Mastic, bronze, lichen, pâte chaude des lianes. Crispations menues de l’air, ici fleurissent les moustiques. Des bêtes soufflent, la forêt bruit, creuse développe l’espace depuis ce point où
nous sommes cette forêt plusieurs fois centenaire, pas même respirée, on dit vierge.
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À suivre cette voie, nul doute que l’on s’y trouve. Reste à garder le soleil dans son lit, liquide, en crue déjà. Bientôt les parois craquent, explosent la digue de nos ventres, sillons dynamites.
L’or coule.
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Les bras en croix, il nous accueille. Le visage est de Rouault venu là on ne sait d’où sinon par le fleuve, à la rame.
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Un nénuphar sur l’eau.
Sous le nénuphar un rai de lumière sépare le blanc du soir.
C’est un chemin d’où partent des galeries.
La lampe au front je descends
en varappe avec toi
je plonge.
Nous sommes ces spéléologues fous
projetés dans les couloirs à double et triple fonds
d’une caverne humide.
Au-dessus, le nénuphar prolonge le pubis, irrigue nos corps pulsatiles.
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Ou la possibilité d’un Big-Bang.
Tu bandes, émets les secousses d’une montagne
dont les nervures médusées
jaillissent
électriques
verticales minérales
frictions millénaires.
Déplie mon ventre.
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Subductions à même la chair
pulpe dont l’interface mobile
déclenche d’autres canaux
achemine le flux comme une carte à échelle changeante
redistribue les routes.
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Il nous appartient de convoquer la tectonique des plaques
inventer les reliefs, chaînes nouvelles
arc-boutés
rendant à Richter les aiguilles de veille
la magnitude tendue à bloc.
Collision.
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Un matin, je me réveille avec un pied. On a coupé l’autre.
Extraits de "Chair paysages " Editions Unicité, 2019. Avec des dessins de Jean-Louis Fleury
CÉCILE ROY
"Chair paysages" est le premier livre de Cécile Roy.
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« Des trois textes composant le recueil Chair Paysages, se dégage une force poétique dont la puissance n’emprunte rien au pathos. Cécile Roy offre une poésie libre et visuelle, d’un timbre parfois mordant, pour dire l’exploration sensuelle d’une terra incognita, celle de la « jambe coupée » et du monde à reconquérir. »
Juliette Keating, blog Mediapart.