Ce qui n’a pas de nom, Gérard Pfister, éd. Arfuyen, 2019, 19,50 €
Souffle
J’ai abordé le dernier livre de Gérard Pfister, poète et fondateur des éditions Arfuyen, avec l’espoir de trouver l’énigme de ce gros livre, qui comprend dix parties, 4000 vers répartis en deux fois un distique, soit 1000 strophes. Je me suis aventuré à cette lecture au long cours, car je viens de connaître une autre lecture, cette fois-ci des Canzionere de Pétrarque. Mais, ici, ce n’est pas Laure qui occupe l’esprit du lecteur – Laure et ses arcanes – mais plutôt un « Elle » à la fois divinité, femme, figure sacrée, image de l’Aimée, et sans doute fidélité et dévotion à la Vierge – dont le poète n’écrit pas le nom, mais nomme les attributs : son voile, son manteau, une Vierge aux douleurs, une Vierge à la Nativité par exemple. Ainsi, le poème rend naturel le monde des anges, des archanges avec sans doute une vision spirituelle du monde. D’autre part, nous sommes aussi non loin de Venise parfois, de la Lagune et de ses changements de couleur, Venise qui traverse le temps à sa façon comme le proposent les poèmes.
Il faut noter encore que la peinture tient un rôle indéniable au milieu de ces milliers de vers, non pas comme images – fussent-elles celles de l’édification Baroque – mais comme principe de matière ; comme le silence reste ce qui cerne le poème, ce qui lui donne sa forme et lui fait toucher à une sorte d’invisible, la peinture est substance en même temps qu’essence. Oui, le visible et l’invisible se côtoient en une espèce de dialectique entre forme poétique et monde réel, comme appréhension du monde, monde immatériel que la grâce de la poésie rend accessible, et avec elle le caractère insondable des choses. Ce qui n’a pas de nom semble à la fois désigner le but spirituel du poète, de Gérard Pfister ici ou du poète en général, et le silence de la lecture à voix basse, de l’impression intérieure, cet l’impact sourd de ce qui se nomme sans se nommer.
C’est là un des aspects de ces secrets que j’ai cru pouvoir observer, et tenté d’élucider, c’est-à-dire la possibilité d’exprimer depuis la matière du texte, une musicalité au milieu du sens des strophes : produire du vivant, du multiple, du profus à partir de quelques javelles de langage, ce qui se caractérise à mon sens dans la fluidité des poèmes, oui, des 1000 poèmes.
Hélas tous ces essaims d’anges
dans les coupoles sur les murs
pour remplacer
ceux que nous avons perdus
ou
Mais toujours
les mots disent l’être
et l’évidence
leur échappe
ou
Comme l’enfant
dans les bras de sa mère
la contemple
et dans se bras le héros mort
ou
Toi
vêtue de bleue toujours
la mère
aux mille enfants
Je cite presque au hasard, mais ces vers donnent un bref aperçu des chemins qu’aborde ce long volume poétique, qui se comprennent, du reste, plus comme des chemins qu’un cheminement, car l’esprit s’empare de chaque texte, de chaque strophe, en allant parfois poursuivre vers d’autres strophes la continuité d’une image ou d’une idée, mais toujours renouvelant son rythme de lecture, son régime intellectuel. En ce sens, puisque la peinture a de l’importance, j’ai cherché chez le peintre du blanc, chez Robert Ryman, cette intelligibilité de l’aspect purement spirituel de ces poèmes sans images. Ryman n’est pas tout à fait le peintre du blanc – au titre où Soulages est le peintre du noir – car il recouvre des surfaces colorées de peinture blanche laquelle laisse apparaître la lutte du peintre pour créer. Ainsi, les poèmes sont-ils polis, abrasés pour les rendre ensemble expressifs et tributaires d’une forme fixe. Expression peu imagée, animée parfois de détails très précis de l’environnement de l’auteur, mais juste comme on fixe un espace, une tension intérieure. Peut-être trouverait-on la puissance de la musique d’Arvo Pärt dans un style sans modulations, une poésie atonale en un sens ?
Et comme je parlais plus haut de cette énigme que je cherchais à circonvenir, je ne suis arrivé à élucider cette question que me posait ce gros ouvrage dense et important, qu’à la toute fin de ma lecture, dans la section des 900. Cette traversée trouvait son sens dans le simple mot : souffle. J’ai été conduit par le poète à la légèreté, l’ascension, en un mouvement ascendant, un survol, la spiritualisation aérienne d’une pensée un peu mystique tout de même.
Sans cesse
dans l’eau cette apparition
et c’est nous
qui flottons dans l’air
ou
Au-dessus de l’eau sombre
que s’élève dans l’air
la coupe vide
de la contemplation
ou
Quand les arbres si haut
hissent les voiles
que tout semble près
de s’envoler
Ce sentiment m’a été d’un grand secours pour essayer d’aborder avec cette note de lecture, un point de rassemblement de mes sentiments qui évoluaient lentement vers ce moment de grâce à quoi on pourrait résumer quasiment chaque strophe, sans oublier qu’elles sont sujettes aussi à une assez grande variété. J’ai trouvé la même issue que dans ma lecture précédente de Pétrarque, lequel achève ses poèmes dans la puissance salutaire et haute du soleil, moment d’élévation, de stupeur en quelque sorte. Là l’issue.
DIDIER AYRES
Il se présente :
Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il se consacre principalement à la poésie. Il a publié essentiellement chez Arfuyen. Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il gère les ateliers d’écriture créative à l’université. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire et Recours au poème.