« Portrait de l’oiseau qui n’existait pas »
Echoués dans un hôtel près de Roissy, un homme d’affaires américain en transit et une femme de ménage cherchent leur envol pour échapper à une vie en miettes.
Lui parle de son usure à vivre avec son épouse dans un état de guerre permanent et on devine pour la femme, l’aliénation d’un travail où personne ne prête attention à elle. Un état de non retour où on s’est retiré de soi pour servir les intérêts des autres.
L’aéroport est montré avec ses accès labyrinthiques, ses lacets et chemins qui se croisent. On dirait une force centrifuge qui attire les voyageurs avant de les éjecter à l’autre bout du monde. Un espace où on se côtoie sans se voir, un entre deux climatisé avec lit king size et fioles alcoolisées. Un confort aseptisé où on dépose ses valises le temps d’une escale dans l’attente d’une correspondance.
Combien de voyages fait-on sans partir ?
Chaque jour, des milliers d’usagers prennent le RER pour rejoindre leur lieu de travail. L’œil pousse la porte de leurs pensées. Assis, le spectateur interprète chaque expression, déchiffre les visages, passe d’un être à un autre sans souci de se fixer. Une trame humaine se dessine dans l’indifférence des passagers.
Mis bout à bout ces allers-retours finissent par peser. La jeune femme calcule ses quarante heures de trajets mensuels pour se rendre au travail. Une cinquième semaine qu’il faut bien caser quelque part entre le jour et ses lendemains.
La peur d’être en retard devient cruciale dans un aéroport. Un cendrier est rempli de cigarettes à moitié consumées. Dans sa chambre, les chiffres du réveil électrisent l’homme qui ne parvient pas à trouver le sommeil. L’étroitesse de l’ouverture bridée l’empêche de respirer.
Les cadres se multiplient.
Un moineau se pose sur la vitre qui sépare le train du quai.
Repoussé énergiquement, le rideau laisse rentrer la lumière dans la chambre.
Par son rétroviseur intérieur, le chauffeur de taxi tente d’engager la conversation avec son client.
Dans l’immeuble d’en face, le regard épingle une femme dans sa cuisine.
Un détail surgit subitement par delà la baie d’une salle de réunion surplombant la capitale.
La rupture du couple séparé par des milliers de kilomètres se produit par écrans interposés.
La dissolution des normes fait vaciller les certitudes. La métamorphose du rêve s’opère la nuit, quand les hommes se retirent dans leurs chambres pour tromper leur ennui. « Le rêve d'un Oiseau-Qui-N’existe-Pas, c'est de ne plus être un rêve » écrit le poète Claude Aveline.
L’oiseau se jette donc dans le vide pour échapper à ses servitudes et observe par la fenêtre les hommes rendus à leurs solitudes :
Une vieille qui mouille encore de désir.
Un corps nu d’une femme mûre s’offre à son amant.
Deux jeunes agitent leurs manettes de jeux devant le poste télé accroché au mur comme un tableau.
Un peintre chinois trace à l’encre les lignes du moineau qui suspend son vol un instant.
Le réceptionniste quitte l’hôtel pour aller se garer plus loin et dormir dehors dans sa voiture.
La réalisatrice Pascale Ferran n’occulte pas les problèmes de notre société prise dans sa course effrénée au profit. Elle a juste posé sa caméra dans un no man’s land.
Les deux principaux protagonistes échangent quelques paroles et s’étonnent du double sens du mot « personne », à la fois celui qui désigne un individu et celui qui évoque son absence. Métaphore d’un homme moderne qui ne sait plus qui il est et qui ressent subitement l’absurdité de sa condition.
Toute la délicatesse de ce film tient dans ces fragments de vie que la réalisatrice ne cherche pas à recoller. Avec pudeur, elle montre des êtres humains dans leur dénuement. Il s’agit d’une ode à la liberté, celle de picorer la vie pour retrouver le plaisir d’être sans rien face à elle. Renouer avec des sensations de peur, de froid, de faim ou de soi peut-être tout simplement.
14 juin 2014
LAURE WEIL
Elle se présente :
Professeur agrégée d'arts plastiques, je suis aussi curieuse de littérature, de cinéma et d'architecture. J'ai fabriqué quelques livres d'artistes, dont le lien entre eux semble être l'effacement. Livres restés confidentiels. J'écris généralement pour restituer une rencontre avec une œuvre, qu'elle appartienne au champ des arts plastiques ou au cinéma.
Je cherche à diffuser mes textes parce qu'il est plus facile de se motiver à écrire régulièrement quand on sait que ses textes sont susceptibles d'être publiés.
Mes écrits sont nourris par ma culture des arts plastiques et par ma liberté à jouer avec les mots, comme s'il s'agissait de couleurs pour un peintre.