Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - AURORA VELEZ

Publié par Le Capital des Mots sur 26 Septembre 2017, 18:52pm

Catégories : #poèmes, #texte, #nouvelles

MOTS, CAPITAL, DÉS...

 

 

603, un noeud, un zéro, et un trois. Un noeud de fumée remplissant mes narines, mes poumons, mes yeux pendant mon sommeil. “Réveille-toi, il y a un incendie”. La colonne noire devant la fenêtre, confirmant le mauvais sort et dans ma bouche, un gémissement. “Habille-toi, il faut se tirer d’ici !”. D’un coup de main tout dans la valise, les boucles d’oreille, les clefs, j’enfile les vêtements de la veille… et sur la moquette, sur la table, dans la salle de bain reste ce que je ne peux pas prendre : mon journal, mes sandales… six étages, encore de la fumée, lui nerveux, moi le coeur dans la gorge. Nuit d’été. Les pompiers sortent les bébés, les familles par les fenêtres, ils crient, ils pleurent, les visages noircis. Nous sommes à moitié nus, sur le trottoir. Il y a une langue d’eau, de plus en plus large sur le bas coté, et des mamans qui bercent et des enfants qui ouvrent grand les yeux, qui voudront devenir pompiers ou trembleront à vie s’ils sont près de la fumée. Les mots reviennent, le zéro de la nuit perd ses brins et il fait déjà jour. Le propriétaire du bar à putes nous propose des jus de fruit. Nana a 13 ans, elle arrive de Chine, c’était sa première nuit à Marseille. L’hôtel a brûlé. J’ai perdu l’alliance de ma grand mère. La police a appelé. Ils disent que l’incendie est criminel, que je pourrais porter plainte. Dans ma bouche le goût du feu… du froid. Quelqu’un a voulu nous tuer. Je découvre que la rage ne brûle pas, elle glace le sang.

 

***

Leurs bouches remplies d’hypothèses. Ils parlent tous en même temps : que si le PP, que si Rajoy, que si les élections. Lui, il mange, goûte ou dîne suivant les débats. Elle, dans son tablier repassé, traverse le séjour avec cette phrase : “je ne sais pas comment tu fais pour les supporter, ce sont des menteurs. Ils emprisonnent une mère qui a volé trois boîtes de sardines et quelques petits-pois parce qu’elle n’avait pas assez d’argent pour nourrir ses gamins, tandis que ces misérables sont en liberté !!! Persona non grata, dans son propre village et lui, il s’en fiche”. Elle repasse avec une bassine pleine de linge blanc à étendre et derrière ses mots, ça sent le propre. Lui, fronce les sourcils, ajuste ses lunettes, s’approche de l’ordinateur pour ne pas se perdre dans l'entrelac des voix. Celle de ma mère tonne de nouveau depuis le balcon : "Déjà ta grand-mère me disait que je ressemble à Dolores Ibarruri, la Pasionaria”. Chez moi les débats mettent de la couleur sur l’étendoir du quartier.

 

***

 

Le capitalisme est blessé, les societies-benefice

se remplissent les poches et laissent tomber leurs tours, leur

fous, leur pions… elles nous laissent tomber foudroyés, sur

les moquettes tachées de café, sur les parkings, entre deux

TGV.

 

Le Roi et la Reine s’en vont souverains,

la tête haute, avec comme bagages des chèques gonflés de

six zéro, de sept zéro,

grands propriétaires, protégés par les paradis fiscaux.

Sans un seul regard, ils s’en vont

les clefs de la Maserati à la main,

leur retraite assurée dans les poches.

Ils s’en vont avec un  breaking news 

ils s’en vont, ils s’en vont,

qu’ils s’en aillent.

 

Il en perd sa verticalité, son carré, le damier damassé

elle n’est plus féodale la chaîne de production,

nous ne voulons plus payer de dimes, de Burn Out pour

ce travail qui nous emprisonne, nous bâillonne, nous extirpe

nos talents, nous éloigne de nos enfants, nous vampirise

du flux, des mails urgents, le jour, la nuit,

nous cloisonne, nous épeure, nous discrimine.

Fin du flux incessant.

 

Toi et moi; elle, toi et moi; elle, toi, moi et lui et nous

prenons la parole, la rue, les ascenseurs des entreprises,

l’âme bleue de nos plumes… la sève qui nous reste.

 

***

Parfois, nos bouches sont des tombes, elles ne disent rien, ne parlent pas, avalent les mondes non partagés, non avoués. Nous assistons au décès du verbe, à l’assassinat de la conjugaison, à l’empalement des accents, au bâillonnement des diphtongues. Nous oublions que les mots primaires ont deux syllabes ; les concepts, trois ; les souffrances, quatre et les monosyllabes ont le goût des Dieux, des débuts et des fins.

Aujourd'hui, la voix a moins d'importance, tout est : photos, captures d’écran, petites enveloppes qui partent dans l’espace en un clic.

L'image a volé l'éclat et le tonnerre aux mots ?

Où vont ces bouquets de “je t’aime”, de “ce n’est pas possible”, de rêves?

Je me demande ce qui se passerait si ces immenses lèvres lâchaient leur kyrielle.

Entre temps, les poètes s'efforcent de chercher une brèche dans les bouches cousues, d'attraper les verbes que scintillent, ceux qui éclaboussent les consciences, et rétablissent la paix et la parole. Comme disait Blas de Otero…

 

© Aurora Velez

 

 

AURORA VELEZ

 

Elle se présente :

 

 

BIO LITERATURE – AURORA VELEZ

 

 

 

Aurora Vélez García est née à Bilbao en 1964.

 

Elle a une maitrise en Journalisme et est diplômée coach.

 

En 1991 elle s’installa en France. Elle travaille comme Productrice et Journaliste dans la chaine TV Euronews. Aurora est aussi professeur en cours de Langue et Culture Espagnole à l’École de Management de Lyon et Formathèmes, entre autres.

 

https://www.linkedin.com/in/aurora-velez-b757aa51?trk=nav_responsive_tab_profile

 

En Espagne, elle a contribué dans différentes revues: “Galea”, “Pérgola”, “Arbola”, “Ajo Blanco” et “Zurgai”, parmi autres.

 

Ses poèmes figurent dans l’anthologie “Poésia en Bilbao” (Bilbao, 1986) et dans “Antología Poética Vasca” (Madrid, 1987).

 

À ce jour, Aurora Vélez a publié : « Carta corriente en cortina » (Torremozas, Madrid 2017) ; “De exilio y verdín” (Torremozas, Madrid 2016) et “Sueños al aire” (Getxo, 1984). Cinq autres recueils de poèmes restent à ce jour inédits : « El iris de la i » ; « Antes del Alba », « Alma impar », « Esporas » et le dernier, écrit en Français et Espagnol : « L’arrêt », « En ámbar », en cours d’écriture.

 

 


- "De exilio y verdín" (Ed.Torremozas) http://www.casadellibro.com/libro-de-exilio-y-verdin/9788478396511/2986636

 

 

- "Carta Corriente en Cortina" (Ed.Torremozas) http://www.torremozas.com/Carta-corriente-en-cortina

 

 

 

Elle participe régulièrement à des lectures en France et en Espagne, a capella ou accompagnée au piano.

 

http://lyon.cervantes.es/FichasCultura/Ficha108451_56_1.htm

 

 

Aurora Vélez fait partie du « Syndicat des Poètes qui Vont Mourir un Jour », depuis 02 Juin 2016.

 

http://syndicatdespoetes.hautetfort.com/

 

Aurora Velez  - DR

Aurora Velez - DR

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
B
très beau, très vrai et nous allons poètes poétesses mourir un jour...
Répondre

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents