Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - LAURE WEIL

Publié par ERIC DUBOIS sur 18 Octobre 2015, 19:59pm

Catégories : #articles - articles critiques

Much Loved, film de Nabil Ayouch | DR

Much Loved, film de Nabil Ayouch | DR

Much loved est un film courageux. Quatre femmes tiennent le haut du pavé dans une ville entrevue furtivement, de la nuit au petit matin. On perçoit mieux le mouvement de leur trajectoire avec l’ombre des murs rongée par la lueur des lampadaires. Une vie de rue enveloppée dans le manteau de la nuit qui tombe sous le feu des paillettes. Corps de femme essaimant leurs diamants dans un éclat qui colle à la peau comme le lycra.

Pas le temps de faire de la prose ni de se bercer d’illusions dans ce monde où le plaisir comme la liberté se paient cash.

Au début du film, les femmes se rendent à une soirée organisée par de riches saoudiens. Un chauffeur de taxi les conduit. Cet homme les accompagne tout au long du film. Témoin silencieux, il apporte son aide à ces prostituées sans les juger. Sa présence est d’autant plus forte qu’elle ne cherche pas à infléchir leur destinée. Par son dévouement, il fait contre poids à la domination masculine. Passeur de l’ombre, il aide Noha, Randa, Soukaina et Hilma à organiser leur business. On devine son utilité dans un monde où la liberté de mouvements des femmes est limitée. Mais, par sa présence, Saïd est aussi l’espoir d’un monde où ces amazones qui luttent pour leur survie, trouvent chez certains hommes des alliés.

Dans une villa, les femmes sont nourries avant de rencontrer leurs clients. Leur sens aiguisé des affaires ne se contente pas d’un ventre plein et elles râlent avec véhémence à l’annonce de la commission que la maîtresse des lieux s’octroie sur leurs dos. Cette prostitution est organisée et chaque intermédiaire se paye selon les opportunités, de la maquerelle au videur de boîte de nuit en passant par la police et même la famille qui ne rejette pas cet argent sale que la fille rapporte pour élever l’enfant confié à la grand-mère et améliorer le quotidien.

Durant la soirée, les portables sont confisqués, livrant chacune d’entre elles au risque d’une mauvaise rencontre. Au milieu des hommes d’affaires, les femmes n’ont pas froid aux yeux. Elles rivalisent d’insolence pour clouer le bec de leurs rivales. Les unes après les autres, chacune se prête au jeu de la séduction avec des corps qui s’exhibent sans pudeur pour vendre leurs charmes au plus offrant. Filmée de dos, la danse du ventre s’est changée en danse du bassin. Les fantasmes d’une sensualité orientale sont balayés par une sexualité qui fait sortir ces femmes de leur harem. On n’est plus seulement en Orient mais confrontés à une prostitution qui s’identifie partout aux mêmes poses aguicheuses et trouve ses touristes sexuels autant dans le monde arabe qu’en Europe. Les femmes utilisent du coca pour arrêter leurs saignements. Cette boisson mondialisée en provenance des Etats-Unis où règne le capitalisme devient la métaphore d’une marchandisation des corps à laquelle les femmes ont recours pour échapper à la misère à laquelle elles sont les plus exposées.

A la ville comme dans les régions reculées, des femmes mais aussi des hommes et des enfants vendent leurs corps pour fuir la pauvreté.

Le personnage d’Hilma venue de la campagne est révélateur de cette précarité des femmes. Hilma n’est ni belle ni suffisamment instruite pour emballer facilement ses partenaires. Elle se plante devant eux avec l’aplomb de celles qui, n’ayant pas les moyens des préliminaires, ne peuvent prendre les hommes que par surprise. La prostitution est encore moins pour elle que pour les autres, un moyen de mener une vie facile. Son personnage nous entraine dans les quartiers populaires où une passe se monnaye en quelques kilos de légumes quand l’argent n’est pas suffisant.

La prostitution concerne tous les milieux et c’est la force de ce film que de n’en négliger aucun aspect. Les femmes sont souvent filmées lors de leurs déplacements en voiture. Sur le chemin du retour, la caméra filme à travers le pare-brise du taxi, un vendeur avec sa charrette qui percute accidentellement l’arrière d’une voiture à l’arrêt. Le conducteur en descend et les deux hommes échangent entre eux sans animosité. Image d’une société à deux vitesses, celle des pauvres et des nantis qui entrent en collision. Lors d’un autre trajet, un cycliste perd l’équilibre sur la route. Mais ces femmes souvent éconduites par leurs amants d’une nuit ou leur famille de toute une vie ne sont pas prêtes à s’arrêter et à se résigner.

Contraintes de fuir car elles risquent des représailles pour avoir dénoncées les violences subies par l’une d’entre elles, Noha demande à Saïd de leur louer une limousine pour rejoindre une station balnéaire sur la côte. Durant le trajet, elles fêtent leur départ vers une nouvelle ville en buvant du champagne. Hilma malade, s’arrête sur le bord de la route mais les femmes la charrient en la menaçant de l’abandonner à son triste sort si elle ne s’adapte pas mieux à leurs bonnes manières. Les quatre femmes et leur chauffeur reprennent la route. Arrivées à destination, on les retrouve quelques jours plus tard, assises avec Saïd sur la plage. Hilma enceinte a fait une fausse couche. Noha la console en lui disant qu’il vaut mieux ne pas être mère plutôt que devenir une mauvaise mère. Le réalisateur franco-marocain Nabil Ayouch contemple une dernière fois ces filles de la solitude d’une nuit, réunies en plein jour, face au bleu rayé de l’horizon.


 

 18 octobre 2015

 

LAURE WEIL

 

 

Laure Weil se présente :

 

 

 


Professeur agrégée d'arts plastiques, je suis aussi curieuse de littérature, de cinéma et  d'architecture. J'ai fabriqué quelques livres d'artistes, dont le lien entre eux semble être l'effacement. Livres restés confidentiels. J'écris généralement pour restituer une rencontre avec une œuvre, qu'elle appartienne au champ des arts plastiques ou au cinéma.
Je cherche à diffuser mes textes parce qu'il est plus facile de se motiver à écrire régulièrement quand on sait que ses textes sont susceptibles d'être publiés.
Mes écrits sont nourris par ma culture des arts plastiques et par ma liberté à jouer avec les mots, comme s'il s'agissait de couleurs pour un peintre.

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