Envol
Je me souviens
Je me suis endormie
Il est parti.
Dans un dernier souffle
D'un battement d'ailes
Ceux qui nous aiment
Partent en catimini
C'est ainsi
Sans déranger
Sur leur visage
Enfin reposé
Ils laissent un message :
Quand je t'ai vue
Si douce, endormie
Au bord de mon lit
J'ai senti venu
Le moment choisi
De laisser filer
Ce souffle de vie
Je n'en voulais plus
Pardonne-moi
***
Après
A chaque instant, tu trébuches
Sur son absence
Désert de tes jours
Ta main se referme
Sur le vide
Froidure nocturne
Ta voix ne rencontre
Aucun écho
Horizon fluide
La vie offre et reprend
C'est ainsi
Pleurs épuisés
Tout est à vivre
Ne ferme pas la porte
Battement de cœur
***
C'est fini
Tu ne tiens plus ma pensée
Dans les rets de nos souvenirs
Je n'attends plus ton appel
Je n'entends plus ta voix
Ma main perd l'habitude
De chercher ton contact
Même ta fine silhouette
S'estompe sans regrets
L'absence s'est comblée
Elle-même de lassitude
La souffrance se retire
Et me laisse respirer
Pour qui
Pourquoi ?
***
Je marche
Je marche.
Le verdict était tombé: trois mois. Des complications avaient rendu les soins inefficaces. Cela faisait des mois que tu te battais pour surmonter la maladie, pour supporter les traitements lourds.
Et le médecin avait conclu: « Trois mois. Avec de la chance et la chimio.»
Tu m'as souri, de ce sourire ineffable, si doux, si plein d'amour et de tendresse, que tu as pour tous. Et pour moi. Tu as murmuré, épuisée: « Trois mois, c'est trop ; emmène-moi voir la mer. »
Nous sommes allés au Tréport. Le matin, je te portais sur un transat, sur le balcon devant notre chambre, emmitouflée dans un plaid. Tu avais toujours froid. Tu as toujours cherché la chaleur, blottie contre moi.
Puis tu n'as plus quitté le lit. Je te préparais des plats que tu ne touchais pas. Alors, j'ai pris ton pauvre corps si fragile dans mes bras, en essayant de ne pas te faire souffrir. Et je suis resté avec toi, ta tête contre mon torse. Enlacés, jusqu'à la fin. Tu es partie en regardant la mer par la fenêtre. Tu aimais la mer.
Je marche.
Tu voulais faire le pèlerinage de Compostelle. J'ai cédé mes parts de l'entreprise familiale à mon frère et je suis parti faire ce voyage pour toi. Que voulais-tu trouver sur ce chemin? J'avale les kilomètres par tous les temps. Je subis les marches forcées, les haltes plus ou moins confortables, les repas pris sur le pouce ou dans des gargotes, les dortoirs puant la javel, les pieds et les chaussettes trempées. Et surtout, cette atroce promiscuité, ces gens qui voudraient me parler, se raconter, rire. Oh, rire... Ton sourire flotte toujours sur tes lèvres, mais ton rire est si loin.
Je marche.
Nous étions si bien, heureux. Chaque pas attise ma colère, ma fureur, ma haine d'être en vie sans toi. Pourquoi moi, pourquoi nous? Comme si nous devions être indestructibles. Que vais-je devenir maintenant, amputé de toi, la meilleure part de moi? Mes projets n'ont plus de sens. Ma vie n'est plus, morte avec toi.
Voila, je suis arrivé place de l'Obradoiro. Dans la cathédrale une messe débute, aux chants apaisants, sans doute.
Ma rage intacte, je reprends la route. Tu voulais voir Lhassa. Le temps est tout ce qui me reste.
Je marche.
GABRIELLE BUREL
Née en 1957 à Morlaix dans le Finistère, vit à Nantes.
Fascinée par l'océan; aime jouer avec les mots, leur insuffler un rythme, surprendre le lecteur avec des histoires amusantes ou prises sur le vif