Tentative de désespoir
Le bœuf écorché, soit. Je l’aimais, je l'accepte.
J'y joue cinq heures par jour, les dents serrées. Mais
c'est un cycle. Longtemps je rampe. Des forêts
de souvenirs à ras de mufle qu'intercepte
le livide rayon d'un doux message inepte.
Je me redresse alors bel Icare aux agrès
puis chute, tel K. dans l'eau froide. Et je la hais
– cinq secondes car je sais le scorpion scept-
ique qui se balance aux barres parallèles
de ces doubles vies qui battent en vain des ailes
responsable de la blessure abdominale
et c'est la pire brûlure sentimentale
de voir que même volontaire un coup de dard
jamais n'abolira l'amour ni le hasard.
***
Acte de foi
Quand soudain tout n'est plus que parodie, le geste
de ranimer le feu signifie au moins trois
choses que je fais, voire que je ne fais pas.
Pas : les amours perdues, j'en sacrifie la geste
à mon orgueil muet, sans remuer leur reste.
J'entretiens bien des feux en sous-main toutefois
(je dis en sous-main j'aurais pu dire en sous-bois)
dans un cœur neuf qui déjà fume et craque agreste.
Mais c'est aussi une fort étrange besogne
de bâtir un bûcher miniature et trouver
en une bûche un axe, en un nœud une trogne
de Notre-Dame qu'ailleurs tous voudraient sauver.
Et je sens que l'autodafé où je m'affaire
Brûle à mon insu le lien que je préfère.
***
L'été
D'une cour délabrée on grimpe la cloison
Pour passer le miroir d'une fenêtre fine
Jusqu'aux toilettes où déboulent grise mine
Des flics banalisés au milieu des garçons
Lunettes noires cigarette cheveux longs
Qui bien vite ont caché leurs tendres clandestines
Je tombe encore amoureux fou de ma voisine
Le temps d'une séance ou bien d'une saison.
Il me prend, le film de vacances soviétiques
Il balaye d'un coup mes supplices éthiques.
Les plages de l'été m'ouvrent leur horizon
O vivre enfin. Mais Mike étrange se retire,
Natalia choisit l'enfant et la raison
Et déjà l'ombre arbore un lugubre sourire.
(Leto, par Kirill Serebrennikov)
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Une femme de tête
Le message du film est plutôt étonnant :
on ne peut remplacer l'homme par la machine
mais on peut remplacer le goujat qui s'échine
à garder son amante à coups de boniment
et de bouquets de fleurs et de projets tentants
et sans cesse avortés de week-ends, la confine
dans son chaos en moderne visitandine
et contre un bref câlin exploite son talent
par l'homme qui longtemps erre dans les bureaux
avec la bienveillance étrange des bourreaux,
l'ingénieur distrait qui déjeune aux tempêtes
qui oublie son chapeau et se trompe de jour
qui piégé par la pluie a plein de blagues prêtes
et gaiement sacrifie sa technique à l'amour.
(Une femme de tête, par Walter Lang, 1957)
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Palabres
À la chaîne, des noms, des livres, des auteurs,
Jeromsky, Jakobski, Cesarski, Guillomski,
On se croit dans ce poème de Heine qui
Se moque de deux soldats polonais hâbleurs
Et veules qui se gargarisent de valeurs
Mais dont l'idéal est vodka schnaps et raki.
- Chifmolski, Minablski, Briganski, Jchaipluski-
Rien de plus soluble dans l'alcool que leurs pleurs.
On ne m'épargnera donc le nom de nul bled :
Plotsk, Lodz, Ptuj, Brno, Pécs, et, avouons-le, Bled
Au nom prédestiné m'invitent au voyage
Quelque part dans le Sud de notre beau pays,
Dans un de ces vieux bourgs qu'en snob j'avais trahis
Avec clocher en peigne et rue à colombage.