Il serait une fois, dans un pays magique, une auréole éperdue qui aurait quitté son lieu surnaturel, en quête d’une nouvelle terre. L’atmosphère enluminée d’une aurore boréale étincellerait, un jour d’hiver, dans une contrée perdue du bout du monde. Depuis quelques jours, peu après avoir compris que notre histoire était sur le point de finir, l’image me poursuit, intarissable. Coulant de la source de cet amour, elle aurait attendu ce moment déroutant pour surgir, tout d’un coup, et m’envahir, tout du long, des pieds à la tête.
Debout, vaquant comme d’habitude à mes affaires, dans le costume noir et blanc qui sied à la grisaille quotidienne, je sens, en soubassement vivant de mon corps, sa présence : la présence chaleureuse de tous ces petits mots du jour qui s’égayent, comme le gazouillement des enfants et le chant bienveillant des oiseaux matinaux. Je ressens comme un rayonnement qui s’épand sur ma vie, en s’épanchant de la terre ocre à mes pieds, pour leur donner une sorte de bain de soleil terrestre. Cette masse éthérée ressemblerait à une rosée, matinale ou vespérale, s’évaporant le jour durant en une sorte de brume radieuse, dont la teinte, étincelant comme l’orpiment de Perse, serait plus proche du jaune royal de L’Or de l’azur de Miró, que de la luminescence jaune orangé d’Aldébaran, l’astre trompeur évoquée par Nerval. Il fait bon vivre, les pieds plongés dans ce bain de vapeur dorée née de la Terre, qui répand sa chaleur dans tout le corps et inonde le cœur de sa lueur en autant d’ondes de bonheur. Il fait bon vivre en sa présence. Il fait bon vivre auprès d’elle. Mais, bientôt…
À ce moment, l’image devient proprement insaisissable. Au cœur de l’orage amoureux, comme foudroyée, l’auréole d’or se cristallise en joyau lumineux. Lorsque la tempête intersidérale se sera calmée, l’alchimie de l’amour transmutera la fluorite jaune en cornaline orangée. Mais le temps de l’apaisement n’est pas encore venu : il faut souffrir les tourments du désenchantement, supporter le désespoir, survivre au désastre. À l’instant, dramatique, du tournant sidérant, la métaphore se perd dans l’abîme insondable de l’effondrement universel des astres : déflagration de l’aurore, happée par un trou noir, au crépuscule de ma vie…
***
Pièce en trois actes prophétisant l’envolée mémorable d’un oiseau de paradis aux couleurs éclatantes, à l’origine de l’apparition majestueuse d’une princesse légendaire
En mémoire de L. von Salomé
I
Scène inédite sur le parvis ébahi
Le sang ne coule pas entre eux
Le temps ne s’écoule plus
À l’instant suspendu
Personne d’autre qu’eux deux
Sous le charme enchanté de la confusion
La note, magique, et la remarque, elliptique,
Cette exquise extase d’un plaisir improbable
Cette alchimie mystérieuse des désirs impénétrables
Rencontre éphémère à l’orée d’un crépuscule
Rougissant à la lueur d’un soleil noctambule
Merveille du teint vermeil
Fusion des regards sans effusion
Déclaration traversant les générations
Disparition miraculée de toute condition
Balbutiement des voix impressionnées
Sensibilité des corps intimidés
Attirance insensible des gestes
Attraction irrépressible des paroles
Attachement fascinant des esprits évanescents
En quête éperdue du fil ténu d’un corps
Qui les tient et les retient encore ?
Beauté de l’écriture bleutée
Accordée par les dieux touchés,
Tonalité sacrée de son cri raffiné,
Envolée miraculée du Faisan doré,
Échappée troublée d’une trouble identité
Entre en scène
Juliette sans Roméo, plus jeune encore,
À la silhouette effilée par l’innocence de l’ignorance
Et, esquissant d’un seul mouvement toute l’élégance,
Lou Salomé, avec le temps plus sensuelle encore,
Incarnation de la passion en gestation…
II
Scène d’intérieur dans un palais imaginé
Pour une romance tragique de Shakespeare inspiré
Dans la crypte sinistre du prétendu Palace of Pleasure,
Roméo est déjà mort, Juliette éperdue s’éveille au remords,
Une main délicate fait gracieusement vibrer la harpe
De son corps gracile tendu par l’écho de l’autre,
Le cœur fendu par la résonnance de l’Amor :
Amour interdit que vient briser la mort,
Chanson de gestes désespérés,
Pour ressusciter Orphée…
Effondrement sans parole enrobée,
Surgi du tréfonds de la boîte de Pandore,
Espoir renaissant des cendres du Phoenix,
Envol du paradis d’un flamand rouge pourpre,
emportant le Conte sur la voie du Paradis
Toutes mythologies confondues pour revenir,
Histoires travestissant la fermeture à venir,
Mélancolie sanglotant la déchirure passée,
Nostalgie déroutante des chemins de traverse
Refrain lancinant venu d’un autre temps,
Regret d’aimer encore l’étoile d’un autre âge…
Désolation confondante du présent,
Perturbation des tourbillons fatidiques
Au fin fond des sillons du typhon cosmique.
III
Scène incessante dans un moulin imaginé,
Parmi d’autres belles et quelques damoiseaux,
La belle demoiselle se salit les chastes oreilles à écouter
Les paroles excitées du maître d’école, passionné mais éreinté :
Leçons de choses qui tournent en rond
Au sein même de la matrice de tout être,
Cours sur les choses de la vie qui tournent court…
Moulin à paroles affolé par tous ces yeux rivés
Sur son corps tremblant
Dès le premier instant :
Le danger éprouvé de s’attacher,
La menace assénée de s’en aller…
Désir de s’enfuir pour se soustraire à ses yeux
Il y a les yeux mirobolants, comme avides d’abîme,
Océan dévorant qui s’ouvre à la mémoire des Mayas :
Avoir maille à partir avec elle,
Désir de s’enfuir avec la femme-abeille
Butiner les fleurs et faire son miel du passé ;
Il y a le regard sensible d’un ange qui passe,
Pénétrant insensiblement le sens des silences,
Douceur d’une impénétrable pudeur :
Désir revigorant de s’attendrir
Au creux de sa présence réconfortante,
Au cœur du présent de son existence ;
Il y a la vision gorgée d’indicibles impressions
S’écoulant dans le torrent des gouttes d’éternité,
Intensité déconcertante d’une exorbitante attention
De tous les instants au cours indéfinissable de la vie :
Concert unique en son genre des voix à venir,
Désir, à n’en plus finir, de n’en pas finir,
Angoisse de l’échéance ultime…
Comment renoncer à son regard ?
Fatalité de l’éternel retour du même qui m’enchaîne sans m’aimer,
Espoir de quitter le cercle glacé du désespoir
À la grâce des adieux mémorables
Communion émue de la belle apeurée et de l’enfant perdu,
Musique silencieuse du moulin à vent qui joue la partition parcourue…
***
Légende calfeutrée dans un écrin secret du temps
en trois mouvements éclatés
en souvenir du bleu argenté des yeux dorés d’Aurélia
I
Ciel couvert, cœur ouvert
Au teint vermeil d’une merveille
Éclair de jouissance de l’être
jaillissant du tréfonds de la nuit,
impassible et silencieuse,
est-elle insouciante ou intimidée ?
à même le désaccord interstellaire,
l’accord des corps en la mineur.
Brumes amoureuses des selves obscures,
escapade en volutes voluptueuses d’anges
épousant les flancs escarpés du mont de Vénus,
enluminant son corps verdoyant d’une saveur blanche…
Les effluves parfumés de ton intimité diffusent leur essence raffinée au sein érectile de ma fébrile émotivité :
fiancée morganatique,
présent des dieux aux extases du temps,
magicienne endiablée qui m’a ravi l’esprit, au crépuscule, en dansant vierge au regard,
l’aube rougissante de ton visage est ravissante comme le teint de ton sourire endormi
ce matin, enlacée dans les bras animés d’une rivière
s’écoulant de ta gorge poétique
Poétesse inspirée par les vents qui nous importent, l’un et l’autre, à nous emporter l’un vers l’autre,
ta poésie est séduisante comme une étoile filante au regard éclatant dans les cruelles ténèbres de l’absence…
Beauté lettrée dont les baisers bleutés, à l’envol parfumé comme des parchemins d’un autre temps,
s’instillent dans mon corps extasié par la grâce indicible de leur subtile senteur :
perchée dans les profondeurs abyssales du désir,
ta prose envolée sidère mon existence de son charme envoûtant ;
j’aime la dérive sublime que tu proposes innocemment aux choses de la vie
courante comme un éclair émerveillé dans le ciel de mes rêves éveillés,
je t’aime en fête incessante de la vie immédiate !
Atmosphère illuminée d’une aurore boréale
étincelant dans une contrée perdue du bout du monde,
Terre ocre à ses pieds auréolés d’une lueur dorée
rayonnant dans le corps enchanté par l’onde
du bonheur, pour une fois, à l’heure
se cristallisant en fluorite jaune
un beau matin de printemps…
*
II
Ciel ouvert, cœur couvert
Aux larmes éperdues du temps révolu
À l’heure du malheur,
la brume exténuée des anges volages,
gardiens de la nuit des larmes,
alarmés par le pressentiment du jour,
effrayés par les contours de l’amour terrestre
s’envole à l’orée bleutée de l’envolée
miroitée, à la source d’une oraison céleste
Désastre de l’étoile égarée dans les nuées virevoltées
du destin qui s’échappe comme un oiseau désemparé,
lancinante amertume du corps transi d’émotion,
infinie nostalgie de la magie des lettres
et du joyau lumineux de l’heur d’être :
sans ton regard caressant mon corps,
je m’étiole comme une étoile fanée,
je m’exténue comme un souffle coupé,
sans ton corps vibrant sous mon regard…
Tourmenté par la mélancolie du crépuscule de la vie,
fuyant la terrible cacophonie des sentiments avortés,
l’ange déchu s’enfuit et erre dans le désert du désir,
en quête désespérée du tournant sidéral,
entamant un chant sidérant de cruauté
pour renaître de ses cendres,
à même l’atour de l’être…
*
III
Cœur ouvert au ciel découvert,
Amour sous couvert d’être ouvert
Caressant une lune arrondie comme un bouclier solaire,
l’espoir vespéral d’une conjonction des astres
conjure de la vie l’épineux désastre :
De la déchirure d’un sommeil inhibant
à même les secrets désertés du désert,
une estampe poétique au creux du temps,
s’insérant doucement dans les interstices du cruel moment,
inscrit ces notes d’éternité dans le marbre des feuilles de papier
Assumant l’angoisse présente à la lumière à venir de la défaite passée,
l’inspiration puisée dans l’histoire s’ouvre à une régénération :
en quête d’une reprise animée du souffle de vie,
le corps du désir change de visage
au cours d’une nuit de pleine lune
La terre amoureuse en manque de sève fertile aime sentir le ciel bas
s’épancher en jets d’eau divins qui pénètrent son corps assoiffé d’amour :
Gratitude de la grâcieuse Gaïa !
La nuit a cessé de dormir, enfin
le jour s’est subtilement levé sans mot dire,
le ciel a fait un geste courtois en envoyant un filet rougissant de nuages aux cheveux gris,
l’océan scintillant à la manière d’un outremer fabuleux s’offre au rêve éveillé
du sourire effleuré d’une matinée resplendissante comme une incantation :
vapeurs évanescentes de ta présence à ressentir depuis l’aube,
au sein des secrets encore scellés de l’intimité d’une chambrée,
raffinée beauté du jour et de la nuit, du crépuscule et de l’aube,
douceur infusée dans les entrefilets effilés de la chair,
amour en couleur de miel et saveur de soleil…
Il fait bleu ce matin
et la vie paraît belle aux éveillés du jour :
les fantômes décharnés de la nuit ont pris congé,
insomnies et angoisses obscures se sont volatilisées,
le réel acariâtre gît désormais dans les marais salants de l’oubli,
le temps défait à présent les nœuds du cœur comme les impasses et impatiences des rancœurs :
découvert à nos yeux émerveillés comme au premier jour du monde,
le bleuté feutré de l’azur, auréolé d’une dorure égayée
par des filets sanguinolents d’éclairs rouge orangé,
s’échappe de l’avalanche de nuages désarmés
face à la beauté stupéfiante du monde ;
profondeur confondante des abîmes marins,
rosée matinale d’une clairière éblouissante de vitalité,
arc-en-ciel parsemé de vagues vaporeuses de toutes les couleurs,
efflorescence de la végétation rutilant en myriades de rayons verts irradiés de désir,
fécondation ininterrompue de toute la chair de la nature acharnée à renaître encore et toujours…
Teintes célestes de l’étreinte terrestre des corps au diapason de la note sensible,
amour maritime aux couleurs de ciel ouvert, fleur de soleil et rayon de la terre,
chant d’un ciel bleu cendré, à se l’imaginer scintillant de pierres d’azur
ornant de bagues et de boucles doigts et oreilles de ton corps charmé :
union embrasée d’embrassées volées à l’adversité,
enracinement abyssal du rhizome entre nous,
rose inoubliable dans tes yeux émerveillés,
gonflés de l’envie de boire l’eau-de-vie,
on sème au vent les graines de bonheur
comme des gouttes d’éternité
délicate et délicieuse…
La sueur azurée de l’horizon est enfin à la hauteur de notre amour voyageur :
j’aime ce ciel qui nous attend dans un coin perdu de l’univers ;
sifflant dans les entrebâillements du temps
comme la sirène des trains d’antan,
le vent souffle bruyamment ;
tes yeux rugissent de plaisir aviné,
ta tête s’est enroulée sur mon épaule apaisée,
la voile de mes poumons est gonflée par l’élan de ton désir,
tenant le cap et traçant des sillons dans l’océan de nos rêves,
j’aime m’élancer dans le vide intersidéral avec toi,
nous aimons courir à flanc de côteaux,
parcourir ensemble monts et vallées,
pour engendrer cet amour lové
dans un rêve ancestral…
Un horrible doute me sidère :
qui es-tu ? où es-tu ?
je parcours la vie,
je traverse en vain ta ville,
tu es partout sans être nulle part…
Ne serais-tu donc que l’ombre d’Aurélia ?
NADEJDA
Il se présente :
Ce poète de l’ombre se dénomme Nadejda (Надежда), du nom russe de l’espérance qui gît au fond de la boîte de Pandore. Ses poésies livrent en pâture une intimité transfigurée, ses rêves les plus fous, sa vision sublimée de la beauté, dans un recueil en gestation. Nostalgia est son nom : c’est le nom caché de la vacance de l’être les jours ouvrables de la semaine, le nom caché de l’ajournement extraordinaire de la vie ordinaire les jours de fête, l’ouverture à l’existence du merveilleux dans le monde. Il s’agirait d’y raconter une histoire au plus haut point imaginaire, une histoire déplacée, l’histoire d’un temps partagé en privé, hors des feux de la rampe qui brûlent les envies, l’histoire d’une rencontre impossible, vécue comme un rêve éveillé...