Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS n°13- Janvier 2009- Judith Lewi-

Publié par LE CAPITAL DES MOTS ( revue de poésie) sur 1 Décembre 2008, 00:03am

Catégories : #poèmes

  

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Les rivières nues

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans la nuit où se perdent les chiens, j’oscille entre les rives, soutenant les signes et les voix, comme si l’hiver pouvait changer, encore, malgré les bribes de la malchance. Je ne sais plus quelle heure s’éveille, parmi les nuages de mon nom, parmi la brume : il y a comme un tourbillon - valse aux adieux - qui sème des tempi et qu’on découvre, enfoui, en un chapelet de verbes, de notes fécondes, jamais pardonnées. En cette nuit de tumulte, de verres fendus, d’objets baroques, je m’achemine vers ma demeure, drapée de oui et de pourquoi, l’œil de biais, en quête de ces vendanges lointaines qui donnaient lieu à tant de contes. Mes pupilles tanguent, assènent des mots, des adjectifs, comme l’appel faible d’une soirée. Des débris parsèment ma rue : des miroirs, des fenêtres, quelques bagues ; ils me disent que l’époque se vide, expulse, brise, tout ce qui sombre dans le silence, ce qui restait des souvenirs. Je marche donc, prestement, sur le pavé qui m’attire, me presse, m’exhorte à partir, à enterrer pour oublier. L’erreur se tait, animal fruste, et je ne sais quel chemin s’ouvrira, quel chant, quel glapissement fait que, désormais, les marches du souterrain se soulèvent devant moi. Je n’y vois guère : il se dessine une rivière, un arbre, quelques cygnes ça et là, des corps de garde encore blafards. Mon paysage se resserre, dans un étau de verdure, de lumières aux teintes jaunâtres. Il va neiger et la nuit pleurera. Je me faufile entre les lignes, tente d’agripper un seuil, une clairière quand des bruits courent à travers les murs.

Dans la pénombre, je distingue une chaise, agenouillée sur mon autel. Elle semble amère. Il y a aussi des papiers, des liasses de papiers, tous retenus par des bandelettes, sur la table, sur le lit, sous la crasse. Je ne peux déchiffrer, comprendre. Un vide s’engouffre en moi, comme dans une brèche. L’atmosphère se dissout, se dilue peu à peu, telle une masse trop vernie, poisseuse. Un insecte gratte le parquet : il sonde, furète, comme si l’absurde était au sol.

Je n’entends plus les cloches, ne sens plus d’air. Tout s’est caché, en une nappe, dans un souffle. Il ne reste autour de moi qu’une surface plane, un simulacre de mappemonde, un empire de bulles, de fumée. Et ces antiquités, et l’antique sphère.

Je navigue sur la rivière, une bouteille à la main tandis que l’océan se rendort, éternellement. L’aurore s’isole et je m’efface, libre d’avoir osé croire, malgré tout, à la machinerie du désir.

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Foules

 

 

 

 

 

 

 

 

Il se presse des montagnes de chaussures, de chaussettes, de costumes bigarrés, de lunettes un peu étranges, de pantalons presque rayés : je vois donc ce tumulte vestimentaire, accroupie sur une rambarde. Les corps défilent devant moi, amusés ou sévères, tendus ou mous. Toute cette chair se meut, en un ballet d’organes et d’essences, de parfums confondus. Je ne bouge pas : je regarde dans le lointain, à l’affût d’une annonce, d’un train. Le défilé se poursuit, semblable à un animal trapu. Cela grouille dans tous les coins, monde d’insectes et d’hommes pressés. J’attends comme une souche, assise là, maladroitement. La foule se compresse, tend ses filets, étend ses rives, telle une mer aux notes graves. Je patiente, dans ma bulle de sueur, celle de ma veste, celle des femmes affairées, celle des enfants blottis au fond de poussettes mauves. Et l’existence tourne, redresse son bec, passe, bouscule : les horloges se font face, les heures piétinent. Cette gare est telle toutes les gares : un tas, un essaim de sons et d’odeurs, rassemblés en un seul point, vague, que nul ne vient chercher, où nul ne souhaite souper. Les corps marchent, reculent, observent, en une même danse, en un chant choral. Des cris fusent à l’horizon, on se retourne, interroge. Car on ne sait pas qui sont ces gens, ces piétons de la gare, ces foules aux noms flous : je ne peux que subir l’averse, endurer d’un œil curieux, toute la vague, ces afflux évanescents. Les langues se mêlent, s’entrelacent, en une tour aux bords carrés : on parle, entre nous, entre soi, à des gens, toujours autres, presque invisibles mais qui mangeront le même repas. Les langages se font bruitages, le chaos devient un jeu : tout concourt à ressentir, que non, cette halte est passagère, que la gare va s’envoler, avec eux, avec ces êtres aux pensées-fleuves, toute cette foule mi- meurtrière. Le train va arriver, nous délester de la cohue, désencrasser cette touffeur. Il va peut-être nous libérer, absorber les voies, les routes, le ciel, l’azur, les terres, s’engouffrer dans les pénombres, tel un oiseau esseulé.

 

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A cette allure

 

 

 

 

 

 

 

 

Je vois les lames se ciseler, multiplier les routes et les bois ; les lumières se fondent impudemment dans mes rétines telle une paire de coutelas. Je me laisse ainsi griser par le refrain de l’air battu, arraché, emporté par les bourrasques de la machine. Les passagers traînent leurs regards à travers les fenêtres, mi- endormis, comme assommés. Je flâne d’un paysage à l’autre, les paupières soudain parcourues, lues par les voies : elles se découpent sur notre passage, repassent sur les lignes du chemin de fer, des villes, de petites bourgades. Car sous chaque toit se nichent des gens, des familles, des chaos ; dans chaque logis soupire un coq. Je vois, pressens cela, ce qui se terre en ces demeures, toutes ces campagnes au goût si calme. Je me replie, ravive les couleurs de ces terres, des terres qui sentent le bois brûlé. Je hume l’odeur du train, de sa sueur, du parfum âcre des assoupis, de l’atmosphère qui se gondole, tel un navire à l’arrêt. Il flotte une idée, des pensées, toutes lovées en un moment, propice à l’abandon, à la perte du matériel, au partage d’une essence, enterrée sous mon siège, sous chaque crâne de ce train, comme le sermon d’un jour de fête. Je me penche vers la route qui défile, file sa toile de métaux chauds, et je pense alors aux temps, engoncés en leurs touffeurs, qui se déploient, ici et désormais, entre les rails. Ils peuvent s’ouvrir, repousser tous les grillages, pénétrer toutes les matières, du présent, du passé, du venir et du paraître. Mais voilà qu’il ralentit, comme freiné par son élan : je crois que les lumières distinguent à présent la lente arrivée vers une gare, une autre – papiers jaunes et murs bleutés – différente. Il serait bon de ne pas s’y attarder : ou s’enliser, laisser tomber une molle armure, rester comme captif, sot, enchaîné par l’immobile. Non, je continuerai, vite, parmi les fragments du souvenir, à chercher, retrouver les lumières éteintes, les temples et les vallées de l’instant.

 

 

 

Je m’appelle Judith Lewi, et n’ai pas encore publié à ce jour.

J'ai vingt-six ans. Née à Paris, j’y habite.

 

 Mon parcours est assez atypique (de la psychologie, des lettres, de l'histoire de l'art).

 

J’écris depuis l’âge de seize ans.

J’aime  Henri Michaux, René Char, Arthur Rimbaud. 

 

JUDITH LEWI

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