Le Capital des Mots.

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Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - SAÏD FARTAH

Publié par ERIC DUBOIS sur 18 Juillet 2014, 09:59am

Catégories : #articles - articles critiques

Les rites de la déchirure chez Tahar BEN JELLOUN

 

 

 

 

 Par Said FARTAH / enseignant de français MEN de Taroudant/Maroc.

      • Professeur -vacataire- de langue et inter-culturalité à la faculté polydisciplinaire de Taroudannt/ Maroc

      • Chercheur en littérature des migrations et littérature maghrébine.

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La littérature maghrébine esquisse l'image dé-cristallisée de toute la vacuité vitale des immigrés. Cette caractéristique, nous motive à relire autrement cette littérature et à braquer la focale sur deux aspects de cette décristallisation , à savoir la blessure existentielle de l'immigré Marocain et les facettes de l'exil affronté par cet immigré.

De prime abord, l'immigré Marocain est toujours voué à une multitude de contrastes, commençons par la diabolisation de la personne de l'immigré jusqu'à l'anéantissement de sa vie et son avenir. A notre sens , cette décristallisation de l'image de l'immigré Marocain ne va guère sortir d'un carcan figé plein de stéréotypes et de défiguration.

Certes , la décristallisation de la personne de l'immigré Marocain que nous évoquons ici , n' a aucune connotation d'échec ou de dépréciation mais une sorte de non-sens existentiel . Il est , sans nul doute, adéquat de comprendre cette décristallisation dans un niveau d'absence d'alternative ou de porosité des horizons. Nous pouvons alors , parler d'un" être " entre deux ' Ni' .Le Marocain dans la migration en France , n'est ni d'ici , Ni d'ailleurs . Ni marocain , ni français sur le plan social . Ni travailleur , ni chômeur sur le plan professionnel . Cela pourrait , sans merci brouiller, la vie sociale et culturelle de cet immigré hors de toutes les qualifications.

Ecoutons ce silence meurtrier dans les paroles d'un immigré Marocain de la " "réclusion solitaire "1 page 88:.

" La malle avait mangé mes rêves ...Le ciel était cerné et les étoiles ivres d'absence . retenues par des clous. Il y avait de gros clous enfoncés dans le grand linceul. Tout m'expulsait . Les murs . Le ciel .Les étoiles . Ma peau". ". Une telle déchirure ne peut que signifier le marasme et la désolation de tout immigré marocain gisant sous les effets dramatiques d'une vie triste et alourdie.

D'abord , il est primordial de souligner que dans la littérature maghrébine le thème de la déchirure est la sœur jumelle de l'altérité .C 'est un thème fondateur qui invite souvent à des lectures interconnectées . La littérature de la migration n 'est pas uniquement un univers de protestation et de revendication pur et simple ; mais inéluctablement un grand carrefour pour aborder toutes les interrogations de l'homme en immigration.

A préciser également que , la survie d'un texte littéraire produit dans l'immigration n'est pas du tout un texte considéré comme un amas d'idées ou comme des pensées éparpillées dans un désert de questions . Le texte en immigration doit être conçu à la lumières des vexa-questions qui l'encadrent. Ce texte n 'est à perdurer que s'il est richement alimenté par les paradoxes de cette altérité même. L'altérité dans le champ littéraire porte en elle les germes de sa temporalité , de la in- visibilité de l'être et la détermination de sa spatialité. L'altérité renvoie toujours aux frontières culturelles , socioculturelles et existentielles posées ontologiquement en relation avec Autrui .

Le concept de l'altérité migratoire renvoie également à une large conjoncture thématique de tous les niveaux des aspirations vitales de la personne migrante. La littérature st par la logique des choses demeure alors le lieu propice où s'effectuent toutes les interactions possibles avec l'autre de l'ICI et de l'Ailleurs.

De surcroit , la littérature d'immigration et particulièrement en France , formalise fortement l'imaginaire préconçu sur L'immigré en général , ce sentiment est en forte croissance. Ce qui demande des analyses et des explications très poussées de la composante de l'altérité. Cette formalisation directe ou d'une façon sous-jacente représente le fil conducteur déclencheur de toute création littéraire révélatrice et génératrice de l'image du Moi d'un côté et l'image de l'altérité de L'autre.

Véritablement , le principe de l'altérité dans notre projet de recherche n'est pas soumis à aucune vision particulière susceptible d'orienter les conclusions ou de cadenasser les résultats. Ce principe n'est également pas soumis à aucun seuil de tolérance précis. L'altérité que nous allons étudier est le pur produit d'un discours discriminé et discriminatoire produit "aux limbes du Pacifique" migratoire français.

En fait , l'altérité se veut un élément vecteur qui se lit , et doit se lire d'ailleurs, à la guise des multiples optiques où se convergent les cotés ; ethniques , spirituels , et cultuels . Sans pour autant oublier les niveaux sociohistoriques et économiques .Ceci dit , l'altérité engage, par la suite des choses , le passé, le présent et l'avenir de chaque individu en situation de l'immigration, à tel point que nous pouvons même parler de la littérature de l'altérité à part entière. Cette littérature qui a su problématiser la littérature de l'immigration en général et l'image étrange de l'immigré en particulier. Pour parler du concept de l' Autre dans la littérature migratoire, nous allons constater très vite que cette littérature est un véritable déchirement entre deux antipodes : la quête permanente d'une identité meurtrie et la survie aux affres d'une "double absence"2 * méconnue. Il est certain alors , que l'écrivain de ces deux frontières ne peut que se résigner devant les dictats de l'intégration imposée ou d'une sorte d'assimilation préalablement atténuée .

En effet , la notion de l'altérité dans le discours littéraire migratoire n'est en aucune considération une notion innocente car elle fait souvent appel , d'une façon implicite , à plusieurs vocables en permanente dualité. dans ce contexte , l'altérité se réduit indirectement à tout ce qui est étranger au truchement de ce qui est local , elle renvoie à l'authentique au détriment du métissage (mixte). Et surtout fait penser à L'autre dans sa dimension de ( TOI / TU / VOUS ), à des fins de préciser tout ce qui est " identique" , chose presque impossible, cette identique qui se conjugue à ( MOI/ JE/ NOUS).

La question identitaire revêt un champ majestueusement large au sein de la littérature de la migration .Elle est considérée depuis fort longtemps un des sujets passionnants , un des sujets conducteurs de la majorité d'écrivains maghrébins et des marocains en particulier.

La littérature de l'immigration est une en/quête fidèle des origines , c'est une quête incessante du Soi et de l'autre , dans un univers sans limites où les interrogations héréditaires ( généalogiques) , sentimentales ( sensationnelles ) et existentielles ( sociales) s' inter- communiquent .

Dans le quatrième chapitre intitulé " Métissage et identité ", Michel LARONDE nous explique , avec une grande notoriété , ce point consacré aux origines les plus lointaines et les plus ancrées dans l'histoire. Pour Michel LARONDE 3 " Ce Mohammed que perçoit comme étrange et étranger , il faut en chercher les racines dans une diachronie qui plonge dans les croisements génétiques " Page 164.

Alors , les origines identitaires représentent un grand éclatement , cet éclatement génétique sordide et ce décloisonnement macabre semblent une réponse véritable fatale et conséquente de toute sorte de bouleversements romanesques apparents au niveau des particularités thématiques , discursives ( thématiques) et narratologiques de la littérature maghrébine généralement. La question des origines identitaires occupe donc , une place cruciale de toutes les œuvres littéraires qui usent et abusent de la thématique de la migration . Les origines sont alors , une source indispensable qui alimentent avec brio les souffrances de tous les jours , les questions vécues avec amertume et les aspirations inaccessibles aussi bien pour soi ou pour ses compatriotes.

Nous pouvons également nous arrêter sur un passage lumineux qui illustre ces propos dans " Un monde à coté " de Driss Chraïbi qui décortique cette image en insistant sur un point de jonction d'une grande importance , il s'agit en l'occurrence des origines:

" Mon monde d'origine m'avait légué quelques sourates du Coran , quelques faits et gestes d'un prophète qui avait vécu très autrefois et qui ne pouvait plus ni voir ni entendre ce qui passait chez nous en notre temps...l'obéissance passive aux dogmes et à la tradition "*4.

Il est évident alors de souligner dans cette optique que la littérature de l'immigration est une littérature où les écrivains ne cessent de creuser leurs problématiques dans tous les sens ; questionner tous les champs littéraires en investissant toutes les interrogations possibles.

L'immigré devient , de surcroit , le sujet de prédilection de toutes les dualités que nous pouvons imaginer. Mehdi CHAREF nous informe que cette situation "d'entre- croisé" en décrivant l'état d'âme de son personnage central :

" Madjid se rallonge sur son lit , convaincu qu'il n'est ni arabe ni français depuis bien longtemps. Il est fils d'immigré , paumé entre deux cultures , deux histoires , deux langues , deux couleurs de peau, ni blanc ni noir à s'inventer ses propres racines , ses attaches se les fabrique "*

Cette citation brosse joliment une caractéristique majeure de la littérature d'immigration à savoir la situation de l'entre-deux qui légitime dramatiquement la situation de négation en propulsant le dédoublement " NI...Ni.." ; ni arabe , ni français , ni blanc , ni noir. La série est longue , ce qui ouvre , par la suite , la possibilité sur toutes les portes du bâtardise et sur "la clandestinité légale". Nous constatons tout de suite que le sujet d'identité demeure toujours un véritable canal qui miroite fidèlement l'imaginaire collectif de toute la société : les représentations socio- culturelles , les manipulations de l'inconscient et également les perceptions les plus lointaines des "habitus" sociaux.

La quête identitaire dans le domaine d'une littérature " mineure " très confortée , est une activité permanente , pleine de dynamisme et de création révélatrice sans cesse , où l'immigré oscille ontologiquement entre deux actions - réactions ; divulguer / cacher ou s'affirmer / dissimuler. Mais cette quête reste toujours un désir qui ripoline les horizons de toutes les attentes de chaque immigré. Dans ce sens , s'identifier pour un immigré n'est jamais un défi calculé, vu les risques de la situation où il se trouve . S'identifier est , dans tous les cas , une attitude de s'affirmer avec toutes ses différences , ce qui rend ce challenge une sorte de dilemme capable de générer le refus , le malaise et la blessure. " La réclusion solitaire" ou grave encore " La plus haute des solitudes " de Tahar Ben Jelloun renforcent sombrement cette recherche du Moi , ce voyage éternel vers l'Autre. La quête identitaire peut couvrir ici toutes les couches sociales tous les âges et les aspirations , cette quête dépasse les lieux et les espaces. L'identité ici est une vraie destruction psychologique , sociologique et humaine avec toutes ses connotations possibles. La quête identitaire est alors équivoque à toute sorte de dénonciation de la tragédie humaine produite devant monsieur tout le monde bon gré malgré tout le monde . C 'est une dénonciation affreuse de la frustration vulnérable , de l'oubli et l'abandon orchestré par la machine capitaliste moderne.

En effet , la question identitaire est bel et bien une piste qui oriente notre analyse, ce qui nous octroie la forte légitimité de se poser la/ les question (s) autour de la grammaire de cette déchirure. Le déracinement est conçu alors, comme concept sociologique à la fois valise et balise , un concept d'une très grande ampleur , par le simple fait qu'il est un pur produit d'immigration /émigration . C 'est pour cette raison , qu'il nous semble adéquat de parler de déracinement de l'immigré Marocain en présentant les limites de la "métamorphose" périlleuse à laquelle chaque immigré(e) Marocain(e) est soumis(e).

Il est judicieux à nos yeux , de noter que le déracinement de l'immigré Marocain se veut omniprésent depuis le départ (clandestin ? ou volontaire) jusqu'à l'arrivée impromptue ! C'est à dire ; le déracinement de l'immigré Marocain en France revêt de différentes facettes. Ce changement inopiné provoque chez l'immigré / émigré une fracture profonde due à une sorte de nostalgie éternelle du pays natal . Le changement de l'espace vécu engendre par la suite, un dépaysement total affreux , ce que laisse l'immigré Marocain exposé à une multitude de souffrances liées surtout aux aléas climatiques insupportables et mortifères ( neige , froid glacial , pluie , verglas..) soldés par le manque de chauffage et des conditions de vie ( habitations) misérables . Le corps de l'immigré serait alors voué à toutes les atrocités physiques : arthroses , maladies pulmonaires , troubles respiratoires , problèmes asthmatiques , perturbations gastriques , rénales et sexuelles dues surtout aux ( plus hautes des solitudes ) selon Tahar Benjelloun. Ce type de déracinement est toujours conçu comme un malaise vital quotidien , ce qui est logique d'ailleurs , à tel point que Taher Benjelloun le compare à un servage infernal et chaotique de cet immigré Marocain:

" on peut aussi se demander si le déplacement géographique ne réactive pas les angoisses.. déculturation vécue ou subie " p 66.

En revanche , il est certain que ce déracinement spatial ne peut être que destructeur et effaceur dans la mesure qu'il est , sans conteste , un facteur générateur de déracinement émotionnel pour ne pas dire déracinement suicidaire.

De surcroit , vivre dans un habit d'étrangeté renvoie intrinsèquement à une autre forme de déracinement ; il s'agit bien évidemment socio-affectif qui touche généralement l'ensemble de l'arsenal socio-relationnel , la structure vitale avec son entourage , ses liens et ses complexités. L'immigré Marocain est un déraciné social par excellence par le simple fait que son " étrangeté inquiétante " menace quotidiennement ses croyances ( cultuelles et culturelles ) sa conception traditionnelle des choses et son interprétation "primitive" des bases vitales du monde occidental européen à savoir les notions de temps , de lieu et les normes de la civilisation "moderne". En effet , il est fort bien évident de souligner dans ce contexte que le déracinement vécu par l'immigré Marocain et vu de toutes ses formes , demeure " un produit fini " de "ce choc " social et spatial lié à la vie dans la migration. Cette métamorphose forcée ou subie, reste à nos yeux , un grand problème qui fait silencieusement des dégâts incurables sur tous les plans . Dans le même sens nous pouvons confirmer que le déracinement de l'immigré Marocain engage d'autres termes à réemployer avec beaucoup de méfiance , de précaution et surtout avec une modération très stricte .

Le corps déchiré de l'immigré Marocain est hyper-chosifié dans la mesure où il est convoité au propre et au figuré , il est atrocement mutilé . Ce corps vendu depuis bien longtemps , depuis qu'il est une marchandise moins chère au service de la méga- machine capitaliste.

Dés le début , la narration devient une aventure qui s'aggrave en spirale. La vie est un départ douloureux et l'aventure se présentait comme une véritable mutilation pleine de haine et de mépris. Certes la figure de ce corps mutilé de l'immigré Marocain expose une vue panoramique de cette personne qui "a choisi " forcement de survivre sous les affres de la torture et la détresse . Cette personne vivant dans un univers d'emprisonnement absolu .. Tahar Ben Jelloun nous crible jusqu'à la nausée par cette atmosphère de déchirure et de démantèlement. Nous pouvons nous arrêter sur cette réalité décrite à la page 36 de la " Réclusion solitaire "

" Le corps s'alourdit . Retenu . Attaché. L'âne des nuits ,maitre des cauchemars , s'assied sur ma poitrine .Les yeux ouverts .Le corps immobile. Le roc d'amertume s'est approché de moi .Il fallait s'y cogner , A quoi bon ? Mes nuits ont l'avantage d'être courtes ."

Le texte nous étale ce corps comme une sorte de sublimation du drame ou un " sens de l'insensé ". Le corps est alors froissé , abimé , usé et mérite d'être mis au bière . Cette tragédie est trop criarde quand nous lisons :

" J'ai déposé mes rêves et mes illusions au bas de la porte , je suis un être en faillite "

La même sensation de tristesse et de déchirement nous la trouvons également dans " La plus haute des solitudes " , quand Tahar Ben Jelloun , nous présente un marasme inqualifiable , doté de toutes les spécificités d'angoisse et de mécontentement :

" Nous avons affaire à une société mutilée qui se sépare d'une proportion importante de sa population active et devient par là source de conflits chez l'individu que se trouve obligé de s'expatrier , qui doit accepter de se séparer de son univers culturel et affectif " Page 21.

La blessure ici , se veut une blessure collective où chaque individu de cette société reste une victime d'une tragédie soldée par le déracinement et le déplacement forcé dans toutes ses facettes .

En effet le corps dans la littérature immigrée ne peut devenir qu'un objet voué à tout un processus d'aliénation et à toutes les exploitations imaginables . Ce corps mutilé dans tous ses états devient , bel et bien ,une sorte de tentation et de manipulation , toujours en butte de sa carcéralité et de son apatridie , par le simple fait que les immigrés Marocains ne sont considérés ni français ni marocains . Cette dualité meurtrière ( ni marocain ni français ) / ni arabe ni européen accentue d'une manière nette et négative toutes les contradictions de cet mutilation .

Ces oppositions tristement pesantes , renforcent toutes les ambigüités à propos de l'existence légale et légitime de ces Marocains et offrent une grande légitimité à toutes les atteintes catastrophiques à leurs droits. Ce corps mutilé devient alors visible sur la scène sociale mais carrément invisible sur la sphère médiatique , ou au niveau du travail et surtout lorsqu'il s'agit de ces " droits" fondamentaux . Tahar Ben Jelloun brosse cette situation délicate et paradoxale comme suit : " Le travail est une superbe aliénation car personne n'a le droit de faire ce qu'il a envie de faire , le travail mange la vie , il la dévore et annule le corps des hommes comme dit mon copain français "je n 'ai pas envie de passer ma vie à la gagner par la perdre " les gens ne s'expriment pas .Tu crois qu'un travailleur émigré ou autre a le temps de vivre ? "

La littérature de l'immigration est une littérature riche par sa thématique de négation , de transhumance et d'exil. Malgré son histoire si jeune , son texte regorge de plusieurs figures de claustration et d'emprisonnement de différentes formes. Dans ce contexte , il est incontestablement signifiant de traiter la problématique de l'exil de l'immigré Marocain en France à la loupe d'un champ sémantique très diversifié dans le dessein d'embrasser la notion de l'exil au propre et au figuré . Il s'agit alors de mettre en exergue une "autopsie de l'exil"5 suivant des optiques assez larges. Il est donc adéquat d'approcher ce thème de l'exil à la lumière des niveaux suivants :

- L'exil dans son sens géographique qui met sur le premier plan le pays de départ ( la ville natale, la région d'origine , le bled , le Maroc ) par opposition à un pays d'accueil méconnu ( la France , l'autre rive , l'Europe ) . Cette vision réduit l'immigré Marocain à l'errance et à la blessure.

- L'exil existentiel et ontologique qui met sur la scène l'immigré Marocain en tant que " ETRE " , ce qui réduit la personne de l'immigré à toutes les figures de l'absence et l'anonymat , et qui l'oblige par la suite à se positionner aux affres de la solitude , la frustration et le démantèlement.

- L'exil social et vital qui pousse souvent l'immigré Marocain à vivre aux confins de la précarité et la vulnérabilité dans toutes ses dimensions . L'immigration devient alors pour le Marocain en France un fardeau lourd et une responsabilité qu'il ne peut pas assumer. Sa vie serait alors vouée à l'isolement et à la marginalisation..

- L'exil sentimental et émotionnel qui renvoie à une blessure sentimentale très profonde due essentiellement au caractère nostalgique éprouvé par l'immigré Marocain . cet exil émotionnel mis l'immigré Marocain au sol par le fait qu'il souffre d'un éloignement familial affreux . L'immigré se sent en danger même au fin fond de son intimité. Ce niveau a une grande influence sur les autres niveaux . Cet exil va jusqu'à l'absence de l'acte charnel :

" Je ne fais que piétiner la terre de ce pays où j'ai accroché mes testicules ( ...) je passe le temps dit de repos à faire des plans pour la démence " p54 de "La réclusion solitaire."

- L'exil politique et intellectuel qui fait penser surtout à la vie des immigrés Marocains ayant un niveau intellectuel et scolaire élevé , c'est le cas des étudiants , des écrivains et des artistes. Pour eux l'instruction et la prise de conscience devient une inquiétude énorme et une blessure idéologique de grande ampleur.

Dans l'œuvre de Christian ALBERT " L'immigration dans le roman francophone contemporain " * et en guise d'introduction , l'auteur nous présente une définition profonde et pertinente de l'exil * 6:

" Il est de toutes sortes d'exil , les écrivains le savent bien...il est cependant une autre forme d'exil plus matériel et géographique , il, est lié à l'écriture et se caractérise par un changement physique du lieu de résidence qui double parfois l'exil intérieur qui exprime chaque écrivain " P 8

Pour le Marocain en général , "l'exil" est une expérience vécue en pleine conscience car cette expérience est inséparablement liée à son itinéraire vital et existentiel . Le thème de l'exil alors être provisoire ou définitif parce qu'il est toujours synonyme de la déchirure , la déraison et la dépossession . Cela fait de la thématique de l'exil , pour l'immigré Marocain, l'un des thèmes fondateurs et l'un des sujets majeurs de la littérature de l'immigration .

En effet , cette sensation de "s'exiler " à tort ou à raison , est née chez l'immigré Marocain avec l'émergence d'un contre-sentiment éprouvé par les autochtones français marqué par un certain nombre d'attitudes de rejet ou d'abandon dûs, dans la plupart des cas, à une déculturation erronée .Ce refus malhonnête est souvent dû à une vision endogène anthropophobique "intérieur - extérieur " nourrie par des stéréotypes d'une grande vacuité. Par ailleurs , ces doubles facettes , font de l'immigré Marocain une image de fantomisation à part entière . L'exil est devenu alors un grand couvert qui peut s'étendre aux limites les plus larges , jusqu'à ce qu'il devienne un exil effectif et affectif de très grande envergure .

A notre avis , cette course vertigineuse derrière cette intégration illusoire fait de l'immigré Marocain une personne avec toutes les anomalies et toutes les défigurations socio -culturelles imaginables et imaginaires .Dans la littérature de l'immigration , le sujet de l'exil rend l'écriture et la description de la réalité des immigrés Marocains une sorte d'exaltation de la tragédie ou une "écriture de la "dé-maîtrise" pour reprendre l'expression de Joseph Paré *7 .

Cette dé-maîtrise qui a pour but essentiel de recadrer la situation de la marge des immigrés dans tout l'espace romanesque. C'est ainsi alors que Christian ALBERT nous explique à merveille la signification de cette dé - maitrise :

" La vision unidimensionnelle occidentale qui considère le phénomène migratoire comme un phénomène transitoire ou secondaire à reléguer à la marge ".

Il est cependant très significatif de prendre au sérieux le sujet de l'exil de l'immigré Marocain avec une grande précaution. Cette dé-maitrise et ce déphasage du personnage immigré rend les héros benjellouliens des personnages "fictifs" , ce qui nous oblige par la suite relire ses oeuvres suivant une approche à la fois, plurielle et transversale. La vie de l'exil est une vie qui doit être comprise dans un "ailleurs meilleur" , mais les questions qui se posent dans ce sens sont comme suit : Pourquoi parler de l'exil de l'immigré Marocain ? est-il vraiment un exil ? est-ce un exil subi ou un exil choisi ? l'exil se manifeste-t-il comme une lourde tristesse qui transgresse horizontalement et verticalement toute la constellation parisienne?

Afin de cautériser cette déchirure , il nous parait que le ce sujet d'exil est logiquement en synergie totale avec l'armature générale de notre étude sur " les couleurs de cet exil " . Quoi qu'il soit dit , cet enfermement chaotique demeure une figure criante d'un déracinement colossal dans tous ses sens . L'immigration/ exil se prône alors une grande visibilité sur la scène socio-historique ce qui légitime le rôle de subalterne de cet immigré Marocain . Ce dernier ne trouve aucun moyen pour renoncer à son exil ( choisi ou subi ) . Quand les alternatives sont minimes , l'autodestruction sera fatale. L'exil de l'immigré Marocain se manifeste alors à travers sa migrance* et se solde via sa migritude *8, via l'attachement à ses origines , ce qui explique les effets identitaires de la blessure et à travers la fascination affolante par la civilisation occidentale rayonnante, ce qui explique les effets de déracinement ontologique jusqu' à " La plus hautes des solitudes ".9

Références bibliographiques :

1- Tahar BEN JELLOUN " La réclusion solitaire " Points -roman N 50 . Ed. Denoël.1976.

2-Adelmalek SAYAD " La double absence" Ed. Seuil , 1999 Préfacé par pierre Bourdieu ." Les enfants illégitimes "/ " l'immigration ou les paradoxes de l'altérité" Ed. de Boeck Université , Bruxelles 1991, 331 p

3- Michel LARONDE."AUTEUR DU ROMAN BEUR Immigration et Identité" Ed. L'Harmattan. 1993

4- Driss CHRAIBI " Le Monde à côté " Ed. Denoël , coll. Folio 3836 , 2001.Page53. *

5- Leïla SEBBAR. " Lettres parisiennes : autopsie de l'exil." Ecrit en collaboration avec Nancy Huston, Barrault, 1986, J'ai lu, 1999

6* ALBERT Christian " L'immigration dans le roman francophone contemporain" Paris, Ed . KARTHALA 2005.

7.Joseph PARE, Ecritures et discours dans le romain africain francophone postcolonial, Ouagadougou ( Burkina Fasso ), Ed. Kraal, 1997.

8- La migrance et la migritude : Nous avons utilisé le terme migrance pour désigner la combinaison entre migration et errance par opposition la migritude renvoie au caractère négrier du fléau migratoire.

9* Tahar BEN JELLOUN " La plus haute des solitudes " Paris , Ed. Seuil, 1977 "Points"377.


 


 


 


 


 


 


 


 

Dessins de l'artiste Berbère © Mohamed Charhabi - DR

Dessins de l'artiste Berbère © Mohamed Charhabi - DR

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