En ce qui concerne mes sources d’inspiration, elles ont en effet nettement évolué : les chemins de ma vie et des hasards qui n’en sont pas m’ont amené vers la lecture de textes spirituels. En 2017, je vais récupérer des livres chez Marcel Migozzi (il allait les jeter) : je trouve parmi ces ouvrages deux Guez Ricord, dont « La lettre sous le manteau », et ce livre s’est ouvert à moi. Au printemps, quelques mois plus tard, Annick Vinay m’appelle, je suis à La Castille, devant la statue de La Vierge, et elle me donne le numéro de Bernard Mialet, l’exécuteur testamentaire de Guez Ricord. Je l’appelle, il n’est pas là, s’ensuit un jeu de pistes jusqu’à une rencontre magique et un échange de livres. Dans un livre qu’il me donne, de Christian Gabrielle Guez, figure le nom de Hâllaj. Il me paraît énigmatique : je me renseigne sur lui et trouve un entretien radiophonique de Louis Massignon, sur Hâllaj. J’appelle aussitôt une librairie et tente de commander le Diwan de Hâllaj : on me dit que le livre est épuisé et qu’il sera peut-être republié, mais ce n’est pas sûr. Quelques mois passent, et, un beau jour, un SMS de la librairie : « Votre commande est arrivée ». J’y cours, j’y vole, à la librairie, et, au retour, je ne suis pas déçu : le livre s’ouvre à moi. Hâllaj y dit : « Je suis Dieu-le-Réel », « Je suis la Vérité suprême ». C’est une édition remarquable, un livre traduit par Massignon lui-même, préfacé par lui. C’est chez Lettres Persanes. Je vois bien que le temps joue en ma faveur et que je continue, la lecture, l’écriture, alors, sûr de moi, j’appelle, trois semaines plus tard, les éditions Lettres Persanes. J’ai au téléphone Jalal Alavinia, et c’est la naissance d’une amitié littéraire. Je lui dis tout le bien que je pense de ce livre, il me parle de la poésie persane… et je saisis tout ce qu’il me dit. Trois semaines plus tard, je le rappelle, et il me propose de travailler pour lui après avoir entendu un de mes textes. Cette collaboration est toujours là, et, après un travail intitulé « Quatrains », d’un certain ‘Attar (l’auteur du « Cantique des oiseaux), publié chez Lettres Persanes, nous travaillons actuellement à des traductions de Rûmî. Je m’occupe de la mise en poésie, car je ne connais pas le persan, mais comme toujours, les commandes me donnent un sentiment de grande liberté : je peux m’y exprimer réellement. Alors, pour revenir à mon écriture, bien sûr que la forme évolue, mais bon, elle évolue tout le temps, et depuis toujours, et, bien sûr, pour tout : j’en suis conscient, j’aspire à renouveler mon écriture, comme j’aspire à poursuivre mes petits bouts de parchemin. Et c’est aussi pour tout cela que j’écris « changement », « évolution » et « continuité » à la suite. Tu sais, « Littéralement et dans tous les sens ». On en revient toujours au Rimbe, même ceux qui le fuient reviennent toujours à lui. Tu sais qu’il peut encore susciter des haines, des détestations terribles, très violentes ? Sollers l’aime bien, lui qui aime les poètes morts (c’est déjà ça)… J’aimerais finir cet entretien par une anecdote qui est plus qu’une anecdote… En 2002, j’appelle tous les jours Gallimard pour vérifier que Philippe Sollers est présent… il n’est jamais là… je l’appelle d’une cabine téléphonique, depuis l’asile de Pierrefeu… jusqu’au jour où la secrétaire me propose de lui laisser un message… eh bien je saute sur l’occasion et pars dans une envolée lyrique, où je me désigne comme étant César, Le Crucifié, Le Phénix, Dionysos… J’y dis à la fin : « Voici mon septième évangile », et je vais jusqu’à signer Frédéric-Guillaume Nietzsche… Eh bien, en 2006, parution d’Une vie divine, du dit Sollers, où Nietzsche est le personnage principal du livre, et où M.N. vit au XXIème siècle. Il est revenu ! A la fin, Sollers évoque même des billets « plus ou moins déments » qu’il irait jusqu’à signer carrément Nietzsche… Et de psychiatres qui lui rendraient visite… Mais ce n’est pas fini : en 2006, la même année donc, paraît ? « L’évangile de Nietzsche », par Philippe Sollers… Un recueil d’entretiens… Le prolongement d’Une vie divine. Cette histoire, elle peut paraître folle, mais elle est véridique. Je voulais que tu le saches. Je voulais que tout le monde le sache. Car c’est bien moi qui ai inspiré cette démoniaque idée à Monsieur Sollers, et qu’il faut rendre à César ce qui est à César.
NICOLAS JAEN
Il se présente :
Nicolas Jaen est né le 2 février, dans le Sud-est de la France. Derniers textes publiés: Lettres à A., l'Atelier des grames; Bestiaire et La photographie absolue, éd. du frau.