Sonate des morts
Des colonnes de lettres et des mots.
Un visage en noir et blanc ou en couleurs
Des impressions typographiques
Chronique d'une mort pas annoncée, Marquez.
Ce que ça dit ? On sait pas, on cherche.
Des sourires et les phrases des parents et les mots des amis
Et l'ombre fugace du mort.
La mort, c'est pas la jeunesse et pourtant si
La mort, c'est aussi tout et n'importe quoi et pourquoi pas.
Des sourires mosaïqués
Des photos de profils réseautées, retrouvées, envoyées peut-être en PJ
A la rédaction, au grand hebdomadaire. Au Grand Monde.
As-tu relu la chronique de Paul, Pierre, Jacques ?
Ce que ça dit ? On sait pas, on cherche.
On construit des panthéons dans une ville où Dieu n'existe pas.
Il y a beaucoup les mots « lumière », « lueur » et « énergie » et « avenir » et « projet ».
Un peu comme si l'avenir, c'était la lumière.
Mais c'est un peu la lampe torche de l'enfant qui l'éteint l'allume l'éteint l'allume l'éteint
l'allume.
Tant que les grands n’y voient rien, le rêve y est.
***
Constance
Danse est ta chance, petite constance.
Enfouie dans le creux de
TA
main :
Parole d'éther en plein crève-cœur.
Ils en auront dit long sur l'absolue absence de penser,
Ces petits cons.
Chaque temps a sa croisade
On accroche toujours les mêmes voyelles à LunA.
Parfois les mains s'arrêtent de jouir, de fouiller, de signer les papiers.
Votent, votent pas.
La cigarette entre les doigts, la volute en terrasse, le souffle en suspension
On n’attend pas. Ni la main qui remonte le long de la hanche, ni la mort du son de la
danse.
***
Fiat Lux
Elle est tombée ta lumière nue
ça pue
crue.
Enfin, j'ai cru.
J'ai bu.
ça fait comme un vol au-dessus d'un nid de coucous
Mais j'ai pas dit Salut.
Quand même, on va pas faire comme si la nuit ardente...
Hein.
Quelle sauvageonne, je te jure...
***
Abandonnée sur le bord du lavabo
Une petite feuille de papier qui tremble un jour d’automne. Sur le bord d’un lavabo de salle de bains. Qu’est-ce qu’elle fout ?
Une feuille d’écolier, celle des grandes envies et des grandes terreurs. La peur au ventre, le stylo tremblant, la langue tirée pour bien s’appliquer.
Une feuille avec une marge dangereuse dans laquelle il ne faut pas s’égarer. Ligne rouge à ne pas dépasser. Grosse écriture déliée à peine hésitante. Un peu enfantine. Un peu égarée.
Où est l’instituteur ? Où est le tableau noir un peu poussiéreux sur lequel le sujet a été écrit avec application ? Et la plume ? Celle qui rédige de grosses conneries ?
Coup de vent. Bourrasque d’automne. La fenêtre est entrouverte.
Y’a rien. Plus rien. L’élève, elle-même, a disparu.
Le sujet était-il trop difficile ?
J’ai jamais d’imagination, Madame, disent-ils.
C’était quoi ? Racontez votre Dimanche ? Ecrivez une histoire d’amour ? Que pensez-vous du temps qui passe ? Imaginez que vous êtes Président de la République Française ?
Je sais pas.
La feuille est tombée par terre. Un peu racornie. Un peu pliée en quatre. Légère, toujours.
Elle a dévoilé un drôle de secret. Un secret impossible à déchiffrer.
Ecriture ronde, grosse qui a avorté d’un drôle de truc en ce jour d’automne.
Tout est silencieux maintenant. Drôle de personnage principal. Disparu.
Y’a juste quelqu’un qui va lire la feuille. A un moment. Quelqu’un va pousser la porte de la salle de bains, verra la feuille tombée par terre. La ramassera. La lira.
Et dira.
Un sujet d’imagination ?
Non.
C’est comme si l’élève avait bien révisé. Comme si elle avait tracé son savoir, sans rechigner.
Maîtresse d’elle-même.
Une leçon de choses.
Oui, peut-être. Une belle leçon de choses.
Dis, petite, c’est quoi une leçon de choses ?
***
Le présent infini s’arrête, Mary DORSAN
Roman qui se lit comme un journal intime devenu public. Mary Dorsan, anagramme du nom d’un écrivain hongrois. Le livre de chevet de l’auteur qui écrit ce livre Le présent infini s’arrête.
Une diariste de l’intime des liens entre soignants et patients dans un appartement thérapeutique pour adolescents voire embryons d’adultes psychotiques. Des liens entre les patients. Des liens entre les soignants. De leurs névroses respectives.
Cette œuvre pose la question de la difficulté d’écrire sans trahir l’autre : le patient, le soignant, son anonymat. Ecrire leurs faiblesses sans blesser. Les écrire en changeant leur nom. Ecrire aussi en changeant son nom.
L’écriture est ici motivée par le crachat de Caroline – l’infirmière psychiatrique et narratrice- sur son propre patient : Thierry. Comment a-t-elle pu elle-même céder à sa violence d’adulte alors qu’elle essaie de maîtriser la violence de ses patients ?
Thierry. Le patient qui hante tout le livre. Premier chapitre, récit des selles et du sang étalés sur les murs de la chambre de l’appartement. Odeur tenace qui ouvre le roman et que l’on sentira tout au long des 707 pages comme une menace, un souvenir âcre, un déclencheur de l’écriture. Ecrire la merde, écrire la folie merdique dans laquelle ces jeunes sont enferrés. Que la société a mis au ban. Trop difficile. Odeur qu’on ne quitte pas, tout comme Caroline ne quitte pas ce service psychiatrique éprouvant. Quitter le service, ce serait renoncer. Quitter l’écriture, ce serait oublier ces jeunes, s’oublier soi.
L’écriture du présent infini s’arrête, c’est l’écriture d’innombrables dialogues. Avec leurs innombrables points de suspension transcrivant les pensées non verbalisées et/ou le silence de l’interlocuteur, qu’il soit patient, collègue, psychanalyste, parent…
Laisser penser le lecteur avec les points de suspension. Après tout.
Dialogues qui ne donnent pas les clés, qui interrogent, qui habitent le lecteur. Entre saynètes de la vie quotidienne et interrogations plus appesanties sur le sens du travail, son utilité, sur l’horreur des situations familiales rapportées par les jeunes, sur l’exclusion, sur les angoisses et les angoisses et les angoisses. Jonathan au psychiatre : « Vous êtes psychiatre ! Dites-moi si je suis schizophrène ! »Et les questions sans fin d’Ingrid, la nouvelle patiente. Elle a tout le temps honte, peur d’oblitérer son ticket dans le mauvais sens et que ça sonne dans le bus. Qu’on la regarde. Qu’elle ait honte. Sa mère a masqué sa différence et a toujours eu honte de sa fille.
La folie, c’est la honte. On sent bien que ce pavé aurait pu être plus long, que Caroline peine à s’arrêter, ne trouve pas de fin. Parce qu’il n’y a pas de fin à la folie, au quotidien.
Des petits pansements contre la folie, oui, on en trouve. Des placebos : une double dose de traitement administrée un soir d’urgence, les innombrables thés, les dialogues confiance- confidence et tension-, les « fous rires ». Justement. Les irrépressibles, ceux de la folie.
Hommage à la folie qui est celle de chacun. Caroline qui parle parle parle. A son psychanalyste, à ses collègues, aux patients. Sa collègue qui lui dit qu’elle n’aimerait pas être dans sa tête.
Où est la folie d’ailleurs ? Chez ses patients ? Chez elle ? Chez le lecteur qui s’engouffre dans ce pavé ? Chez cette voyageuse dans le train, qui s’énerve de la lecture à voix trop haute du fils de Caroline et qui ne perçoit pas celle de l’adolescent éructer dans son téléphone portable sans se soucier de son voisinage ?
Imbriquées l’une dans l’autre, la folie du monde interroge la folie de l’écriture de l’auteur. Comment justifier cette autofiction ? Entreprendre soi-même une psychanalyse ?
Trouver au travers de l’écriture un moyen de travailler, de vivre et de rêver.
Les nombreuses références littéraires qui émaillent le roman et qui sont une source vitale pour Caroline. Si elle arrête, la poésie meurt.
La poésie devient le rempart pour faire. « Poien ». Pour supporter. Pour s’émouvoir et émouvoir.
« Caroline n’a pas envie de recommencer à lire. Pas tout de suite. Elle se raccroche aux murmures de la pluie, presque une douce berceuse- mais trompeuse.
Lou Reed est mort. » Thé et café. Thé pour enrayer, endiguer, oublier, discuter, se calmer, se distancer, communiquer, nommer, dédramatiser l’autre et soi-même. Plus rares sont les cafés. Description artistique de leur odeur, de la crème qui effleure, que l’on remue pour en sentir la consistance. Comme si l’on pouvait lire la teneur, l’ambiance de la journée qui va suivre. Lire le marc du café.
La poésie du titre. Le titre du roman. Car écrire le présent des patients, c’est infini. La dernière phrase du livre laisse penser que « le présent infini » va s’arrêter. Mais on est le 1er avril. Le 1er avril, c’est une blague. L’écriture même du roman contribue justement à sceller éternellement ces fous dont la société ne veut pas.
Beau. Des chapitres légers. On n’est pas choqués du dévoilement de l’intime. Des tensions entre les collègues. De l’horreur que vivent ces jeunes.
La poésie et l’intertextualité permanente donnent le ton : la création, c’est la gestation et à la fin de la gestation, l’expulsion est toujours douloureuse.
De ces douleurs qui touchent le lecteur. Infiniment.
AMANDINE HAMET
Elle se présente :