la nuit de l’hippogriffe I
le jardin aux pommes d’or
d’un moment à l’autre
l’espace se métamorphose en cygne
tandis qu’il attend dans un chariot de feu
les nuages de l’armée céleste
je vis l'Hydre caressée par ses derniers guerriers
tombant lentement sur le récif
entre nous
au-delà s'étendent des labyrinthes bleus
soupira l’hippogriffe
si tu vas aux champs élyséens sans moi
il te faudra toujours me regarder dans les yeux
lorsque tu t’éloigneras en chantant
au bout de la terre
vers ton royaume des mots perdus
seul
le sphinx d’encre monte la garde
aux sept murailles et sept portes
de son jardin aux pommes d’or empoisonnées
plus loin
le rêve n’a qu’une réponse sans ailes
à Tout.
la nuit de l’hippogriffe
III
everything but your heart
le vent souffla dans ce jardin aux pommes d’or
et tomba malade avant l’aube
il suffit jadis d'un grain de sable:
la licorne devint invisible
sauf son cœur
les yeux d’archæoptéryx
reflètent toujours l'image terrienne
des eaux d'en haut
tandis que l’hippogriffe dort
les ailes ouvertes devant
dans la fatigue d’être solitaire
chaque nuit soulève les dunes
et laisse le récit de ses voyages inconnus
au porteur d’un seul oeil à fleur de tête
il était une fois un hippogriffe sur un rocher
et ce n’est pas donné à tout le monde
everything but your heart=tout sauf ton Coeur
la nuit de l'hippogriffe IX
disclosure – révélation
nous ne sommes pas seuls dans le
désert
comme les guerriers sans abri
et les traces de la licorne d'autrefois
imprègnent la voix amère des mortels enterrés vivants
ressemblante aux pierres bleues
d'un seul jardin aux pommes d'or
plus éloignées que les étranges mégalithes
sans souffle au-delà du ciel
les chemins abandonnent
l'ombre de l'hippogriffe en survolant
ses eaux blanches du silence
dont le sphinx mange inlassablement les échos
nous ne sommes pas seuls dans le désert
les îlots du vent tremblent griffonnés
toute la faiblesse de son essor
et n'étaient plus en mesure d'entendre
les récits des témoins qui ont été perdus
à travers les sillages de l'espace
la clairière des étoiles lointaines
affleure tardivement
en tant que l'hippogriffe plongeait
dans les ondes des cumulus
vu de derrière au poitrail ensablé
son souvenir s'éteignit ce jour-là
au solstice d'hiver.
disclosure – révélation
la nuit de l'hippogriffe XV
le pas de l’ange
me semble-t-il toujours
que je rêve incessamment
les mêmes forteresses flottantes
des naufrages attendues des étoiles
en respirant ses grands voiliers en fer
comme une cauchemar
d'autrefois
c'est le fruit sauvage d’amertume
en train de muer
son innocence
en glissant sur l'accouplement
prévu des nuages
immondes
nécrophages
ils ne se dirent jamais adieu
et les murailles abîmées des cieux
touchèrent
l'empreinte encore chaude
des hippogriffes abandonnés
là-haut au bout des mondes
aux prédateurs du temps
l'hippogriffe s'éteignit
aux yeux grands ouverts
vers les montagnes lointaines
et ses ailes vaincues tombèrent
comme les derniers pas de l'ange perdu
dans le tiroir du sable
de la mémoire.
la nuit de l'hippogriffe XVI
panopticum
le chagrin poussa sous ses plumes
en noircissant
l'ancien miroir du vent et du sable
et prit en charge
les effluves incessibles
de la nostalgie
là-haut le désert mordit les rideaux du chaos
en illuminant l’Étendue du temps
jusqu'à ses yeux d'or
brièvement l'arc de l'infini
entra dans ses ailes
et l'hippogriffe sentit la peur
germant
entre les solitudes des songes
parfois un seul regard du cœur
peut rajeunir la Lumière en toi - soupira-t-il
l'hippogriffe resta encore une fois
seul dans soi-même
et la culasse du silence
demeura
dans son âme
les traces amères et durcies
d'autrui
à l'aube
en respirant
les imperturbables
flots des Cieux
il retrouva son Ombre.
entretien avec la
solitude
j’écrase ses lettres dans le vent pour oublier
la semaine d’automne bleu
où macère lentement le silence des pierres
l'une contre l’autre dans mon âme
peut-être suis-je moi-même
ce contraste mimant la solitude
entre lumière et péché
après l’orage de toute ma vie
dans l’œil d’eau oublié au désert
c'est le même florilège
derrière ces choses
écrites sur les larmes de mon ange
qui meurt un autre jour
tant qu'il aura le cœur sur la main
telle une plume
tombée devant la bastide des ombres
d'après son battement d’ailes
tu reconnaîtras ma solitude
de temps en temps
une licorne aveugle se réveille en moi
seul
le bon Dieu sait pourquoi et me le dira
MARINA NICOLAEV
Née à Bucarest, Marina Nicolaev master architecte roumaine, doctorante à l’Université «Denis Diderot» Paris. Plasticienne (membre de l'Union des artistes plastiques en Roumanie et de la Maison des artistes en France), disciple d’Hortensia Masichievici Misu et de Marcel Chirnoaga, elle participe aux expositions nationales et internationales de gravure. Écrivaine, elle obtient des prix aux conventions de science-fiction et fait du journalisme dans son pays et à l'étranger (interviews, chroniques artistiques et littéraires etc.), mais surtout une poète («Anges particuliers», 2002, Éditions Inédit, Bucarest).
CV artistique: http://www.omnigraphies.com/modules/news/article.php?storyid=61