Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS- LAURE WEIL

Publié par ERIC DUBOIS sur 27 Novembre 2013, 18:42pm

Catégories : #articles - articles critiques

 

La Vénus à la fourrure

film



Le cinéaste Roman Polanski s’inspire du livre de Sacher Masoch pour nous livrer une joute oratoire entre un créateur et sa muse, entre un homme et une femme qui s’engagent sur les limes de la séduction sans jamais conclure. Le film est à l’image des œuvres d’art actuelles qui présentent autant un enjeu dans leur processus de création que dans leur réalisation. L’artiste Marcel Duchamp dans son œuvre La Mariée mise à nu par ses célibataires, même dite Le Grand Verre (1915-1923), parle d’un érotisme délibérément désincarné et distancié pour parodier la prétendue objectivité des sciences : « Cela m'intéressait d'introduire le côté exact et précis de la science, cela n'avait pas été souvent fait. Ce n'est pas par amour de la science que je le faisais; au contraire, c'était plutôt pour la décrier, d'une manière douce, légère et sans importance. Mais l'ironie était présente.* »

De la même manière, le sadomasochisme du film est moins un plaidoyer d’une pratique sexuelle qu’une façon de parler du mécanisme d’un désir qui devient essentiel.

Emmanuelle Seigner incarne une lumineuse actrice qui a pris le pouvoir sur son taciturne metteur en scène, Thomas interprété par Mathieu Almaric (prénom peut-être emprunté au saint du même nom qui ne croit que ce qu’il voit). Le théâtre est le temple de l’illusion où les actrices se transforment en déesses et les metteurs en scène en dieu tout puissant. Beau film de clairs obscurs où le cuir noir et un collier de chien ont remplacé la fourrure et les perles des Vénus peintes à la Renaissance. Vanda sait être vulgaire et délicieusement séductrice, chiante et effarouchée. Elle joue de toute la palette de la séduction pour nous plonger dans le trouble d’une identité qu’elle s’ingénie à rendre insaisissable. Un miroir des fantasmes masculins auquel on croit qu'elle va réussir à se soustraire en femme émancipée. Mais pour jouer la pièce, il faut être deux, homme et femme pour se donner la réplique et finir par échanger de rôle. L’écrivain Nancy Houston parle de la menace du désir des hommes dans un monde où le corps devient un produit comme un autre qui se banalise en se conformant à des clichés. Elle écrit : « Grâce à nos médias performants et omniprésents, on reçoit chaque jour d'innombrables messages sauvages primitifs antiques pour ne pas dire préhistoriques : l'homme est un guerrier déchaîné meurtrier musclé violent ; la femme est une chose à décorer, à maquiller, à habiller, à déshabiller, à protéger, à sauver, à frapper et à baiser. Les hommes se rentrent dedans, en politique, en économie, en sport, sur les champs de bataille, les femmes s'occupent indéfiniment d'être belles et/ou maternelles. » (Le désir des hommes livré à l’industrie du prêt à jouir, Le Monde du 10-11-2013).

Vanda joue les différentes facettes de la féminité auquel elle oblige le metteur en scène à se confronter à son tour. Thomas et ses chaussettes rouges, coincés dans des hauts talons vernis, maquillé de rouge à lèvre, un collier de chien autour du cou, ligoté à un cactus géant en carton pâte est transfiguré. Symbole phallique livré à la danse furieuse de l’actrice devenue bacchante. Qui sacrifie-t-on ? Un homme qui a perdu sa virilité ou une femme qui se comporte comme une guerrière. On ne sait plus. Dans cette guerre des sexes, chacun défend son territoire, ose se mettre dans la peau de l’autre, tour à tour dominant et suppliant. Prétextant une simple répétition théâtrale, les corps font semblant de se serrer la main, de se caresser, de s’embrasser, d’être fouetté. Tout n’est qu’illusion et chacun part seul de son côté, dans cette confusion des genres et des rôles où on ne sait plus qui de l’homme ou de la femme a triomphé. Sur la scène de ce théâtre, Roman Polanski explore les méandres d’une relation amoureuse et la genèse d’une œuvre qui ne passent pas tout de suite à l’acte mais laissent à la parole, le temps de la séduction. Un théâtre où la fabrique du désir apprendrait à créer et où le jeu de la cruauté apprendrait aussi à aimer.

 

 

* Citation de Duchamp extraite du livre de Pierre Cabanne, Entretiens   avec Marcel Duchamp, Belfond, 1967, réédition en 1995 par Somogy, Éditions d'Art, Paris.

 


27 novembre 2013

 

 

LAURE WEIL

 

 

Elle se présente :

 


Professeur agrégée d'arts plastiques, je suis aussi curieuse de littérature, de cinéma et  d'architecture. J'ai fabriqué quelques livres d'artistes, dont le lien entre eux semble être l'effacement. Livres restés confidentiels. J'écris généralement pour restituer une rencontre avec une œuvre, qu'elle appartienne au champ des arts plastiques ou au cinéma.
Je cherche à diffuser mes textes parce qu'il est plus facile de se motiver à écrire régulièrement quand on sait que ses textes sont susceptibles d'être publiés.
Mes écrits sont nourris par ma culture des arts plastiques et par ma liberté à jouer avec les mots, comme s'il s'agissait de couleurs pour un peintre.



  

 

 

 




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