Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - GÉRARD LE GOFF

Publié par Le Capital des Mots sur 3 Janvier 2019, 11:56am

Catégories : #poèmes, #texte

I.

 

Histoire ancienne

 

1.

 

Tu disais :

« Les étoiles font ce qu’elles peuvent ».

Et de railler l’insolence des néons.

Chaque soir nous jetait dans ces cafés aux acides enseignes

Vers quoi, depuis le fond de la noirceur, s’épuisaient les sphinx.

La houle dansée de la Lune

Se perpétuait dans le tremblement des fanaux

De vaisseaux fantômes à jamais à quai.

Nous inventions des îles,

Ignorant les continents en flammes,

Sourds aux vagissements des foules entaillées vives.

Désirade élaguée,

Ma vie dérivait en archipel de songes.

 

2.

 

Tu disais :

« La nuit viendra me reprendre ».

Et de ne plus savoir à quel horizon tu étais asservie.

Je rêvais la rumeur des feuillages,

Les vents de haut vol,

La harpe de la pluie :

Tout ce qui ne concernait guère ces heures frelatées.

Ô campagnes en sommeil,

Où mon âme chanterait avec le murmure des haies,

Au loin, si loin des désastres.

Dans le poudroiement d’or et de mercure

Des miroirs de tous les bouges

S’évertuaient nos doubles.

 

3.

 

Tu disais :

« Que nous restera-t-il pour nommer l’aube ? ».

Et d’oublier qu’elle existerait sans nous.

Dans ce port, où venaient souvent voguer

Sur la crête des vagues

Quelques oiseaux de passage,

Un accordéon esquinté chantait les amantes

Enfuies,

Le parfum des vieux rhums

Et les équipages perdus.

Par-delà la mémoire de l’ombre,

La forme du hasard

S’évadait des sabliers brisés.

 

In : Juste à côté du silence.

 

*

 

II.

 

Monsieur Caramel

 

Son chien le promène. C’est un amas broussailleux, noir et blanc, qui sent mauvais quand son poil mouille. A l’extrémité de la laisse, on aperçoit un petit homme, à longueur d’année vêtu d’un vaste manteau de couleur indéfinissable : tirant à la fois sur le beige et le chocolat ; aussi, les enfants du quartier l’appellent-ils : Monsieur Caramel.

Lui, ne travaille plus. L’animal n’a jamais rien fait de ses quatre coussinets. Manger, dormir, promener celui qui le nourrit.

Tôt le matin, cet équipage va au pain, bon train, teint blême, pelage luisant. L’homme n’a pas pu prendre son petit déjeuner. Cela le rend hargneux. C’est sa femme qui décide pour lui, toujours.

En milieu de matinée, le duo emprunte le même itinéraire que précédemment, escorté par un cabas. A la mi-journée, aucune raison particulière ne justifie leur sortie. L’après-midi non plus, d’ailleurs. Le soir encore moins. Quant à la nuit.

Le même itinéraire et par tous les temps. Lorsque la pluie tombe, l’homme disparaît sous un grand parapluie. Lorsque le gel s’incruste dans les plis de la ville, il bat de la semelle. Lorsque la chaleur pèse, il plante un pliant sur un carré d’herbe à l’ombre d’un platane.

Parfois, Monsieur Caramel observe le cabot renifler un étron, des couteaux dans les yeux. Cette bête envisagerait-t-elle la paternité de la chose ? Fut-ce l’œuvre d’une saucisse à pattes venue dédicacer le square ? Ou celle d’un bouledogue accouru se délester d’un trop-plein de pâtée ?

Quand la Lune vogue à son plein, l’homme semble aboyer. En réalité, il se moque, constatant que son épouse et sa bestiole se ressemblent : toutes deux, hérissées, grognant sans cesse.

Lorsqu’il n’en peut plus, il se demande où il trouvera la force qui lui permettra de poursuivre ses périples quotidiens. Découragé, lui prend-t-il alors l’envie de se pendre ? Que décider si le chien venait à périr le premier ou sa moitié ? Songe-t-il parfois à tuer le corniaud ou la femme ? Voire les deux ? L’éventualité de cet équarrissage le fait sourire. Un sourire carnassier.

 

In : Passants.

 

*

 

III.

 

Consolation

 

Aux matins de si peu de lumière

Traversée par la ferveur naïve des oiseaux

Aux confins des territoires de l’aurore

Que laboure la pluie

En ce jour nouveau qui saigne noir

Dans la maison auréolée de silence

 

Seule me console

 

La présence de ton cœur

A mon côté

Sur mon cœur

Dans l’espace infini

De tes bras ouverts

Ce cercle blanc

Sans cesse retracé

 

In : Juste à côté du silence.

 

*

 

IV.

 

Au détroit de l’automne

 

Dans l’oubli des noms du rivage, la mer impose

Ses sourds murmures, les échos de plaintes trépassées

Et les chants de sirène des navires fracassés.

Les lanternes se troublent en subtiles anamorphoses,

 

Etirant leurs feux clignotants dans l’ombre liquide

Qui coule sur les quais, peine à cerner leurs contours,

Quand les visages des villages se ferment alentour,

Toutes girouettes éventées, sans un astre pour guide.

 

Dans les jardins noyés s’épanche la lie des roses,

Pleuvent les souvenirs de valses dansées, paupières closes,

Dans un songe sans fin que composent mes lettres fanées.

 

Le détroit de l’automne tant submerge mes éveils

Que m’accable la nostalgie de fantasques soleils !

Mon cœur est orange qu’écorchent les belles de l’été.

 

In : Juste à côté du silence.

 

 

 

GÉRARD LE GOFF 

 

Il se présente :

 

Né en 1953, Gérard Le Goff a été successivement enseignant en lettres, cadre administratif de l’Education nationale et conseiller en formation continue. A entrepris depuis son départ en retraite de se plonger dans ses archives, encombrées de manuscrits (sédiments d’avant la révolution informatique), de tapuscrits, de synopsis et de diverses autres élucubrations - plus ou moins inachevés. Un salutaire travail d’élagage (comme on le pratique avec un vieil arbre toujours vigoureux) lui a permis de proposer des textes à peu près cohérents à qui voulait bien s’en emparer.

 

     S’en est également suivie une reprise salutaire de l’activité d’écriture : romans, nouvelles et toujours de la poésie. Travaille en parallèle la peinture et le dessin, accompagné par une artiste professionnelle, qui parvient à le supporter.

 

     A publié quelques poèmes dans les revues Haies Vives (septembre 2017), Festival Permanent des Mots (Mars 2018 et septembre 2018) et Le Capital des Mots (novembre 2018). Une de ses nouvelles (Le jardin dérobé) a été sélectionnée pour paraître dans le numéro 90 de la revue Traversées. La maison d’édition Traversées lui a également proposé la publication en 2019 d’un recueil de poèmes intitulé : L’orée du monde.

 

     Vient de signer aux éditions Encres Vives-Michel Cosem pour l’édition de trois plaquettes de poèmes : Cahier de songes (septembre 2018), De l’inachèvement des jours (octobre 2018) et L’arrière-pays n’existe pas(décembre 2018).

 

Son site :

 

https://gerardle-goff4.wixsite.com/monsite

 

 

 

 

 

Gérard Le Goff . Portrait ( Avignon) - DR

Gérard Le Goff . Portrait ( Avignon) - DR

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