Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - DAVID DUMORTIER

Publié par ERIC DUBOIS sur 14 Octobre 2015, 14:57pm

Catégories : #poèmes

Poèmes syriens

 

 

 

Maintenant c’est la guerre.
Les français

Qui ont colonisé le pays

Trente ans durant

Voudraient le vider de sa population

Comme les tonneaux de vin

Qu’ils affectionnent tant.
Ils n’étaient donc jamais

Tout à fait partis

Ils étaient partis un peu

Ils avaient fait croire qu’ils étaient partis

Ils rôdaient dans les cheveux de la mer

En masquant leur odeur

Dans l’eau qui n’est pas non plus à eux

Mais comme des poux

Les Français sont revenus

Coloniser la crinière du Pays de Sham

A croire que les Français

N’ont jamais eu de pays à eux

Pour vouloir toujours celui des autres.

 

 

***

 

 

15 octobre 1925

Un jour noir pour la Syrie.
Le Général Sarrail

Exécute des rebelles indépendantistes

Qui étaient cachés

Dans les jardins de la Goutha

Et expose leur corps écorché

Dans Damas.
La place Marjé

Est une prairie de sang noir

Couverte de mouches vertes.
Mais au lieu de rebelles

La République Française

N’avait tué

Que des paysans arabes.
Le Général Sarrail

Voulait faire un exemple.
Et l’exemple a été suivi

Par des barbus

Qui s’inspire tous les jours

De la grandeur de la France.
Ainsi

Vous répétez vos crimes

En les sous-traitant

Bande de relaps !

 

***

 

 

Le soldat

C’est celui qui défend son sol

Ce n’est pas n’importe quelle note de musique

Dans la vie d’un homme.
Ô Sainte-Teckla

Ô Saint-Serge

Ô petites églises de Maaloula

Ô petites îcones de Sednaya

Posez une larme d’huile d’olive

Sur les cotons

Qui soigneront les blessés

Et si la blessure du soldat

Est un temple deux fois millénaire

Brisé pour toujours

Consolez-le avec l’histoire

Qu’il bâtit

Avec son caractère de pierre.

 

***

 

Dans le souk Al Hamidié

Les glaciers

Pilonnent leurs sorbets

A la main

En ne travaillant que d’un bras.
Ces hommes vivent

De la moitié de leur corps

Qui n’est musclé que d’un côté.
Ô doux pays du travail sucré

Et des parfums de pistache

Même une abeille

A moitié écrasée

Butinerait une fleur

Tenue dans la bouche d’un amoureux

Qui attend sa fiancée

Sur un banc

En fondant au soleil.

 

 

***

 

La Lieutenante Reem Samir Hassan

Est morte le 25 août 2015

A Al-Ghab, près de Hama,

La ville des grandes norias.
Elle portait du rouge à lèvres

Et ses yeux étaient soulignés de noirs

Quand un terroriste a tiré sur elle.
Elle est morte sans aucune dette

Parce que la Syrie n’est pas endettée

Un français qui meurt

Ne peut pas être aussi fier.

Tous les Arabes rêvent secrètement

De se marier avec une Syrienne.
La guerrière Reem Samir Hassan

S’est mariée avec son pays

Dans une robe rouge

Qu’elle a cousue elle-même,

Une dragée de fer boutonnée

Dans son ventre.

Les norias d’Hama tourneront

Comme elles ont toujours tourné

Et la Syrie heureuse reviendra.
En attendant

Honneur à Vous

Lieutenante Reem Samir Hassan

Que personne ne Vous pleure

Qu’une autre femme Vous remplace

La guerre continue

Pour du rouge à lèvres

Pour des yeux maquillés de noir

Pour les norias d’Hama

Pour la fierté de ne rien devoir aux autres.

 

 

 

***

 

Ah ! Il y aurait des héros !

Pas ceux qui ont perdu une paupière

Un cœur, un morceau d’eux-mêmes

Pas ceux qui ont gagné

La largeur d’un bras sur l’ennemi

Pas ceux qui n’ont pas dormi

Depuis six jours

Pas ceux qui attendent la relève

Le ventre vide

Non,

Ceux-là sont les oubliés

Depuis que l’Histoire a commencé…

Ah ! Parlons des héros

Des héros de photo, des héros de sourire

Des vrais combattants

Qui ne fuient pas l’ennemi

Puisqu’ils ne l’ont jamais croisé

Ce sont les réfugiés

Qui parlent anglais

Qui étaient Syriens

Et qui seront si rien

Dans quelques temps

Quand on les aura noyés à leur tour

Dans la prochaine marée humaine

Tout habillé

Avec nos habits

Que l’on ne mettait plus

De toute façon.

 

***

 

 

Dès mes premiers jours en Syrie

J’avais remarqué que les Syriens

Parlent l’arabe en chantant

Et j’en conclus

Après un bouquet de nuits d’amour

Que les Arabes sont nés

Pour écrire des chansons d’amour

Et qu’il leur suffit pour cela

De ne connaître qu’un seul mot

Habibi, habibi, habibi

Mon amour, mon amour, mon amour

Pendant que les Français

Écrivent des chansons à texte

Ou pire

Des chansons à message.
Il faut dire pour leur défense

Qu’il y a longtemps

Que les Français

Sont devenus pour la plupart alcooliques

Et qu’ils fuient l’amour

Comme un robinet mal réparé

Et qu’on les a vus plus souvent

Pisser à plusieurs contre un mur

Plutôt que d’embrasser une femme,

Toujours prêts à se battre

Pour des histoires d’ivrognes…
l’alcool c’est le pétrole de la France.
Un jour,

Il n’y aura plus de pétrole

Dans les sables bédouins

Les Arabes auront enfin la paix

Il leur restera alors

Les mots d’amour et de gazelle

Car chez les Arabes l’amour

A précédé les puits d’or noir

Et puis un puits

On sait ce que c’est

C’est un puits qui appelle

Une suite, un ensuite, un après

Battez les autres

Français qui avez de la bouteille

Les Arabes ne se battent pas,

Aujourd’hui,

Pour ce qu’ils possèdent tant

Qu’ils en exportent

Ils se battent pour l’amour

Qu’ils aiment d’amour…

 

 

***

 

Nos Présidents français

Parlent sans respecter

Les liaisons de notre langue.
Ils ont peur des contingences du discours

Qu’un lapsus linguae se glisse

Qu’un propos soit mal perçu

Ils ont peur d’en dire trop

Ou de ne plus tenir la bride de leur cheval

Ils se maîtrisent par la technique du mot à mot

Ils hachurent ces phrases

(Non ils exècrent le principe même de phrase)

Alors que la liaison

C’est la fluidité de la vie,

Comme elle vient parfois…

Alors, nos Présidents détachent leurs mots

Et un Président qui détache ses mots

Est un homme détaché de toute passion

De tout cœur, de toute aventure.
Nos Présidents ne sont pas Arabes

Parce que les Arabes respectent leurs liaisons

Et la liaison c’est de la salive

De l’articulation et le courage

D’affronter ce qui survient

Et nos Présidents sont secs, raides, désarticulés

Ils ne sont plus en liaison avec personne

Pas même avec le petit peuple

Le petit peuple

Qui fait parfois aussi des fautes de liaison

Car c’est le propre des communs que de fauter

Mais au-moins il ne parle pas

Comme une mitraillette.

 

 

DAVID DUMORTIER

 

Plus d'infos :

 

http://www.printempsdespoetes.com/index.php?url=poetheque/poetes_fiche.php&cle=69

http://www.m-e-l.fr/david-dumortier,ec,84

https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Dumortier

 

 

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B
Que j'aime votre révolte, votre violence, vos accusations.... tout ça est juste... et je pense nécessaire.
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