Maison de proue
Une maison de proue au bord du monde
sextant
Jamais vue la casserole ailleurs aussi penchée
émulsionne
renverse
toute
par la queue
au-dessus du village
l'huile de tes cieux
Arraisonnée par la nuit concave
j'habite une chaloupe
- quand bien même trois feux épars tracent l'horizon droit des hameaux
Mais au-dessus !
cercle de nuit
dôme doux du bord du monde
partout
presque tes cils me regardent
à la mer noire
où ma voix mes mains ne tremblent plus.
***
Delta
En-dessous est l'ancien delta
Les marécages où tournent et s'embourbent les vases sèches
Mes lèvres ont quitté la soif - c'est fait
Dans l'âme, en repli sur soi, centaines d'agrafes
- Des mammifères -
Volent dans la nuit cajun, s'accrochant à ton jupon
Il se teint de rouge
Et mes cils sont d'argile
***
Le bain
Peut-être qu'après s'être séché
de la pressure des sept sources
comme aux fonts baptismaux
dans la macération des chênes
il a gardé ce vernix
baigné dans un lac de thé
imprégné à travers le derme
oint mais jusqu'où
et rejoint le fleuve
Eternal life
au bord
les godasses - la serviette
le train qui passe - les veaux
Eternal life
et la promesse du rite
l'étranger - la serviette
qu'il avait faite plus jeune
revenir chaque été - nager
ici au fleuve
renaître dans l'eau
Eternal life
qui charriera d'autres ombres.
***
Rien ne vaille
Quand à tout va
La solitude des cendres tourbillonne en colonne
Infestant et la pulpe et chaque molécule
Alors comment sans mots que mécaniques
Agir sur l’inanité du jour dans l'épaisse poussière
Sans la fermeté sans os ?
C’est d’ailleurs atroce dans ces fumerolles comme une béance jugulaire semble déborder mon sourire
Rien ne vaille
Sinon une direction, possiblement meuble
Inévitablement dedans ou fors le gris
Comme si pas d’autre jauge
A quoi rimerait livrer bataille ?
Il n'y a que le choix d’un chemin dans l'épaisseur
Parce qu'il faut bien reprendre la lumière
Avancer à pas d’ombres
Comme ne pas y penser
Reprendre la lumière si loin qu’on l’avait laissée.
***
Les nochers
Sur quel pied tu danses ici-là ?
Parce que, quand même, qu'est-ce qu'on est bougés
Ancrés, mal arrimés à nos langues tordues
Crochetées dans du ciment mou - ça bougeait moins avant
On croyait aux pommiers
Encordés pour ne pas partir, juste remués
Et tous ces brouillards collants
Sur quelles plumes on y va
- tu y vas toi, là-haut ?
Parce que, qu'est-ce qu'on n'est pas rendus...
Les planètes, quand même, belles et calmes
Et fixes
Les étés parallèles, les étoiles bien rangées
C'est pas là-ici encore
Et je suis pas nocher, pas nocher ailé
D'autres sont dans des pirogues
On n'en peut plus des fois, alors on se tient aux panneaux
Aux mains des murs, avec nos bouches pliées sous le ventre
D'où tombe un gros colis de silence avalé
Après, on peut toujours presser l'encre de la peau, souvent
Et la faire dégouliner, chaque jour
Dans le coeur blanc des arbres
Et les regarder, les arbres
Pousser longtemps
Dans du ciment mou, la mer noire
Parmi les panneaux
Ici-là
Longtemps et vers là-haut
Des arbres
Des arbres comme des nochers.
RAPHAËL ROUXEVILLE
Il se présente :
Raphaël Rouxeville a étudié et enseigné les lettres. Il y a peu (la quarantaine suffisamment sonnée), il s'est mis à écrire de la poésie. Quelques-uns de ces poèmes ont été publiés en début d'année sur le site Terre à Ciel.