CHUTES
Dans ce tout
il n'est rien
qui ne tombe
et m'atterre
ne tombe
et fasse un trou
mais souvent
ce dernier
est premier
et se hausse
à hauteur
d'un principe
menace d'un vide
opposé à l'extase
Tout est ancien
trou clair
noir principe
quelquefois une symétrie
s'abolit sur un drôle d'horizon bleu
Guerre trouvée
puis perdue
déjà regrettée
retrouvée
reperdue
pas de chance
c'est peu dire
et c'est pire
de ramasser ces chutes
de loin en loin
sur des bas-cotés de terrain-vague
les chutes d'un grand Alphabet
Le problème est-il latéral
collatéral central
chacun s'en moque
comme de Colin-tampon
mais on parle et se gausse
Un principe remonte toujours d'on ne sait où
prétend à l'universel
et monte si haut ma foi
que tout devient quantité négligeable
Vu du fond du ciel
le désastre n'est qu'un mot
De loin les montagnes d'ordures sont belles
et les enfants qui vont chercher
de quoi vivre un jour de plus
ressemblent à des insectes
Vague le trait
on ne voit pas l'âme
vague l'idée d'un autre
vague l'image
épaisse ou ténue c'est selon
Vague la menace
menaçant le bruit
trouble la source
et si vague l'écho de nos paroles
Mais dans ce tout si vague
où par moment se dissipe
une image qui n'a pas su nous rendre sage
il n'est pas même un mot juste
ni juste un mot nécessaire
qui ne ressemble à une taupe terrifiée
Dans ce tout avec les anges
nous tremblons
devant la beauté
Vincent ne vois tu rien venir ?
***
ENFIN AUTREMENT
Tout n'est-il
que fil
et fer
rouillé par l'air
et l'eau
qui nous rappelle
que son absence
est notre mort
Nous sommes
dans notre élément
de silence
mais qu'il vienne
à se déchaîner
et nous demeurons interdits
sans yeux pour pleurer
Partout la sueur
universelle
est plus-value
Or du ciel
ne tombe que suie
les penseurs homologués
inversent le sens de la pluie
charlatan qui voudrait croire
que nous somme nés
de la dernière
Mais retors
comme des vers la soie sous terre
nous filons du mauvais coton
Fibre dure dure
le verbe travaille sous la peau
tantôt tiraillant à l'arrière
tantôt poussant vers l'avant
le temps file le train au temps
Dans les coloquintes
il coule un noir mouron
Personne ne connaît ce mélange
On ravale des mots
dans des gorges glacées
Car parler n'a jamais été aussi hasardeux
On court au petit malheur la chance
d'une affaire qui va lentement
Ce n'est qu'en rêve au fond
qu'on a de la faconde
Même mort on parle encore
On va mieux qu'avant
enfin autrement
Nombreux sans tête
sans-logis sans-papier
on se sent égaux
pas loin d'être fraternels
et presque libres
en pays étranger
***
CHEYENNE
J'ai connu le fouet du plaisir
le fouet des idées
le fouet de la pluie
Je voudrais simplement ta peau contre ma peau
Cheyenne j'ai vendu la mienne
contre celle d'un ours mal léché
je n'en ai plus pour longtemps
à me chauffer au feu blanc de l'indifférence
Bientôt on coupera le bois d'ici
j'entends déjà la forêt gémir
j'entends la taupe et le ver
qui me parlent de terrier où me cacher
Tu vois ma guerre n'est plus un jeu d'enfant
ma solitude n'est plus un nid
je ne vole plus je ne plane plus si haut
je danse cependant dans la nuit
Je trempe ma plume dans l'encre rouge
je me lève au soleil couchant
pour étudier la stratégie des rêves
oui la guerre toujours la guerre contre tous
non que je sois pour mais je suis obligé
mon coeur est révolté
et mon corps n'a pas tort
de lui donner raison
Je n'aime pas le jour qui ment effrontément
et fait encore bonne figure
le jour irréprochable
si gris qu'il griserait même les morts
La nuit je suis lucide je vois clair
je retrouve tous les chacals tels qu'ils sont
quand ils ont quitté leurs costume
je tends mes pièges un peu partout
C'est facile tu sais au bout du compte c'est facile
tu accroches un jambon à ta porte
tu leurs tends un miroir déformant
avec leur noms en grosses lettres
et les voilà qui se prosternent tous
oublieux pourtant que la veille encore
ils n'ont pas répondu à ta pauvre demande
Les voilà tous comme s'ils s'étaient donné le mot
tellement sûr de mériter quoique ce soit
Ils n'ont rien compris au jeu auquel ils jouaient
Ils viennent cette fois jouer dans ma cour
et se croient en bonne compagnie comme chez eux
S'ils savaient ce qui les attends
quel air de flûte je vais leur jouer
pour les emmener jusqu'à la mer
et les noyer comme les rats qu'ils sont
Je préfère les rats je préfère la taupe et le ver
Tu vois ma guerre tu vois ma pauvre guerre
Tu vois ma nuit blanche tu vois ma haine
Tu vois ma possible revanche
Tu vois la rage dans mes yeux
Non je ne suis pas mort je danse
Je danse encore quand ils dorment
Je danse le tango tout nu devant ma glace
J'ai mis de la mort au rat
dans ma soupe à la grimace
Je danse devant le buffet vide
la tête pleine de rêves
et j'attends qu'ils se lèvent
pour leur jeter à la figure les mots qui tuent
PATRICK CHAVARDÈS
BIOGRAPHIE
Né à Paris XIV de parents écrivains, Maurice Chavardès et Marilène Clément.
Lycée Marcelin Berthelot à Champigny-sur-Marne
Études de lettre modernes et philosophie à l'Université de Vincennes
Cours de théâtre avec Christian Dente à la maison de la culture Daniel Sorano
Enseignant en banlieue (val de Marne) pendant plusieurs années
Plusieurs voyages et séjours à l'étranger: Londres, Amsterdam, Milan puis l'Asie
S'installe en Bourgogne en 95 où il crée des ateliers d'écriture (université populaire )
Vit actuellement entre Sète, Chalon et Paris
Résidence d'auteur à Vézelay en février-mars-avril 2012 (écriture à partir de Georges Bataille)
Participe au festival de poésie de Lodève depuis plusieurs années
PUBLICATIONS
- Clair-obscur, essai autobiographique, éditions du théâtre Vesper, 1989
- Dernières hypothèses, poèmes, éditions Gros Textes, 2002 ( aide à l'écriture du CNL)
- Maudit soit le chant des sirènes, poèmes, éditions Gros textes, 2004
- L'espérance à poings fermés, poèmes, éditions Le Limon, 2006 ( aide à l'écriture du département)
- Sans les anges, éditions Rafaêl de Surtis, 2010, préface de Jean-Gabriel Coscoluella
- Une chance noire, éditions Rafaêl de Surtis, 2012, préface d'Alain Jugnon
- Enregistrement d'un CD audio, 2008 - poèmes avec musiques et arrangements de Fernand Zacot