LE CAPITAL DES MOTS n°7- Mai 2008- Patricia Laranco-
------------------
La lumière :
ses diagonales de clarté,
sa façon de reposer
telle une fourrure,
sa façon d’immobiliser dans son fourreau,
de mettre des îlots,
de trancher dans le vif.
La lumière :
quand s’enflamme son duvet,
quand s’aiguise sa pente sur les gravillons
qui jettent leur cri rose, enfantin et puéril
à la face du ciel et des briques velues
un réveil des couleurs suspendues dans les airs,
un cristal éveillé dans le rachis des plantes
une luminosité qui court dans leur chair
et qui semble émaner
la vitrification.
Ecrit au Lycée Molière, le 10/09/2007.
------------------
PROPAGATION.
L’immensité du monde prolonge mon corps,
quelquefois, je la sens
surtout quand
je frissonne.
Elle frissonne avec
mon thorax et mes bras,
dans le prolongement
du silence feutré
qui creuse autour de moi
son cratère de vide.
Elle grelotte avec
mon corps dépossédé,
soudain dépouillé de
tout ce qui n’est
ce nu.
Lorsque la solitude
a fait résolument
place nette partout
où l’air jouxte ma peau
je frémis un bon coup
et cela suffit à
enclencher l’ondoiement,
l’ébrouement magistral.
Le mutisme est requis :
la propagation
de proche en proche va,
et quoi de plus normal ?
Reliée. Reliée,
voilà ce que je suis
dans ma géométrie
aux lignes étirées
jusque vers les confins,
par delà les murets,
les montagnes, les toits
dans le spasme du soir.
Je participe de
cette désertion,
ce séisme engendré
par ma moelle épinière.
Epicentre secret
de cet ébranlement,
nœud où les directions
multiples se donnent
rendez-vous au plexus
pour mieux rediverger,
je ne suis plus que ça :
l’intensité repue,
traversée, envahie
par les hoquets
d’espace.
27/08/2007.
------------------
RHUM ARRANGE.
Rhum arrangé
au goût de tige
végétal
et immémorial.
Rhum arrangé couleur de fond
d’étang où marinent
les plantes.
Rhum arrangé
goût aigu, blanc
mêlant âpreté
à douceur.
Nectar à la saveur pointue
qui sait s’enfoncer
dans la chair
de la langue vrillée, percée,
poncée
par la sève griffue.
Rhum : qui croire ?
La corrosion
de l’alcool,
le suave litchi,
la vanille au parfum prenant
ou l’aiguillon
du citron vert ?
Rhum arrangé :
enfant pervers
de la plante qui veut fouetter ,
qui cingle, lacère le vent,
ta douceâtre sauvagerie
court sur les papilles extasiées
brutalisées
par ta caresse
et tu propages
ton éclair !
14/10/2007.
------------------
DANS LA NUIT.
Imprégnée de mystère profond
dans la nuit
la statue ouvre les puits de sa grande voix
ses trois têtes sont dirigées vers l’univers
son manteau d’ombre fait vaciller sa peau rêche
sur ses épaules, soulevés,
les horizons
se dédoublent avant que de se resserrer
j’irai, peut-être, leur emprunter
leur respir
rugueux jusqu’à ce que retentisse l’appel
de l’aube virginale en désir de naissance
j’irai peut-être inspecter l’élargissement
qui se dessine dans la fosse de la nuit,
la fulgurance
qui n’aspire qu’à bondir
hors de sa cage comme une griffe expulsée
prête à labourer le flanc laiteux du matin.
Imprégnée de mystère
la statue remue,
elle soupèse les méandres de la nuit
elle guette, palpe, tâte, dans son sommeil
ce sommeil qui gauchit ses trois faces effacées
le cri de nuit va, sous peu, tonner, retentir !
31/08/2007.
------------------
MAINS VIDES.
Le passé nous a échappé,
l’avenir est encore flou
que tenons-nous
dedans nos mains ?
Le présent, le fluide présent
qui n’a qu’une hâte :
nous fuir.
Nous sommes les prisonniers
de ce perpétuel mouvement :
présent toujours renouvelé
qui se déplace
en un éclair.
Insaisissable présent qui
se fait la malle entre nos mains
au point que l’on s’est demandé
si la vie n’était pas
un songe.
13/08/2007.
------------------
Qu’est-ce qu’un objet ?
Du plein innervé par du vide.
Une évidence. Une incertitude de plus.
Les objets. Leur prolifération.
Leur fouillis.
Leur être. Qui a échappé de peu au non-être.
A l’intérieur des objets, il y a du vide. Un silence,
un silence de linge mouillé.
Contourner l’évidence, le plein des objets.
Débusquer leur part de vide, d’incertitude.
Entrer, de plain-pied, dans leur silence intérieur.
Dépasser l’impression immédiate qu’ils donnent d’immobilité, de solidité, de présence.
Aucun objet du monde ne va vraiment de soi.
31/10/2007.
PATRICIA LARANCO
Née en 1955 à Bamako (Mali) d'un père français et d'une mère originaire de l'Ile Maurice,
Patricia Laranco a passé son enfance d’abord en Afrique Noire, puis sur le territoire français, dans les
Charentes. Par la suite, son adolescence s’est déroulée dans le sud-ouest de la France, où elle a poursuivi des études supérieures d’histoire, avant de venir s'établir à Paris où elle réside
depuis 1979., et où elle a exercé successivement les professions d'animatrice et d'employée de bibliothèque. Elle a publié à ce jour six recueils de poèmes et collaboré (en tant que poète, mais
aussi en tant que critique littéraire et auteur d’articles) à de nombreuses revues littéraires (« Phréatique », « Diérèse », « Les Cahiers de Poésie »,
« LittéRéalité », « Jointure », « Inédit nouveau », « Les Cahiers du Sens »…) ainsi qu'à quelques anthologies. Elle est membre du P.E.N Club
français.
Outre l’écriture poétique, Patricia Laranco s’adonne également à la photographie, au collage photographique et à la peinture.
Elle a eu l’occasion de donner des conférences sur la poésie de l’Océan Indien et de faire des interventions d’animation poétique et d’éveil à la poésie en milieu scolaire, dans un collège
parisien.
------------------
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article