LE CAPITAL DES MOTS n°6- Avril 2008- Daniel Leduc
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Comme chaque réveil nous porte vers de nouvelles senteurs,
chaque parole donne aux lèvres l’arrondissement du sens,
et chaque amour revient à puiser l’eau de source.
L’Homme est une sempiternelle rengaine
aux airs de fureurs, d’ombres et de mystères
qui s’élèvent du champ de guerre
aux odes à la mémoire de la beauté.
L’Histoire ramasse à la pelle les histoires
que l’automne et l’hiver ont fait choir
sur la terre toujours fraîchement sillonnée.
Qu’y a-t-il derrière notre mémoire,
quoi d’autre qu’une impression sur une drôle de bobine,
qu’un miroir sans tain à la face du monde,
qu’une cervelle dérangée de son tiroir ?
La guerre gueule dans le goulot d’où dégoulinent
des zestes de corps, des restes de raison.
Certains s’artistent en ces temps dérisoires,
redonnant de l’espoir à des larmes de rires
et de la sympathie aux discordants accords.
La nuit s’étoile à chaque fois que l’art
vient présider l’assemblée des tourments ;
à chaque amour qui s’épuise dans le cœur,
le monde renouvelle son audience ;
et chaque éternité dans le regard
confère à la nature un instant étonné.
Il y a du vin dans les mots qui rassurent,
du sperme dans la liqueur, de l’onguent dans le geste,
de la vague amniotique dans la caresse du jour.
Que l’on se dise que lorsque tout est mort,
le silence renaît, l’aube enfreint la nuit.
Derrière le son sont le sens et le sang
qui coulent de soi vers l’estuaire du soir.
Et les mots ne jouent que pour mieux jouir des sens
de cette comédie qui n’a rien de comique.
Allons ! ne cessons pas de vivre
avec au cœur la chair et le rucher :
c’est par ces miels que s’émerveille la vie !
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La nature, on le sait, n’est qu’un principe,
puisqu’elle est autre chose que ce qu’elle définit.
Elle échappe à sa nature propre,
s’élance bien au delà des mots.
Elle enveloppe la vie
tout en s’en détachant.
Et je connais des êtres
dont la nature s’épanche.
Ils sont comme ces roseaux
prêts à baiser la terre
tout en baisant le ciel,
de ces saules pleureurs
aux rives de la nuit.
Ces artistes impatients
qui engendrent en criant,
je connais leurs silences.
Ils composent, peignent, écrivent
dans des marges de cahier
qui se dilatent
au contact du temps.
Le temps n’est pas un leurre,
pas plus qu’une infortune :
c’est lui qui fait penser autant !
Peu importe ce qu’il est,
pourvu qu’il agite
les feuilles de nos cahiers !
Qu’il s’immisce dans nos rêves
y déposant sa sève,
et les miels de l’instant.
Peu importe le temps.
La mémoire, vous savez,
la fuyante mémoire,
elle arpente le grenier,
se niche dans les combles,
défie les rides
voilées de l’univers.
C’est une trappe qui s’ouvre
sur des champs magnétiques,
une boîte de Pandore
aux contours insondables
comme le sont les contours de la vie.
Les formes que nous avons
que forment-elles ensemble ?
Quels sont les aspects
des véritables figures ?
Et nous figurons-nous
la proche réalité ?
Le corps, dans son impalpable décor,
ne se laisse approcher
que par touches délectables :
le reste n’est que fumet !
Faut-il, ainsi, saisir
la contenance
pour prétendre peser
le contenu.
La femme contient la chair,
l’os et la peau.
Elle est au jour
ce que la proue est au navire ;
à la nuit,
ce qu’annonce le fanal
par son obscure clarté --
et la foudre est son étoile.
Femme :
coup de foudre
feuillette,
tu enivres
ta beauté.
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Je marche toujours en devançant mes pas, le regard attentif à tout ce qui distrait.
J’évolue, peut-on dire, de façon intuitive, de telle sorte que se propulse l’instant à venir. Et les rues se croisent comme de vulgaires passants.
La ville, c’est elle qui me façonne. C’est elle qui me dépeint. Comme me dessinent les femmes, m’assurant sans destin. Sans avenir
propice.
Je vis comme on balance. Entre l’aube et le soir. Entre deux verres bien pleins.
Entre la rue et le trottoir. Au plus près du caniveau.
Là, je suis un encensoir – pour des dieux sans fortune – pour d’autres, sans état d’âme.
Je campe sur moi-même. Moi qui vient de si loin.
J’ai traversé des contrées austères, des déserts d’où émergeaient des cités peuplées de couleurs vives et d’élans
symphoniques.
J’ai fait halte dans des fondouks où, bien qu’étranger, je me suis senti indigène ; dans des caravansérails aux fortifications aussi
élevées que l’esprit qui y domine ; dans des khans, où les mots chaleureux servaient d’accueil. Et j’ai pensé que l’Homme était frère de lui-même.
Je suis venu ici, les mains nues, grandes ouvertes.
On ne m’a pas connu.
On a dit : « Quel est cet immigré, que vient-il faire chez nous ? »
On ne m’a pas connu.
Ombre de l’ombre, ombre de la société je vis, comme on balance.
La nuit s’approche, la nuit se presse.
Dans le noir un homme -- vient me tendre la main.
Daniel LEDUC
Daniel LEDUC est né à Paris en 1950. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages (poésie, livres pour la jeunesse) ainsi que
d’une centaine de nouvelles publiées dans divers quotidiens et magazines. Ses textes ont été traduits dans une dizaine de langues. Il exerce des activités de critique littéraire. On peut
consulter son site Internet à l’adresse suivante :
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