végétaux
Habillaient mon lit
De solitude
Comme si les canopées écumeuses
Me berçaient
Dans leur houle tranquille
Comme si j’entendais
Le chant tellurique
Des racines
Comme si je m’enivrais
De la respiration
Enchevêtrée des branches
Comme si je respirais le sable
De leur éternité
Comme si même je parlais
Leur propre langue
Leur langue sombre et rugueuse
Comme si le soleil
Tombé en miettes
Se laissait emporter
Sous mes semelles
Comme si le feuillage
Eclaboussait mon front
Mes joues, mon cou
De son froissement givré
Comme si le temps
Etait amas de feuilles chues de branches vides
Comme si le temps était bourgeons, sèves et sucs
Comme si je conversais avec
Des parfums polyphoniques
Comme si j’étais ailleurs pour oublier
Que pour l’heure
Je me trouve inséré
Dans ma voiture insérée
Dans le flot circulatoire
D’un axe routier péri urbain.
9
Tu es un bras
Long bras
Ne retiens rien enfin
Laisse filer on dit
Au fil
De l’eau
Y sonne la légèreté
C’est un peu cristallin le clapotis
Cela tinte enfin
Derrière le mat du choc
Une écharpe autour d’un bras
Une écharpe déliée même
C’est à peine si tu bouges
En déposant le long
C’est encore long, des berges
Quelques enfin plusieurs filaments
D’herbes et branches
Te suivre des yeux
Me lave me pousse
Ne m’attends pas
J’arrive.
10
Lui ou un autre
Elle surtout
Il la connaît bien
L’emprunte
Souvent y plonge
Son dés-enchantement
La plupart du temps
Y noie ses absences
Elle le laisse
Faire s’enivrer
Librement elle l’accompagne même
L’abandonne à son vice.
FRANÇOISE BIGER
Françoise Biger, née en 1960, vit aux alentours de Rennes. Des textes publiés dans les revues papier (Libelle, N4728, Comme en poésie, Traction Brabant, les Ecrits du Nord, le Manoir des Poètes, prochainement Verso), ainsi que dans deux revues numériques (celle que vous êtes en ce moment même en train de consulter et Incertain regard). Si textes publiés : textes écrits et si textes écrits : goût du verbe par tous les temps, toutes les modes, jusqu’à plus soif, mais toujours faim.