H O R S - L I E U
à Jacques Clauzel
I.
Le haut du chemin
toujours échappe
à qui achoppe
En quête
des croisements
Les questions nous sont posées
à retardement
comme des mines
Nous ne naissons
que peu à peu
de nos branches brisées perdues
nous ne vivons
que morcelés par fragments
en attente
d’une improbable mosaïque.
I I.
Sois hors
hors Dieu hors-lieu
halant ta grille
hélant ta limite
et la limant
sans relâche
hors ce qui résonne
dans l’accroissement
où rien répond
et se répète
dans l’âcre dépôt
de la parole alluvionnaire
et sur toi de plus en plus lourd
tout le noir
replié
comme une aile
à perte de vue
en souffrance..
I I I .
Plus raide
la pente
Plus corde
la langue
Plus exiguë
l’errance
Les mots cendre et neige
fondus renoués
La congère des souvenirs
dans ta bouche
le passé
ne remonte
que par blessures.
I V.
Le vent des garrigues
se reconnaît
dans le sel
Toi sans étendue
ni durée céleste
Surface oublieuse
du bord et du fond
Sans recouvrement
de terre ni de dette
Creuse creuse
l’ultime tunnel
le jour ne s’arrache
qu’à coups d’hélice
V .
Ton legs ton lit
ta langue
L’éparpillement sacré
des choses
comme
une semaille d’alphabets
hérissés d’épines
Nul ne s’enfuit
nul ne traverse
Vivre étire sa tresse
jusqu’au dernier fil
Un désert sous chaque paupière
attise
sa rose.
V I.
L’avance la dure étape
dos à dos
coudes broyés
Siffle la foudre
à tête de vipère
Dans les murs
dans les recoins
Incrusté à perpétuité
passeur de poussière
et le temps sur toi
vêtement usagé
mauvais présage
rapiécé.
V I I .
Dominos inversés
Dieux exclus
Des regards-gants
privés de mains
Ce qui fut si lourd au-dedans
s’est vidé
dans le sable et l’absence
Il reste
quelques touches du clavier
entre le blanc et le noir
pour l’invisible
hors-jeu.
V I I I .
Parfois le soir
sort de ses hardes
et crie
Parfois le bois noir
de la souffrance
craque
Un tissu d’on ne sait où
se déchire
Le corps délité
accommode ses restes
réajuste ses gestes
Les membres ne sont plus que méandres
du labyrinthe
Même le sang qui s’éternise
se ternit
sous son masque.
I X .
Aiguille du pourquoi
toi qui piques et recouds
opiniâtre
Peu à peu ce qui s’effrange
ce qui s’étrange
Le désespoir met un pendule
au temps mort
Le tambour du sens
bat le rappel
Déplacements déplissements
Les mères
n’ont plus de lait
pour les heures
Et les apôtres plus de mots
pour dire
ce qui viendra
X .
L’ébloui se déploie
dans l’aveugle
Une extrémité de racine
soûle de nuit
palpe le soleil
à rebrousse-corps
à retrousse-nerfs
Tu reviens
au commencement
Inexpliqué par la fin
Il se peut que seuls en toi
le gouffre
le hors-lieu
la surrection de l’inconnu
assument ton avènement
l’amplitude de ta marée
lumière.
CHARLES DOBZYNSKI
CHARLES DOBZYNSKI, journaliste, poète, traducteur. Chroniqueur de poésie et co-rédacteur en chef de la revue Europe. Près de 50 titres – poésie et prose – à son actif.
Les derniers en date : J’ai failli la perdre ( Editions de la Différence ). Le four à brûler le réel (essai), Je est Un juif, roman ( poésie) et Le Bal des baleines et autres fictions ( Editions Orizons ). La mort à vif ( Editions Lamourier). Prix Goncourt de la poésie en 2005 pour l’ensemble de son œuvre.
Le blog de Charles Dobzynski : http://poe.aujour.com.over-blog.com/
Plus d'infos sur : http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Dobzynski