il y a des nuits qui courent
aux doigts de la couturière
l'eau maintenant s'enfuit
comme un tissu désordonné
l'oeil accouche d'une lumière fébrile
et l'aiguille y passe
toute de vent et d'amertume
on ne sait où la poésie écoute
ni quand le désir revient
il y a des matins où l'haleine du temps
change comme la pluie sur la fenêtre
le tissu brûle de ses larmes défaites
sur l'oeil coule la vie
son rêve endeuillé lui rend le ciel
qui embarque aussitôt pour la prière furtive
ces blondeurs ne sont pas un jeu
l'art de la caresse s'ajuste
sur les hanches de la nuit prochaine
la paix se consumera
douce d'avoir promis le baiser
passagère et véritable
comme la rive parfumée.
*
en cette heure inexplorée
j'enracine la prose
le reste de l'écriture
se consume avec l'intransigeance de l'être
toute la nuit prend la fuite
et je recherche sa flamme
les mots passent et se posent
indélébiles ou délétères
je mets le mors du temps
à la mâchoire des poèmes
ils s'accrochent aux présences
et dociles répondent
au murmure de l'étoile
à l'appel des névés
en cette heure habituelle
j'achemine la rose
jusqu'au semblant domaine de l'air
tout confus de devenir espace
comme on devient bruit ou brume
et je m'enracine en vous
ranimant d'un pleur tout le désert des mots.
*
tu es recueillement dans l'aube
tu es désir dans l'infini
tu es trace
là où l'heure maintient sa ville
tu avances
tu hésites et tu t'endors debout
entre les griffes du silence.
Je sais que ta doublure
n'est que d'âme humiliée
ton nom est un rapt d'ombre
je te sais malhabile
quand les mots manquent
quand l'avenir s'abîme
et quand le doux linceul te couvre de sa tiédeur
tu te promènes sur mon corps
comme une caresse sans gestes
tu es roman de brouillard
tu es langueur d'automne
quand la nuit te dénude
je sais que tes baisers sont froids
qu'ils sont l'hiver qu'ils sont l'ivresse
qu'ils sont trépas et pardon.
Tu cours et tu existes
à contre-ciel ta rage allume un feu
tu terrifies le jour
et tu t'éveilles
tu n'es que porte sur le présent
et l'invisible te convoite
pure éclipse des remparts
où tu mens à ta vie.
Extraits de Le Berger des Larmes
KHAMYLLE-ABEL DELALANDE
Il se présente :
Poète breton né à Dinard en 1981. Il fait ses études universitaires de Lettres à Rennes de 2000 à 2004. Mais sa vocation littéraire commence bien avant, en 1997, lorsqu'il écrit ses premiers textes. Petit à petit, il se découvre une passion pour la poésie et la philosophie. Après quelques années d'enseignement sur Paris et la Bretagne, il se consacre aujourd'hui exclusivement à l'écriture. Il a déjà publié les recueils suivants : La Volonté du peuple (2013), La Traversée du non-lieu (2013), Le Sel aride suivi de L'Arrêt du réel (2013), Les Racines et les ombres (2014), La Conjuration des Roses (2018), Sémantique de l'absence (2018).