Ecorcher les carrefours avec son corps, avec les griffes qui percent sous la peau. De plein fouet les
virages, les bordures où coule l’exhalaison noire des caniveaux. Parce que rien ne vient. Que des écailles. Rien qui ne puisse fusionner, tendre vers l’envol. Renverser. Monter d’un coup. Se
laisser aspirer au dessus des montagnes, des blocs et des bistrots. Accrocher sa carapace poisseuse sur une clôture. Laisser son écorce contre un pylône. Toutes les prédictions sont des serpents.
Toutes nos contorsions sont orphelines de caresses et de temps. Nos mains d’ardoise sombre manquent de chronologie. A bout, les départs comme les enfermements. A l’agonie entre les bras des
machines. Loin, trop loin pour te sentir, te toucher.
Avant, tu passais sous les porches, les portes aux lourdes serrures, avec l’aisance du fantôme. Tu pensais
t’engager sur un pont de lianes étoilées alors que les pitons, les rivets, se disloquaient. Ton corps, tu le sais maintenant, fil après fil se débobinait. Ainsi soient nos vies : quitter le
mensonge. Comme des animaux, tôt ou tard, nous tous, nous emboîtons le pas au ressac.
Je marche dans ton sillage. Je cours après tes caresses. Cependant, ce soir, je ne veux plus être un animal.
Ce soir, l’acier qu’ils enfoncent entre mes os n’a plus de prise. En une seconde, je lisse mon vêtement. J’allume une autre cigarette. Ce soir, je veux toucher la lumière. Je veux manger
sans avoir faim. Je veux l’amour sans l’argent. Je sais que tous ces gens aux tremblements faciles et aux imaginaires fades, me haïront d’autant plus qu’ils me verront marcher à tes côtés. Peu
importe, nos parfums se mélangeront. Je ne veux plus de ce froid. Je veux brûler au travers de tes yeux. Oublier cette putain de brume pendant quelques heures. Je veux sortir des vomissures.
Momentanément au moins, le cambouis ne ressemblera plus à du sang.
***
Je bois l’été. Sans repère. Sans contrôle. Les étoiles sont des oursins dans la gorge. Ténèbres ou
incandescence en tâches vertes au bout des doigts. On cherche des naissances dans la lumière indispensable. Tes yeux et leurs satellites ne font plus autorité au travers du sommeil. Nous nous
couchons sur le dos à vif de la vitesse. C’est le cœur qui implose quand tu largues. Tout est suspendu, tout est illusoire. Ce qui défile : les fusées de la parole. L’homme, ce combustible
de la poésie.
Des mouches pondent dans ton ventre. Beaucoup d’entre nous vivent des vies ensanglantées. Nous crevons au
travers des malentendus. Toi qui rêvais d’une ouverture, d’un passage, tu rejoins les rangs des pétrifiés. Détruit par ta traversée terrestre, ce que tu vois est une armée moins puissante qu’une
fable.
Habitué au silence comme à une plante toxique, une drogue moderne qui irrigue l’arbre des veines, tu
cherches une place, un caveau à l’écart du trafic. Tu restes un peu à la terrasse d’un bar devant un verre. Tu attends le soir. Tu attends la nuit. Tu regardes les errances circulaires qui
tournent sur le bitume et les grands boulevards. Parce que ton esprit s’extrait des virages, des lignes, des tremplins vers le vide. Juste regarder les différentes saisons autour des cadrans. Et
laisser à leur grouillement moite ceux qui courent ici et là, ceux qui espèrent accrocher les wagons de l’illusion. Le pays dont ils rêvent est une colonie sans séismes qui
s’éteint.
Droit dans le mur. Les gouttes du ciel sont des galops évidents. Un endroit bleu pour nous deux. C’était ça
le cadeau. Mais nous n’existons déjà plus. Le vertige des îles sur la mer et puis ton ennui qui fauche les fleurs de verre d’un mur de peau, c’était ça le tourbillon de nos vies. Tes cris sont
des écoulements. Nous sommes pour toujours dans le cratère du rire. Pour que le sol se soulève, je te demande l’océan sur ta main. Notre monde est immergé. Enfermés dans l’été, les plis de
lumière forment des tiges et copient les blés. L’urgence se réfléchit sur les silex bleus des graviers. Parfois sur nos cœurs une éclaircie sourit sinistrement.
GILLES BIZIEN
Notice bibliographique:
En revue :
Poésie première, Décharge, An amzer, Mortibus, Géante rouge, Comme en poésie, Brèves
littéraires, Portique, Art le sabord, Borborygme, Le moulin de poésie, Le capital des mots, Mouvances, Temporel, Des rails, Les cahiers de poésie, Revue R.a.l.m, Des rives,
Littérales.
Publications:
Un lutin à domicile, nouvelle, Editions Sombre Bohème.
Jardin de brume, recueil de poèmes, Editions Encres Vives.
Les yeux jades, recueil de poèmes, Editions Le Manuscrit.
Enfants pour l'enfer, novella fantastique, Editions
Popfiction.
Spectres et autres noirceurs, recueil de nouvelles fantastiques, Editions
Popfiction.
Si la peur, recueil de poèmes, Editions Ex Aequo.
Singularités, roman d'anticipation, Editions Kirographaires.
http://www.edkiro.fr/singularites.html
Notice biographique:
Gilles Bizien est né le 27 octobre 1970 à Harfleur en Seine- Maritime. Il est l’auteur de recueils de
poèmes et de nouvelles fantastiques et d'un premier roman de science-fiction très remarqué.