Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS- JEAN-LOUIS GUITARD

Publié par ERIC DUBOIS sur 10 Janvier 2012, 07:12am

Catégories : #poèmes

VU DU TRAIN
 



Il va pleuvoir. 
Vus du train 
les arbres se sauvent… 
se sauvent… 
se sauvent… 
vert sombre, 
mauve, 
pailletés de jaune étouffé, 
gifflés, 
courbés 
par le vent. 
Le ciel est presque noir… 
Il va pleuvoir… 
Pire !… 
Il va tomber des cordes !… 
Pire !!… 
Bien pire !!… 
Il va tomber des cables !!… 
Pire pire !!!… 
Encore bien plus pire !!!… 
Il va dégringoler des énergumènes !!!… 
Des énergumènes 
hirsutes, 
nus, 
qui vont déverser leurs arrosoirs 
dans les rues, 
les avenues, 
qui vont se ruer sur les maisons, 
les immeubles, 
les musées, 
les cimetières, 
les gares désaffectées, 
les baptistères, 
les usines de moulins à café,
les châteaux forts, 
les forêts de pistaches 
et les champs à vaches, 
pour ouvrir tous les robinets, 
crever tous les tuyaux, 
éventrer toutes les gouttières… 
Il va pleuvoir… 
Les caniveaux vont déborder, 
se transformer en rivières, 
en fleuves, 
en cataractes … 
les mares, 
les étangs, 
les lacs 
 en océans déchainés… 
les villes ne seront plus que des ruines 
de cités sous-marines 
à travers lesquelles glisseront entre deux eaux 
quelques requins marteaux, 
quelques méduses à carreaux 
et les corps flasques, 
désarticulés, 
sans vie, 
de ceux qui n’auront pas su 
échapper à la crue 
monstrueuse 
de la pluie, 
comme s’échappent du train 
et se sauvent… 
se sauvent… 
se sauvent tous les arbres, 
vert sombre, 
mauve, 
pailletés de jaune étouffé, 
courbés, 
gifflés 
par le vent. 
Le ciel est presque noir. 
Il va pleuvoir… 
Vu du train…

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QUATRE HEURES QUARANTE-SEPT 

Il est quatre heures 
quarante-sept. 
La nuit est noire. 
La rue est vide, 
silencieuse. 
J’écris, 
à demi allongé dans mon lit, 
ce qui me passe par la tête… 
Les couturiers 
sont des enclumes à ressorts mous 
qui avancent à reculons, 
et à califourchon 
à côté d’un bocal à trois roues… 
J’écris. 
L’armoire est entrebaillée… 
Le pavillon du phonographe est une énorme bouche ouverte… 
J’écris… 
Il est quatre heures 
cinquante-deux.

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LE PASSAGE D’ARLEQUIN 


C’est Arlequin qui passe 
dans une musique de crécelles, 
de tambours, 
de trompettes 
et d’étincelles. 
C’est Arlequin 
noyé dans ses carreaux 
et tout à la fois 
Henri Trois 
défoncé par son bilboquet, 
André Citroën 
écrasé par ses voitures, 
Alexandre Dumas 
transpercé par ses mousquetaires, 
Yves Saint Laurent 
englouti par lui-même, 
la féee Bleue 
basculée dans l’espace, 
le petit Poucet 
perdu dans ses traces 
et nos destinées 
dissoutes dans le vent. 
Ainsi 
tout commence 
et tout finit, 
les danses de la nuit 
comme les chants de l’enfance. 
Je saute, 
je rebondis 
de carreau en carreau 
sur le ventre et le dos 
d’Arlequin… 
et de carreaux verts 
en carreaux rouges, 
noirs, 
blancs, 
jaunes, 
je traverse les cubes, 
les sphères 
et les cônes 
de l’existence qui se poursuit 
depuis les débuts de la terre 
jusqu’à aujourd’hui, 
jusqu’à demain, 
jusqu’à la fin. 
Arlequin 
s’allume et s’éteint. 
Je sors un escabeau 
de ma poche,  
et d’encoche 
en encoche 
je descends l’escalier de carreaux. 
C’est la naissance de la mort, 
c’est la mort de la vie 
que je trimballe comme un sac,  
entre mes membres, 
de routes en impasses, 
de ruisseaux en océans, 
de sentiers en ravins 
sans quitter les quatre coins et le balcon 
de ma chambre. 
Dieu est par là, 
peut-être, 
en haillons, 
une canne à la main, 
ou en chapeau melon 
et en guêtres… 
peut-être… 
peut-être… 
L’éternité ? 
Je la connais, 
je l’atteins 
quand je marche, 
seul,
au bord de la mer 
et que le vent de face dérappe sur mon visage… 
je la connais, 
je l’atteins, 
quand je retombe, 
ébloui, 
submergé 
par l’amour 
au bout de ma jouissance… 
C’est une éternité… 
Une éternité de quelques minutes, 
mais une éternité. 
La mienne. 
Arlequin passe 
sur une musique de crécelles, 
de tambours, 
de trompettes 
et d’étincelles… 
une musique de capharnaüm… 
la musique des hommes. 
Plus Arlequin passe, 
plus je m’amuse, 
plus je m’amuse 
plus je ris, 
plus je ris 
plus je meurs… 
nous êtes meurs, 
vous sommes meurs, 
ils ont été, 
ils ont, 
ils auront meurs. 
Tous. 
Meurs.  
Mais je suis le seul, 
ou l’un des rares, 
très rares 
à le savoir. 
Les miroirs 
me dévoilent des fantômes… 
ma mère, 
mon père… 
et d’autres… 
d’autres… 
et moi 
en bretelles, 
sabots en dentelle, 
col de carton 
et casquette à pompons 
dans un bain de néant. 
Arlequin a mal au ventre. 
Il trébuche dans des coussins, 
Arlequin. 
Colombine apparait, 
s’approche, 
le piétine 
et disparait. 
Pourquoi ? 
Qui est-elle ?
Si seulement quelqu’un pouvait me dire qui je suis… 
d’où je viens… 
où je vais !… 
Mais non !… 
Arlequin passe 
avec la mort qu’il porte en lui 
sous les figuiers, 
les amandiers, 
les oliviers, 
les cerisiers, 
le soleil 
ou la pluie… 
Un bilboquet,
 des voitures, 
des mousquetaires, 
une ambition, 
un espace 
des traces, 
du vent… 
 Arlequin passe 
et ses carreaux s’effacent 
par moment 
dans les moqueries des enfants, 
et le dédain des grandes personnes 
en uniformes 
qui le toisent 
et s’endorment  
en brandissant des équerres, 
des compas 
et des tables de miltiplication… 
Arlequin passe 
en dehors des écoles, 
des passages protégés, 
des chemins déjà tracés. 
Je me suis assis, 
j’ai glissé mon ombre sur le torse d’Arlequin 
entre deux carreaux, 
je n’irai plus en classe, 
et j’ai été pris 
d’un fou rire incendiaire 
en voyant l’univers 
d’où de suis. 
Comme passe Arlequin 
nous passons, 
mon ombre et moi… 
Bonjour… 
Adieu… 
C’était bien… 
Sans prologue… 
Sans suite… 
Il me semble que ça se découd trop vite… 
à moins que ce soit usé 
ou déchiré,  
non ?… 
Bonjour… 
Adieu… 
Et nous passons 
dans une musique de crécelles, 
de tambours, 
de trompettes 
et d’étincelles 
entre la fin du monde 
ici, 
et là-bas 
l’infini. 
Ou sont les magiciens et les anges ?  


JEAN-LOUIS GUITARD

Enfance et adolescence à Antibes. Commence très tôt à dessiner.
 Monte à Paris au début des années 60.
 Dessine sans cesse, étudie toutes les approches possibles des sujets les plus opposés par le biais des   différentes techniques du crayon, de la plume, de la mine de plomb.
 Adopte l’encre de Chine, pointe (Rotring), plume et pinceau, à partir de 1976.
 Expositions personnelles et de groupe se succèdent dès 1977 en France et à l’étranger.
 En 1984, première exposition personnelle à Paris, à la Galerie Visconti. Dès lors, cette galerie lui consacrera une exposition chaque année jusqu’au décès de son propriétaire.
 Depuis 2001 c’est la galerie La Hune-Brenner qui, à Paris, présente ses nouvelles oeuvres… A laquelle s’ajoutent diverses galeries en France et à l’étranger.
   Aujourd’hui les oeuvres de Jean-Louis Guitard, considéré comme l’un des plus grands créateurs du dessin actuel, figurent dans de nombreuses collections privées non seulement dans l’hexagone, mais aussi aux Etats-Unis, en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Belgique, au Brésil, en Suisse, au Canada, en Allemagne, en Australie, à Taïwan et au Japon.

   Parallèlement, Jean-Louis Guitard a écrit et composé plus de 900 chansons… Il continue d’écrire, de composer, et donne régulièrement des récitals dans lesquels il est seul en scène durant 1h30.
  De plus, dans le domaine de l’écriture, il compte à ce jour une trentaine de pièces de théâtre ainsi que des nouvelles et de très nombreux textes poétiques. Toute son expression repose sur les drames quotidiens présentés à travers une sorte d’éclat de rire constant fait de détachement et de dérision.
 
     
 Auteur du livre de poèmes "Noirs sourires" ( Éditions Hélices, 2011).

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