Orage au-dessus d'un jardin
"J’ai voulu dilater la nuit, et y faire entrer sans cesse de plus en plus de rêves " (Virginia Woolf, Les vagues)
J'allais souvent au jardin
Ecouter le bruit de l'eau
Je l'écoutais en silence
A la fois vidée et repue
Ma respiration au diapason
Elle coulait, régulière et éternelle
Repère dans ma vie chaotique
Sa musique m'apaisait et me berçait.
J'aimais aller seule au jardin
Et n'y croiser personne
Chats, chiens, écureuils
Me distrayaient de mon chagrin
Heures passées à ne rien faire
Ne pas penser, juste sentir
Happée par le bruissement
Du vent dans les feuilles
Au coeur de mes nuits sans sommeil
Mes pensées allaient vers lui
Mon jardin fantastique
Passage vers un autre monde
Une lourde nuit d'été
L'orage couvait depuis des heures
Quand soudain il éclata
Rageur, furieux, cathartique
Pluie drue sur la maison
Je sortis en chemise de nuit
Me dirigeai vers le jardin
Et jamais n'en revins
***
Couvaison
Doux petit animal
D'apparence étrange
Trouvé par hasard dans la forêt
N'appartenant à aucune race
Défiant les lois de l'éthologie
Le nourrir, le cajoler
Le gâter, le couver
Lui faire un joli nid
Dans votre intérieur
Vous lui êtes dévoué
Vous croyez l'avoir apprivoisé
Vous pensiez le connaître
Mais il grossit de jour en jour
Il devient envahissant
Sa sauvagerie n'a plus de limite
Il a de plus en plus d'exigences
Vous devenez son jouet
Vous êtes soumis, il vous tient
Vous êtes à sa botte, son esclave
Son nom ? La peur...
Inspiré de "4 pins", Fusain sur papier aquerelle, William Mathieu, 2015
***
Fonds marins
L’eau était glacée. Des blocs de glaces flottaient autour d’elle. Elle avait froid, grelottait. Ses lèvres bleuissaient tandis qu’elle s’imaginait faisant naufrage dans l’Antarctique. Elle essayait de flotter mais rester à la surface de l’eau lui demandait beaucoup d’efforts. Ses muscles commençaient à se tétaniser. Son souffle se faisait de plus en plus court.
Que lui était-il arrivé ? Elle ne se souvenait de rien. Une de ses jambes heurta quelque chose qu’elle ne parvint pas à identifier puis elle sentit une douleur aigüe. L’eau se colorait de rouge. Elle saignait. Elle allait mourir en mer, en aventurière, comme les grands navigateurs qui l’avaient fait rêver enfant. Ce serait une belle mort, héroïque et grandiose. Son dos cogna tout à coup ce qu’elle identifia comme une paroi. Elle s’y agrippa de toutes ses forces. Elle se hissa et parvint à sortir la tête de l’eau.
La paroi en verre était glissante mais elle parvint quand même à extirper son corps en entier et à passer de l’autre côté. Une fois sur la terre ferme, elle regarda autour d’elle. Elle ne reconnaissait rien des énormes tables, fauteuils, canapés, bibliothèques, rideaux et tapis qui peuplaient la maison. Celle-ci semblait abandonnée depuis longtemps déjà. C’était comme si ses habitants étaient partis en catastrophe, laissant tout en l’état. Elle essora ses cheveux plein d’algues vertes. L’eau dégoulinait le long de son corps, sur la table en chêne sur laquelle elle se trouvait. Elle se retourna et comprit qu’elle venait de sortir d’un aquarium gelé au fond duquel gisait un poisson mort.
MARIANNE DESROZIERS
Elle se présente :
Biographie
Marianne Desroziers vit dans le Sud-Ouest, où elle est née par hasard, durant l'été 1978. Par chance, sa mère lui a transmis l'amour des livres, ouvrant ainsi une porte vers l'imagination. Depuis, elle passe son temps à lire, à écrire, à observer les gens et à transmettre son amour des mots.
Ses thèmes de prédilection sont l'enfance et la mémoire familiale, le rêve, les maisons et leurs secrets, les marges et la folie, l'envers des choses. Fascinée par l'autre côté du miroir, elle développe un goût certain pour le fantastique.
Lauréate 2015 de la bourse Aquitaine/ Hesse pour la résidence d'écriture à la Villa Clementine à Wiesbaden. Lauréate 2016 de la bourse et de la résidence d'écriture La 25ème Heure du Livre/D.R.A.C.Pays de la Loire/ Ville du Mans.
Elle anime des cafés des lecteurs et des ateliers d'écriture pour enfants, adolescents et adultes.
Elle dirige aussi la revue littéraire numérique gratuite L'Ampoule et la revue littéraire féministe Incandescentes. Elle contribue régulièrement aux Vases Communicants et à divers sites littéraires.
Bibliographie
Livres:
Lisières, Les penchants du roseau, 2012
L'enfance crue, Lunatique, 2014
Préface :
A chaque jour suffit sa haine, de Sébastien Chagny, Editions de l'Abat-Jour, 2015
Contributions à des revues :
- Revue Littéraire des éditions Léo Scheer (mars 2010)
- Dissonances (numéro 22, été 2012, numéro 30, été 2016)
- Népenthès (numéro 4, mai 2012)
- Lapsus (hiver 2012)
- Traction-Brabant (numéro 46, juin 2012)
- Angoisse (deuxième série, numéro 3, automne 2012)
- Le livre à disparaître (janvier 2013)
- Paysages écrits (n°11, janvier 2013)
- Angoisse (deuxième série, numéro 4, printemps 2013)
- Cabaret (printemps 2013)
- Lu…si (été 2013)
- Zinzoline (été 2013)
- 17 secondes (numéro 3, octobre 2013)
- Métèque (décembre 2013)
- Ce qui reste (mars 2015)
- L'Ampoule (régulièrement depuis 2011)
- Le Castor Magazine (mars 2016)