Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - LAURE WEIL

Publié par LE CAPITAL DES MOTS sur 2 Janvier 2016, 16:49pm

Catégories : #articles - articles critiques

21 nuits avec Pattie. Film de Arnaud et Jean-Marie Larrieu, 2015 .  | DR

21 nuits avec Pattie. Film de Arnaud et Jean-Marie Larrieu, 2015 . | DR

Le film 21 nuits avec Pattie est une ode à la vie. Les maisons s’accrochent aux pentes boisées de la région de la Montagne Noire où une poignée d’hommes et de femmes mène une vie paisible. Le temps s’écoule comme un balancier entre la prise rassurante du quotidien d’une main et le lâcher de l’autre avec l’envol des corps dans le vide pour se hisser plus haut.

Une vie rustique à la campagne où le verbe est aussi cru que la chair est nue car ici aucune bienséance n’empêche d’être naturels. Un endroit reculé où les portables ne passent pas, un pays paumé où trains et voyageurs arrivent difficilement.

La mort de sa mère conduit Caroline, interprétée par Isabelle Carré, dans cette région peu fréquentée. Son arrivée dans le hameau est une longue descente sur les chemins qui serpentent entre les maisons pour arriver au lieu-dit de la source cachée.

Ce labyrinthe mène à une grande demeure qui était le refuge de cette avocate fantasque et volage surnommée Zaza par les gens du coin qui écourtent les prénoms comme les présentations.

Couverte de la tête aux pieds, la citadine débarque dans la fin de la vie de sa mère avec l’incrédulité de ceux qui se sont déjà quittés depuis longtemps. Dans la piscine, les rayons du soleil glissent sur la peau avec moins d’ardeur. Des gars du village, embauchés pour la saison, en profitent pour se baigner. Caroline rentre dans la maison de sa mère comme une étrangère qui répond à l’invitation d’une inconnue. Le regard se familiarise avec l’espace en le resserrant. Elle emprunte couloir et escalier. La vue de la défunte est empêchée par de longs voiles blancs qui se gonflent au vent des ventilateurs. La vie n’a pas quitté les lieux et encore respire. Baudelaire écrit au sujet de la Mort de Marat peint par David :

« Marat peut désormais défier Apollon, la mort vient de le baiser de ses lèvres amoureuses, et il repose dans le calme de sa métamorphose. Il y a dans cette œuvre quelque chose de tendre et de poignant à la fois ; dans l’air froid de cette chambre, sur ces murs froids, autour de cette froide et funèbre baignoire, une âme voltige. »

Dans ce temps suspendu où plus rien ne presse, surgit Pattie, femme de ménage et confidente de Zaza, interprétée par Karin Viard. Son personnage apparait à l’écran avec un atomiseur qu’elle pulvérise sans retenue autour du corps. La diffusion de l’air pressurisé nous ramène à un quotidien domestiqué. Un verre de vin rouge rafraîchi par un glaçon, une baignade improvisée, un cantonnier mal dégrossi se transforment pourtant avec cette femme en une fugue alerte où chaque instant accourt à la poursuite de l’autre pour précipiter le temps dans un tourbillon de folie.

La nuit venue, le corps de la défunte disparait mystérieusement. Un gendarme est dépêché sur les lieux pour mener l’enquête. Celui-là comme les autres n’échappe pas à l’absurde qui s’empare de la vie quand on ne se laisse pas faire plus que de raison. La scène où l’officier remet son uniforme devant Caroline après s’être baigné exprime la dualité du film entre le trouble des apparences et le retour à l’ordre et aux convictions.

La piste d’un nécrophile est vite évoquée tandis que ressurgit du passé un ancien ami de Zaza joué par André Dussolier. Ecrivain, l’homme sait s’entourer de mots et de fiction pour se rassurer. Pattie jalouse, ne s’y trompe pas en l’écoutant faire le récit de ses ébats imaginaires car le verbe a ici aussi le pouvoir de sa métamorphose. En parlant, les êtres font danser les morts et les mots autour de leurs ombres.

Dans le jeu du Tarot, l’arcane 21 est celui du Monde, de l’aboutissement et de la réalisation de soi. Le verbe s’incarne pour former une anatomie du discours avec le corps, l’œil, le pied et les jambages qui écrivent la rencontre quand les lettres se lient. Toute une chair qui exprime son désir autant par la truculence que par la mise à nu des mots. La caméra embrasse les visages et se pose sur ces êtres avec la légèreté des étoffes qu’on porte en été pour laisser l’air circuler. Après une baignade, l’empreinte mouillée du corps apparait sur la robe de Caroline qui se dédouble et s’évapore dans la chaleur de l’été. Le fantôme de la mère danse autour de la piscine. La caresse de l’eau d’une vie à l’autre pour transmettre l’invisible. Dans la Tombe du plongeur découverte à Paestum, un athlète s’élance dans la mer. Un saut vers l’inconnu que ces images d’hier et d’aujourd’hui transforment en un beau moment apaisé. Un plateau surplombe une vallée d’éoliennes. Les derniers souffles se soulèvent pour rejoindre la force du vent, poussés par le mouvement des pas et des pales dans la ronde du temps.


2 janvier 2016

 

 

 

LAURE WEIL

 

 

Laure Weil se présente :

 

 

 


Professeur agrégée d'arts plastiques, je suis aussi curieuse de littérature, de cinéma et  d'architecture. J'ai fabriqué quelques livres d'artistes, dont le lien entre eux semble être l'effacement. Livres restés confidentiels. J'écris généralement pour restituer une rencontre avec une œuvre, qu'elle appartienne au champ des arts plastiques ou au cinéma.
Je cherche à diffuser mes textes parce qu'il est plus facile de se motiver à écrire régulièrement quand on sait que ses textes sont susceptibles d'être publiés.
Mes écrits sont nourris par ma culture des arts plastiques et par ma liberté à jouer avec les mots, comme s'il s'agissait de couleurs pour un peintre.

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