Les gens.
Il était une fois les gens. Ça ne se voit pas les gens. C'est là. Genre humain. Espèce unique. Les gens disent bonjour quand ils se lèvent et bonne nuit quand ils se couchent. Entre les deux, ils passent leur temps à faire toutes sortes de choses. Mais ça ne se voit pas les gens. C'est là. Tellement présent qu'on ne les voit pas. Ils prennent toute la place. Tout autour de moi et dedans aussi. Dedans moi, je les entends. Ils s'expriment forcément, n'arrêtent pas de me parler, me bousculent, m'empêchent d'aller. Je slalome entre des piquets de gens. Tchi Tchi. Tchi. Tchi. Bonne neige. Je dévale. Piquet de gens. Bonjour. Je me recentre. Je repars. Tchi Tchi. Tchi. Tchi. Bonne neige. Je dévale. Piquet de gens. Bonne nuit. Et je souffle. Et j'en pleure des gens car ils ont des certitudes et je suis si influençable. Un cours d'eau ne le serait pas plus…Rien ne m'oblige à. Qui sait vraiment ? Les gens m'obligent avec leurs certitudes et toutes ces choses qu'ils font entre bonjour et bonne nuit. Ils me poussent. Alors j'avance, en slalomant. Tchi Tchi. Tchi. Tchi. Tant pis si j'oublie mon sac, si j'oublie de mettre une culotte, si j'oublie ma mère à la gare. C'est toujours trop tard. Revenir en arrière. Toujours trop tard. Alors je mets des gants, pour me protéger. Mais les gens sont aussi dans mes gants. Mes gants dégoûtants. Avec mes gants dégoûtants, je ne fais pas les choses proprement, purement, clairement. C'est sale d'eux. Alors je jette les gants, mais je secrète les gens. Constamment. J'en fais des foules. Des publics hystériques. Qui m'aiment et me détestent, me scrutent et me crochepattent.. Je slalome tout le temps. Tchi Tchi. Tchi. Tchi. Je ne m'en sors pas bien avec les gens. Même avec ma mère (qui est à la gare et qui m'attend).
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MON GRAND PERE
Mon grand père est mort maintenant. Et l'héritage, ça s'est bien passé ?
La vie se brise. Brisures de vie que je fais sortir du trou de mon visage, celui qui a des mâchoires. En parler. Mettre dehors. Ça fait la langue qui cuit. A dire les choses comme elles sont. Des aiguilles dans les joues qui se plantent fort. Mais je peux pas faire autrement.
Papa dit ça sert à rien d'y penser sans cesse, de faire la rengaine, à rien ça sert. Pourtant c'était son père.
Je ferme le trou de mon visage pour arrêter le son et c'est le grand coup de froid à l'intérieur. Je glace, deviens tout en cristal à force de pas mettre dehors. Enfoncement de neige dans ma gorge. Des picotis qui interdisent. Le bâillon pareil. A perdre haleine.
Le seul moyen c'est de dire les brisures dans ma tête. Y'a que moi qui les entend, ça se voit pas, alors ça va pour papa. Il croit que c'est fini pour moi, que je suis passé à autre chose, la mort de grand père on va pas en faire tout un fromage, ça arrive à tout le monde de mourir, on va tous y passer un jour alors bon.
Juste que je suis un congélateur maintenant.
L'héritage, c'était de la gnognote, rien du tout ou presque. Et pour le presque, tous les enfants de grand père se sont réunis, ils ont discuté, calmement, avec les yeux brillants, de l’argent, et ça s'est bien passé.
NATHALIE YOT
Bio-bibliographie :
http://www.autour-des-auteurs.net/fiches/yot.html