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ULTIMI CANTI DI SAFFO
(Derniers Chants de Sapphô)
DE L’IMMORTALITÉ
fragment infernal
Cinq taureaux blancs dans la chaleur mugissante du marais
DE L’IMMORTALITÉ
fragment infernal
[…] l’œillet-poète clair au bout de tes longs doigts ombreux
[…] et vous, très vastes dieux […] dont la face dernière […]
DE L’IMMORTALITÉ
fragment infernal
et ce paon sauvage, cadeau de l’âme pour tes ancêtres [1]
DE L’IMMORTALITÉ
fragment infernal
à cette heure
où bruinent, sous les rêves les plus jeunes de la nuit, des dieux de cristal
DE L’IMMORTALITÉ
autre fragment
[…] neige du coucou […] large jouet de bois à tes doigts […]
mâle lueur d’un papillon, ailes au repos, éployées, encore palpitantes
posée sur tes cheveux […]
et cette musique de fête que l’on réécoute, de loin, sans
se souvenir que c’est un nerveux cortège nocturne de fête […]
*
ah tristesse,
tristesse et prestige du parfum antique de fleurs de ta peau !
BADINERIE SUR UN AIR BIEN CONNU
CHANTERONNÉE HIER MATIN DEPUIS MON LIT
J’aime les filles du passé, j’aime les filles d’avenir,
j’aime les filles qu’on voit danser, j’aime les filles qu’on ne voit pas,
j’aime les fill’ de ma voisin’
- et le vent éternel des rivages d’Asie. [2]
AUTRE BADINERIE SUR UN AIR BIEN CONNU
CHANTERONNÉE À L’INSTANT DEPUIS MON BAIN
(Mais, las, que restera-t-il de nos amours,
de notre feu spirituel
et du vent, lent, de tous les jours ?)
PROSE PRISE SUR LE MOTIF
mais tu parles
et je ne t’entends plus, je te regarde
mais tu parles
et dans la foudre bruyante, soudain silencieuse,
je ne vois plus que ton dialecte mélodique et nasal descendre et monter
cérémonieusement devant ce concours de danse d’un amphithéâtre de nuit
et tes yeux noirs, illuminés de khôl noir et de cendre noire de khôl,
briller
sur ton habit mauve-sang
sur ton habit bleu pâle
sur ton habit obscur
(oh pusses-tu te voir
comme nous voyons, muets, croître l’éclat noir de ta voix
et celui de tes yeux quand tu tournes dans ces hautes robes
mauve-sang
bleu céleste
noir scintillant
qui te grandissent et que tu changes à l’entracte
avec tes cheveux
relevés puis noués noirs en long chignon puis lâchés
pour cette valse ivre de soi, ivre de toi
en fait docile et maîtrisée
et rouge-sang et bleu ciel et noir radieux
rebriller en alternant ainsi à notre insu
yeux noirs
feu astral
sur toi
pour toi
autour de toi
extrême roseraie
et de ces arènes ah hélas à jamais lointaines de nuit)
Daniel ARANJO
MC en littérature comparée à l’Université du Sud (Toulon-Var). Prix de la Critique 2003 de l’Académie française, est aussi poète et dramaturge (trois textes créés par le Théâtre du Nord-Ouest, Paris IXe, de 2002 à 2008 : Un Requiem en français en divers découpages ; Agamemnon, Atlantica éd. ; Les Choéphores). A publié des poèmes dans quelques revues (Poésie, Autre Sud, Friches), sur quelques sites Internet (Babelmed/Trans-ports), et récemment d’autres poèmes saphiques aux éditions Poiêtês sous le titre De l’éternité et de l’immortalité selon Sapphô, de Mytilène (éditions Poiêtês, BP 84, L-3901 Mondercange, Luxembourg ; contact@poesie-web.eu ; 19 euros franco) ; deux autres séries sont disponibles sur le très érudit site www.saphisme.com, consacré à la poétesse Sapphô.
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[1] Ce vers, qui nous est parvenu isolé, et qui semble faire allusion à quelque croyance primitive, est parfois intégré dans l’une des berceuses que la tradition attribue à Sapphô, dite « Berceuse au paon sauvage ».
[2] Heinsius considère que ce poème, comme le suivant, qui n’ajoutent rien à la gloire de Sapphô, doivent être supprimés des textes qui lui sont attribués. Certes. Mais on a conservé de courts textes sans ambition chez les plus grands (courtes chansons grecques chez Nerval, distiques insignifiants, et dont c’est le charme à l’égard de ce qui les entoure de plus noble, chez Toulet, etc.).