La voie siliceuse
(extrait)
Extrait du néant, on me nomme Homme,
animal pris dans le filet tyrannique des nombres.
1
À l'ombre des immeubles, le long des trottoirs,
l'homme déchu est l'enfant meurtri de l'homme installé
le visage effacé qui se cache sous le masque
de l'homme mosaïque ignorant ses membres épars
son corps gît sur le trottoir
autour s'affairent les flux monétaires
les chiens sans-abris hurlent l'éternité.
Œil fou, poignée meurtrière,
un chien de garde tire sur la chaîne,
au sol les dents, sang tapis au fond des poches.
2
Je n'ai de patte blanche ni dans ma poche ni dans mon cœur
La production de richesses n'est pas mon souci,
l'apologie du travailleur, quel qu'il soit, ne me satisfait pas.
L'ère du travail est enchaînement à la nécessité,
et trop d'hommes défendent l'emploi au mépris des enfants, des vieillards, de la nature... sans aucune vision de l'avenir et de ses espaces.
Sous prétexte de croissance l'ère industrielle nous coud les paupières, les oreilles, la langue...
la souffrance physique et mentale est cloîtrée, réduite à un fait divers.
Je n'ai de patte blanche ni dans ma poche ni dans mon cœur
Trop d'hommes matraquent les forces de l'avenir,
cette violence ne peut être tolérée,
et la peur des uns ne saurait assassiner le désir de libération des autres.
À chaque pierre lancée doit répondre une pierre,
la paix est trop rare et précieuse pour la laisser entre les mains des tortionnaires.
La paix, non pas celle qui répond au besoin d'oubli, de fête, d'appropriation des biens terrestres,
mais celle qui permet à chacun de renouer librement avec les chants de la terre
qui sont la dignité de l'homme et de tous les existants.
Je n'ai de patte blanche ni dans ma poche ni dans mon cœur.
L'altruisme et l'amour seront des mots vains tant qu'ils ne reconnaîtront pas, pour l'un la nécessité absolue de s'extraire d'un monde violent par un acte de libération efficace, pour l'autre celle de se séparer de l'empathie.
Il faut comprendre le mécanisme de la torture, non aimer les bourreaux.
Répondre au mal par un sourire équivaut à le laisser domestiquer le monde, non le détruire.
Le chien battu qui remercie son maître n'en reste pas moins chien, et son sacrifice ne libérera pas ses compagnons.
Si la violence est parfois une nécessité, jamais nous ne devons sombrer dans les affres de sa séduction et toujours veiller à s'en extraire au plus vite,
car un acte violent, s'il se veut libérateur, ne peut être ni anodin ni irresponsable.
Je n'ai de patte blanche ni dans ma poche ni dans mon cœur.
Ne nous excusons plus d'être les pauvres de la société, le devoir de toute société étant d'aider ses membres, sans jugement et sans condition.
Une société qui méprise ses citoyens est une prison non un lieu de vie, d'échanges et de dignité.
La paresse n'est pas moins nécessaire que l'hyperactivité :
le rythme que le monde insuffle aux individus est multiple, pluriel,
chacun porte en soi une partie de ce rythme,
on ne peut en mépriser les silences et les lenteurs.
Je n'ai de patte blanche ni dans ma poche ni dans mon cœur.
Dans l'urgence et l'instant n'oublions pas les lendemains qui seront notre quotidien,
n'oublions pas le long passé de notre espèce qui a vécu si longtemps
sans production de richesses, sans marchandises, sans sécurité policière et sanitaire,
qui aujourd'hui divisent et asphyxient.
Pour certains la vie se réduit à un cordon de CRS luttant contre bactéries et microbes menaçant les frontières d'un corps adoré malgré sa cruauté et son absurdité.
Le corps social est multitude, le monde est invasions qui tissent, dispersent et unifient, le temps d'une vie terrestre, tous les existants.
Cette richesse n'est pas et ne sera jamais matérielle.
Je n'ai de patte blanche ni dans ma poche ni dans mon cœur…
3
L'ère du travail est l'enchaînement de l'homme à la nécessité
et le bon vivant est ventre repu à l'esprit diminué,
bouche qui toujours suce tète lèche,
logorrhée verbale en quête de personnalité,
l'activité n'est pas l'action,
le footing n'est pas la santé,
le manège luxuriant des marchandises n'est pas la liberté...
Là-bas, de l'autre côté de l'horizon,
domine la nuit blanche des mineurs,
corps sans âges soumis à notre hallucination...
4
Sous le feu de septembre
l'or fauve emporte nos blessures
la contemplation de givre s'arme
pour le printemps à venir
lumière blanche
voix de plomb
sur le bitume
l'ivresse des cris se brisent
à mort l'oiseau !
à mort l'agneau !
à mort tous les gibiers !
dans l'asservissement
nos pas rêvent
l'aile des geais
SiO2