Poèmes syriens
Maintenant c’est la guerre.
Les français
Qui ont colonisé le pays
Trente ans durant
Voudraient le vider de sa population
Comme les tonneaux de vin
Qu’ils affectionnent tant.
Ils n’étaient donc jamais
Tout à fait partis
Ils étaient partis un peu
Ils avaient fait croire qu’ils étaient partis
Ils rôdaient dans les cheveux de la mer
En masquant leur odeur
Dans l’eau qui n’est pas non plus à eux
Mais comme des poux
Les Français sont revenus
Coloniser la crinière du Pays de Sham
A croire que les Français
N’ont jamais eu de pays à eux
Pour vouloir toujours celui des autres.
***
15 octobre 1925
Un jour noir pour la Syrie.
Le Général Sarrail
Exécute des rebelles indépendantistes
Qui étaient cachés
Dans les jardins de la Goutha
Et expose leur corps écorché
Dans Damas.
La place Marjé
Est une prairie de sang noir
Couverte de mouches vertes.
Mais au lieu de rebelles
La République Française
N’avait tué
Que des paysans arabes.
Le Général Sarrail
Voulait faire un exemple.
Et l’exemple a été suivi
Par des barbus
Qui s’inspire tous les jours
De la grandeur de la France.
Ainsi
Vous répétez vos crimes
En les sous-traitant
Bande de relaps !
***
Le soldat
C’est celui qui défend son sol
Ce n’est pas n’importe quelle note de musique
Dans la vie d’un homme.
Ô Sainte-Teckla
Ô Saint-Serge
Ô petites églises de Maaloula
Ô petites îcones de Sednaya
Posez une larme d’huile d’olive
Sur les cotons
Qui soigneront les blessés
Et si la blessure du soldat
Est un temple deux fois millénaire
Brisé pour toujours
Consolez-le avec l’histoire
Qu’il bâtit
Avec son caractère de pierre.
Dans le souk Al Hamidié
Les glaciers
Pilonnent leurs sorbets
A la main
En ne travaillant que d’un bras.
Ces hommes vivent
De la moitié de leur corps
Qui n’est musclé que d’un côté.
Ô doux pays du travail sucré
Et des parfums de pistache
Même une abeille
A moitié écrasée
Butinerait une fleur
Tenue dans la bouche d’un amoureux
Qui attend sa fiancée
Sur un banc
En fondant au soleil.
***
La Lieutenante Reem Samir Hassan
Est morte le 25 août 2015
A Al-Ghab, près de Hama,
La ville des grandes norias.
Elle portait du rouge à lèvres
Et ses yeux étaient soulignés de noirs
Quand un terroriste a tiré sur elle.
Elle est morte sans aucune dette
Parce que la Syrie n’est pas endettée
Un français qui meurt
Ne peut pas être aussi fier.
Tous les Arabes rêvent secrètement
De se marier avec une Syrienne.
La guerrière Reem Samir Hassan
S’est mariée avec son pays
Dans une robe rouge
Qu’elle a cousue elle-même,
Une dragée de fer boutonnée
Dans son ventre.
Les norias d’Hama tourneront
Comme elles ont toujours tourné
Et la Syrie heureuse reviendra.
En attendant
Honneur à Vous
Lieutenante Reem Samir Hassan
Que personne ne Vous pleure
Qu’une autre femme Vous remplace
La guerre continue
Pour du rouge à lèvres
Pour des yeux maquillés de noir
Pour les norias d’Hama
Pour la fierté de ne rien devoir aux autres.
***
Ah ! Il y aurait des héros !
Pas ceux qui ont perdu une paupière
Un cœur, un morceau d’eux-mêmes
Pas ceux qui ont gagné
La largeur d’un bras sur l’ennemi
Pas ceux qui n’ont pas dormi
Depuis six jours
Pas ceux qui attendent la relève
Le ventre vide
Non,
Ceux-là sont les oubliés
Depuis que l’Histoire a commencé…
Ah ! Parlons des héros
Des héros de photo, des héros de sourire
Des vrais combattants
Qui ne fuient pas l’ennemi
Puisqu’ils ne l’ont jamais croisé
Ce sont les réfugiés
Qui parlent anglais
Qui étaient Syriens
Et qui seront si rien
Dans quelques temps
Quand on les aura noyés à leur tour
Dans la prochaine marée humaine
Tout habillé
Avec nos habits
Que l’on ne mettait plus
De toute façon.
***
Dès mes premiers jours en Syrie
J’avais remarqué que les Syriens
Parlent l’arabe en chantant
Et j’en conclus
Après un bouquet de nuits d’amour
Que les Arabes sont nés
Pour écrire des chansons d’amour
Et qu’il leur suffit pour cela
De ne connaître qu’un seul mot
Habibi, habibi, habibi
Mon amour, mon amour, mon amour
Pendant que les Français
Écrivent des chansons à texte
Ou pire
Des chansons à message.
Il faut dire pour leur défense
Qu’il y a longtemps
Que les Français
Sont devenus pour la plupart alcooliques
Et qu’ils fuient l’amour
Comme un robinet mal réparé
Et qu’on les a vus plus souvent
Pisser à plusieurs contre un mur
Plutôt que d’embrasser une femme,
Toujours prêts à se battre
Pour des histoires d’ivrognes…
l’alcool c’est le pétrole de la France.
Un jour,
Il n’y aura plus de pétrole
Dans les sables bédouins
Les Arabes auront enfin la paix
Il leur restera alors
Les mots d’amour et de gazelle
Car chez les Arabes l’amour
A précédé les puits d’or noir
Et puis un puits
On sait ce que c’est
C’est un puits qui appelle
Une suite, un ensuite, un après
Battez les autres
Français qui avez de la bouteille
Les Arabes ne se battent pas,
Aujourd’hui,
Pour ce qu’ils possèdent tant
Qu’ils en exportent
Ils se battent pour l’amour
Qu’ils aiment d’amour…
***
Nos Présidents français
Parlent sans respecter
Les liaisons de notre langue.
Ils ont peur des contingences du discours
Qu’un lapsus linguae se glisse
Qu’un propos soit mal perçu
Ils ont peur d’en dire trop
Ou de ne plus tenir la bride de leur cheval
Ils se maîtrisent par la technique du mot à mot
Ils hachurent ces phrases
(Non ils exècrent le principe même de phrase)
Alors que la liaison
C’est la fluidité de la vie,
Comme elle vient parfois…
Alors, nos Présidents détachent leurs mots
Et un Président qui détache ses mots
Est un homme détaché de toute passion
De tout cœur, de toute aventure.
Nos Présidents ne sont pas Arabes
Parce que les Arabes respectent leurs liaisons
Et la liaison c’est de la salive
De l’articulation et le courage
D’affronter ce qui survient
Et nos Présidents sont secs, raides, désarticulés
Ils ne sont plus en liaison avec personne
Pas même avec le petit peuple
Le petit peuple
Qui fait parfois aussi des fautes de liaison
Car c’est le propre des communs que de fauter
Mais au-moins il ne parle pas
Comme une mitraillette.
DAVID DUMORTIER
Plus d'infos :
http://www.printempsdespoetes.com/index.php?url=poetheque/poetes_fiche.php&cle=69
http://www.m-e-l.fr/david-dumortier,ec,84
https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Dumortier