Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - MARIE-HÉLÈNE PROUTEAU

Publié par Le Capital des Mots sur 5 Mars 2019, 18:21pm

Catégories : #articles - articles critiques

Pierre Tanguy, Un chant parmi les ombres, La Part Commune, mars 2019, 94 pages, 13 e. Préface de François de Cornière


 


 

Le promenoir de Pierre Tanguy


 

Dans l’espace des pages de ce recueil s’inscrit un cheminement. Celui du poète qui, touché par plusieurs deuils, se questionne. Devant la mort, devant l’absence douloureuse et interrogeante à quoi nul n’échappe.

Les vivants et les morts, La louange, Le royaume, l’éternel sont les titres des quatre moments. Etonnamment, le livre conjoint dans un même mouvement le questionnement sur la mort, sur un possible au-delà et le trajet d’une expérience sensible au plus haut degré. Sous la plume de Pierre Tanguy, les bruyères, les oiseaux de mer, les champs ont autant de valeur que les idées abstraites, « la mort… un passage », « la vie éternelle ».

Le recueil se place sous la bannière des poètes familiers dont des vers ponctuent l’introduction de chacun des quatre moments. Gustave Roud, Georges Haldas, Sohrab Sephéri, François Cheng, Hélène Cadou, Philippe Jaccottet, Eugène Guillevic accompagnent ce beau texte.

La parole circule des êtres chers qui sont morts aux vivants. Elle passe des éléments de la nature auxquels le poète s’adresse à ses petits-enfants qui les découvrent, émerveillés, dans ses paroles. Il est beaucoup question de transmission de paroles, de gestes simples et décisifs. Le père, la mère, le poète, l’ami, l’homme de foi, le sage oriental sont là, premiers initiateurs et éveilleurs, voix et présences tutélaires, simplifiées au point qu’elles en deviennent des figures universelles. Celles que nous croisons tous et qui soutiennent en chacun de nous l’énigme de vivre.

Ce livre est un récit-poème.

Une étonnante fluidité se dégage de ces pages, singulièrement écrites au passé – verbes au passé composé et imparfait. On chemine à travers les sentiers et les grèves. On chemine aussi dans le temps, de l’enfance à l’autre enfance. Comme si, allant de celle du poète à celle de ses petits-enfants qui naissent, se bouclait en retour sur lui-même le mouvement de la vie et de ses transmissions.

Le choix d’écrire le plus souvent à l’imparfait est une vraie réussite : les gestes, les situations, les relations à l’autre, tout ce qui fait le tissage de ce livre se voit pris dans un processus qui semble sans fin, comme si rien ne pouvait s’arrêter :

[Les enfants] ils buvaient au goulot

les parfums de la terre

qui affluaient sans répit

vers leurs petites gorges


 

Art de la répétition qui restitue dans cette relation à l’imparfait l’impression de se prolonger dans une éternité espérée.

Le souci permanent chez Pierre Tanguy d’un certain prosaïsme, d’une extrême simplicité s’illustre ici plus que jamais. Le chant est là pour célébrer la vie. Il y a l’apprentissage du monde dans l’enfance, l’irrémédiable de la mort des parents et amis, la vie qui se perpétue, la vie qui advient, mêlée de près à la mort :

Au chevet de sa mère mourante

une jeune femme allaitait son bébé


 

Humilité de la parole poétique. Il ne s’agit pas d’être brillant mais de transcrire les accents du cœur. C’est le sentiment qui est premier. La conscience de ce qui est perdu pour le poète témoin de la fin de vie de ses parents, pudique déploration. La joie qui vient le combler dans la venue d’une petite fille, un jour d’Epiphanie. L’émotion est palpable, inscrite dans le passage au tutoiement affectueux qui clôt le recueil sur une note radieuse.

L’inspiration spirituelle assure la hauteur du poème. Les mots mêmes, la « louange », le « royaume » ouvrent aussi bien au simple réel quotidien qu’ils peuvent se faire le support d’un autre monde qui est là, coprésent au nôtre. Pierre Tanguy nous le rend tangible en peu de mots :

Le paradis est là

il est en miettes autour de nous

et nous ne le voyons pas

il suffit de s’incliner et de le recueillir


 

À la mort qui frappe et se répète cruellement, emportant les êtres chers s’oppose un antidote. Non pas quelque chose de spéculatif mais des marques à peine saisissables, le vol des oiseaux, l’élan des arbres, signes les plus à même de faire signe du côté du spirituel :

Il n’y avait de mots possibles

que dans l’ardeur des sèves


 

Le chagrin pouvait alors

rendre les armes


 

De ces profondeurs de l’humain qui nous dépassent Pierre Tanguy a fait ce chant où l’emportent les mots de la vie. Dans la simplicité de l’essentiel.

 

© Marie-Hélène Prouteau


 

 

MARIE-HÉLÈNE PROUTEAU

Elle se présente : 

 

Marie-Hélène Prouteau est écrivain et critique littéraire. Professeur agrégée, elle a enseigné les lettres et la philosophie. Elle est auteure d’études chez Ellipses (Homère, Gogol, la poésie russe, Yourcenar…) de romans Les Blessures fossiles, Les Balcons de la Loire (La Part Commune), L’Enfant des vagues (Apogée). Elle écrit dans diverses revues, Europe, Recours au poème, Terres de femmes, Encres de LoireLa Pierre et le sel... Elle écrit surtout de la prose poétique. Son livre, La Petite Plage (La Part commune) est « l'autobiographie d’un lieu » (sélection du prix J.J.Rousseau 2016). Le Coeur est une place forte (La Part Commune 2019) son dernier livre, titre emprunté à Celan fouille les décombres des guerres à partir du livret militaire perdu d'un aïeul.

 

http://www.m-e-l.fr/,ec,979

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Marie-Hélène Prouteau. Photo : © Mireille Lacour - DR

Marie-Hélène Prouteau. Photo : © Mireille Lacour - DR

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