Chili boss carne
Rater une éclipse annoncée tous les quatre-vingt ans, juste parce que le ciel est couvert, ça laisse songeur. On se sent un peu volé de ne pas avoir vu la nuit débarquer en pleine journée. Avec tous ces matins où il faut obéir au soleil pour bosser ou pas - parce que parfois on ne nous laisse pas le choix- on aurait bien serré le temps entre ses bras. Croire en notre belle étoile, quoi !
Quand en plus, on apprend que cette année le printemps ne sera pas sur son vingt et un mais qu’il s’est pointé avec son bleu de chandail tout fripé, on ne se rend pas mélancoliques mais un peu sceptiques au concert d’Arthur H, programmé le jour de cette série noire.
Au dessus de la scène, un lustre en forme d’essoreuse nous rappelle que c’est vendredi et qu’on est rincés. La scène est raccourcie par des miroirs. Pas encore d’entrechats ni de porters, on est juste là à chercher le meilleur placement pour échapper aux étirements de moi difficiles.
En l’air des pièges à fils pour attraper la lumière. Faudrait quand même pas pousser trop haut, on a déjà donné aujourd’hui et le miracle ne s’est pas produit. Sur le côté, un cercle recouvert d’une couverture de survie. Pas du plus bel effet mais une lune toute seule dehors, ça finit par moins briller.
Première partie, c’est la nuit qui dort. Bar bondé. On revient dans la salle et là, on n’aura plus le choix. Faudra se payer la grande Sophie et son mini Jules dans notre orbite.
Le concert commence. Le chanteur scintille dans son costume gris cousu de fils d’argent. Il s’installe à son clavier. Le Roi Arthur avec ses cheveux en bataille, sa côte de maille et sa H de terre, on les voit plus ! Les cylindres et différentes sphères du décor s’éclairent. On reconnaît le timbre grave de cette voix éraillée qui n’a pas besoin de pousser dans les aigus pour nous plonger dans ses excès.
Le piano acoustique a laissé place à des sons plus électroniques, couplés aux guitares qui entrainent le groupe dans des rythmes plus rapides pour notre plus grande régression disco-cosmique.
Oh la femme étoile ! Au milieu du concert, Arthur H profite de l’obscurité pour changer de veste. Il s’empare d’une immense lune blanche. La lumière revient et découvre l’ombre du chanteur. On n’en croit pas nos yeux. Personne ne songe à sortir ses lunettes pour se protéger. On est collés à ce mec qui gravite en plein ciel comme une planète. Le soleil a rendez-vous avec la lune et on est tous des papous qui ne sont plus rivés à leurs forêts vierges mais s’éclatent dans la blancheur séminale de l’espace intersidéral.
La veste clignote et on se retrouve pour une dernière nuit à New-York city. Le feu d’artifice des gratte-ciels nous plonge dans le trou noir des scènes où on se perd avec sensualité et mouvement, fluide et énergie to dance with Madonna.
Quelques kilomètres plus loin, on atterrit à Montréal, dans une douceur saisissante qu’on accepte d’autant plus que tout est gelé dehors et qu’on est prêt maintenant à se mettre du soleil dedans.
Après avoir rampé le long des boites de conserve king size, on se met à rêver d’un big chili bang où les fayots du CAC 40 boufferaient comme les prolos qui s’arrachent la gueule sous les mauvais coups d’un état qui n’est pas là.
Mais elle est vraiment super la caissière du Super alors on oublie les galères. C’est le premier jour du printemps. On est tout là haut, c’est cool, l’eau c’est slow, on ressent la sueur, le bonheur c’est l’eau, on en a plein les poches alors s’il le faut, l’eau en de fins ruisseaux, si on en a plein le dos, on pourra toujours, mais un autre jour, en pleurer ou pas.
Arthur H actuellement en tournée pour son nouvel album « Soleil Dedans », concert au Chato’do à Blois, le 20 mars 2015.
LAURE WEIL
Laure Weil se présente :
Professeur agrégée d'arts plastiques, je suis aussi curieuse de littérature, de cinéma et d'architecture. J'ai fabriqué quelques livres d'artistes, dont le lien entre eux semble être l'effacement. Livres restés confidentiels. J'écris généralement pour restituer une rencontre avec une œuvre, qu'elle appartienne au champ des arts plastiques ou au cinéma.
Je cherche à diffuser mes textes parce qu'il est plus facile de se motiver à écrire régulièrement quand on sait que ses textes sont susceptibles d'être publiés.
Mes écrits sont nourris par ma culture des arts plastiques et par ma liberté à jouer avec les mots, comme s'il s'agissait de couleurs pour un peintre.