Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - GÉRALDINE SERBOURDIN

Publié par ERIC DUBOIS sur 28 Février 2015, 17:47pm

Catégories : #poèmes et nouvelles

Paroles des peaux que sont les plaies sur le corps en pleurs.


 

Plaies d’amour perdues que le corps écrit sur la peau.

Plaies d’âmes qui durent et écorchent le vif du temps.

Plaies léchées mordues épelées

Plaies sous le texte

Plaies seules éparses démangeaisons irritantes indécemment exposées mal cachées mal soignées maladies cutanées des paysages nus et des décolletés échancrés

Plaies qui désagrègent et déséquilibrent le corps total

Qui entament l’identité, malmènent le nom. Massicotent. Asticotent. Plaies mascottes.

Plaies qui font mal à l’intérieur

Plaies à tort

Plaies à mort

Plaies d’ancêtres chroniques, avatars de corps calcinés, broyés, rongés dans les caveaux de marbre gris sous la boue.

Plaies trop étalées au grand jour, pardon.

Désordre de la peau grimée, tatouée, sacrifiée.

Plaies d’amour toujours toujours en cours d’amour quittées et entretenues d’amour mortes à éplucher, à déchirer, en lamelles en allées.

Peaux tristes de ne pas être caressées peaux pour rien peaux tendues d’attendre la main les lèvres peaux ternies et dans les plis ressassées, tassées.

Paroles de paix mais plaies gémissantes peaux arrachées au tissu des mots encore sur le chemin de la conscience plaies du paysage écrit dans le corps peaux des mots serments paroles gelées paroles enneigées blanches et pures plaies et croûtes offertes au ciel découvertes du voile arrachées à la terre des champs labourés dans la nuit.

Paroles de terrien épaules pourtant fragiles nudité des plaies inscrites dans les gènes émergeant des sillons dessinés à la sueur des fronts perlés.

Peaux tannées corps de muscles et paroles étouffées par le temps, couvertes par les rumeurs du matin, interdites pour laisser venir les corps en rut des travailleurs du sol en mal de chair à brasser en besoin d’évacuer en besoin d’éjaculer dans des ventres déjà gros des coups précédents.

Peaux douces mais oubliées sous les plaies qui pleurent sous les pleurs qui coulent des plaies ouvertes par toutes les inconsolées qui traînent, qui se vengent.

Qui parlent et pèlent pour rien

Mendiantes et filles mères sorcières et amantes qui continuent à ne rien dire, à se montrer, à taire les plaies de leurs corps défaits.

Mendiantes et menteuses, aguicheuses et élégantes qui suivent les traces des vieilles parlantes et bonnes mères allaitant et nourrissant leurs couvées sans oser dire sans oser gémir sans oser lire.

Mendiantes escortant les bourgeoises paradant de haut dans les rues piétonnes à la recherche de la petite affaire à suivre à acheter à porter.

Peaux fardées pour effacer les plaies d’hier les paroles premières les coups l’héritage.

Peaux brûlées par le souffle du souvenir, par l’esprit nomade, par le bruit des caravanes branlantes qui strient la ville.

Paroles des peaux que sont les plaies sur le corps en pleurs.


 


 

 

26 Mai 2014, 16h51

 

***

 

 

L’encre de mes larmes tache encore les images inventées.


 

Linceul de sang caillé.

Pour entendre l’écho du silence de l’enfance calfeutrée. D’une moi d’il y a longtemps, jadis renseignée. Un peu seule au demeurant. Les yeux fermés pour veiller.

Pour réciter des sons, pour rythmer des allures, pour essayer.

Mon corps est plein de mes absents, occupé de leurs défaites, attaché à leurs mains gercées du temps qui passe, qui a longtemps passé près d’eux, à côté de leur vie sans les prendre au sérieux.

Ils riaient à leurs dépens.

Temps des guerres toujours à gagner. Des hommes vrais. Des engagés. Des revenus de loin. Des inadaptés du coup. Des femmes aux jambes dodues dans la salle de bal. Aux coutures à même la peau pour faire beau.

Mes mots doivent combler leur béance, et je suis fatiguée, sans allant, alourdie d’eux.

Longtemps j’ai supplié les hommes d’éplucher mon chagrin, de squatter ma vie pour me débarrasser des fantômes insistants, de me caresser encore pour me rendre polie, douce et sans aspérité, sans cet esprit revanchard et rebelle à la vie. Longtemps j’ai crié dans leur bras, avide de leurs baisers et offerte à leurs mots.

Prête au pire.

Vaine réclamation restée sans réponse sur la surface de ma mélancolie, sans effet sur moi. Vierge rabougrie.

J’ai toujours vécu vieille et ils ne m’ont pas rajeunie, rafraîchie, les bougres.

Je ne suis faite que de leurs souvenirs emmêlés au destin des patries, matière vide de choses nées, âme creuse.

Je ne suis écrite que de traces de noms anciens, de chemins disparus, de maisons rasées, de souches dessouchées, de pleurs de honte.

Je ne suis entendue que du creux des tombes.

Je me suis encore tue.

Mon corps se plie d’être ainsi recouvert.

Du calice à venir ma bouche s’impatiente.


 


 

1r Décembre 2014, 15h31

 

 

 

***

 

 

 

 

You want to fuck pour cinq euros


 

Elle est maigre et dépenaillée, en sandales sales et trouées. Des chaussettes s’enroulent sur sa maigre cheville. Elle mordrait du pain si elle en avait. S’il en traînait. Si on lui en apportait. Elle crève d’envie de mordre dans du pain même rassis mais du consistant, du solide, de la nourriture vraie, qu’on garde un peu dans la bouche, qu’on prend le temps de mâcher, un truc qui tient au corps, pas du choux. Les choux pourrissent dans les gourbis qui les abritent. On n’est pas des chèvres ! Des grosses femmes dévouées déversent des choux dans des marmites pour les réfugiés.

Elle s’approche et crie en mêlant les langues :

On n’est pas des chèvres, on a faim, c’est l’enfer ici, on en a marre de l’enfer. Fuck.

Son ventre crie famine alors elle va frapper à des portes, sa voix se fait toute petite, un filet de voix pour offrir son corps vide, une grimace pour se vendre et pouvoir mordre dans du pain.

Comme un ordre, une supplique, une menace.

You want to fuck pour cinq euros.

Il ouvre et lui indique le lit, c’est ok. La tête baissée sur la braguette qu’il ouvre lentement, il s’étend sur elle. Il relève le corsage à fleurs qui couvre sa poitrine pour fixer les seins et ne pas croiser ses yeux. Pas la peine.

Son ventre se tord sous les coups répétés de l’homme lourd. Elle voit sa chaussette restée nouée autour de sa jambe repliée et sent l’odeur de la mer sur le corps qui s’agite. Elle prend son mal en patience. Le temps qu’il y arrive, qu’il finisse, qu’il se vide. Elle pense à du pain et ferme les yeux.

La mer les lave et les avale aussi. Elle se lève et essuie son ventre sali. Il lui tend le billet de cinq euros qu’il sort de la poche de son pantalon qu’il a remonté. Il la laisse s’en aller sans se relever, allongé il lui sourit quand même. Elle se le tient pour dit. Elle reviendra. Il voudra encore lui. Elle mangera du solide.

Dehors le vent glacial la saisit. Elle plie son corps pour remonter ses chaussettes sur ses jambes amaigries.

Elle pense à du dur, du sec, du pain, un toit, sa terre, sa langue. Elle marche en maudissant cette mer et le retour des marées, le retour des vagues d’hommes, les départs, les naufrages, les échappées, les aller et retours, le va et vient, les hommes et leurs sexes dans son ventre, le vent qui balaie le sable, le sable qui pique les yeux, les larmes qui coulent, le sperme qui s’échappe encore et coule entre ses jambes jusqu’aux chevilles.

Jusqu’aux chaussettes repliées.

Elle marche en priant pour de la terre ferme. Elle prie pour que s’éloigne la mer, elle vacille, elle trébuche, corps fragile balloté par le vent, esquinté, pénétré pour du pain.

Pour cinq euros you want to fuck.


 

 

27 Février 2015, 15h35

 

 

 

***

Au rythme des labours surannés


 

Il est des lieux anachroniques où les mots sont près de la terre, où il semble que les turbulences du monde ne soient pas arrivées jusque là, rejetées, incompatibles avec les arbres, les pierres, les places de l’église et les commerces de proximité. On y marche comme dans le temps. Comme dans les beaux livres de Colette ou ceux d’auteurs réactionnaires. On y parle saveurs, parfums, maraîchers et produits régionaux. Protégés, on avance à contre courant de ce que les fleuves éloignés charrient de misère décomposée, disséminée, de ce que les ondes propagent de contrevérités. On sourit, plein d’urbanités. On a envie de relire Modiano, de l’écouter hésiter, de l’écouter écrire, raturer, renoncer à finir ses phrases, on pense paix, sérénité, caillou, soupe et Yann Andréa. Armoires normandes et détruire dit-elle, on est un peu chez soi dans cette zone d’accalmie, on est chez soi dans cette chambre louée, on est chez soi plus que dans sa maison, plus que près des bruits de son toit, plus qu’avec ceux qui vous réclament, vous demandent, et finissent par vous encombrer, ceux que peut-être on n’aime plus. Les proches.

Dans cet exil de miel nous reviennent toutefois encore plus nettement les cris stridents des oubliés, les hurlements des mers froides et surpeuplées, les ciels désespérés.

Dispersés dans mon corps la souffrance se répand en mots près de la terre, dans les sillons de l’encre noire au rythme des labours surannés.


 


 


 

dimanche 28 décembre 2014, 11h29,

dans ma chambre d’hôte, Cournon d’Auvergne,


 

***

 

Sur la page échoués


 

Mon corps est leur tombeau vidé de leurs dépouilles, exsangue contenant qui déborde de leurs cris à la mer qui les avale, qui en regorge et les vomit. Leurs corps engloutis peuplent ma nuit et habillent mes mots devenus creux, inutiles. Mes mots d’ici loin de leurs ténèbres, de leurs secousses, de leurs marées. Sans plus aucun sens, vraiment.

Des mots déshabillés, désincarnés.

Des mots qui ont la peau sur les os. Et leurs yeux pour pleurer.

Des mots qui partent en vrille, qui sont emportés par les courants hostiles, les idées noires.

La page se brouille de membres noyés, d’épaves grouillantes, de bras enchevêtrés dans la mémoire coupable.

La page, enfant, était nue, propre et lisse.

La page prend le temps de s’écrire dans le silence mais se tend de tous les rêves arrêtés. Se froisse et se tait.

Vaine étendue de pâle blancheur.

Les nuits sont noires de ce monde qui s’en va, de ces gens qui traversent mon corps et la mer clandestine, inconnue, large et en colère, vaste et sévère, les vagues se heurtent à la peau comme des draps qui se rebellent. Du sable qui pique aux yeux, des néons qui aveuglent. Des fils de fer barbelés qui rappellent des heures en uniforme.

Mon corps est malade des blessures exilées, les enfants parqués là sont les miens plus encore que celui que naguère a abrité mon ventre, aujourd’hui mon étranger, mon sang.

Loin du souffle de leurs bouches que reçoit la mer complice et traîtresse, calme avant le chaos, je recrache ce qu’elle vomit. Des masses de chair gonflée d’eau salée qui vont faire des phrases, qui vont soulager des âmes, qui vont construire des châteaux ça et là, et réjouir des poètes.

Mercredi 24 Décembre, 15h57

 

 

 

GÉRALDINE  SERBOURDIN

 

 

 

 

Elle se présente :

 

 

 Je suis enseignante en théâtre, agrégée de Letttres, je vis à Lille.

 

Je suis publiée par la Nouvelle Revue Moderne. le dernier numéro Sur un canapé d'encre, est consacré à mes textes en écho aux collages de Philippe Lemaire. J'aime écrire en écho à des images, tableaux, performances, photos.

 

http://nouvellerevuemoderne.free.fr/bulletinNRM35.htm

 

 

 Traction Brabant vient de publier mon texte Une ombre de soi vaut mieux que d'être dans son dernier numéro, Charlie par coeur.

 

Et la revue Verso publie un texte de moi dans son prochain numéro.

Géraldine Serbourdin - DR

Géraldine Serbourdin - DR

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G
être capable de comprendre les inconsciences, les moindres "rabicoins" des êtres ou leu sauvagerie n'est pas donné à n'importe qui... bravo et merci !
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H
Bonjour,<br /> Je suis touché par vos textes dont celui paru dans Traction-Brabant. Merci!<br /> Cordialement,<br /> Hervé
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C
Magnifiques poèmes.<br /> Combien on sent que tout cela vient de loin...Très loin...<br /> Donnez-nous encore de cette souffrance là!
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B
D'où vient cette douleur ?
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