Un jour
J’avais dormi sur les carrés de paille
sans savoir que le lendemain on
passerait les ramasser.
Celle qui me réveilla
avait des cheveux
que le soleil lui enviait.
Elle sentait le lait. Dans mon
dictionnaire intérieur elle devait
être maternelle mais distante, prompte
à donner un amour qui dure, conduit
par le cuivre électrique de ses mèches mêlées.
De chez toi
Le train n’explique pas les distances,
il les parcourt. Non loin des rails
tu peins les visages du jour
avec ceux des voyageurs. Entre les murs
jaunes gagnés par un soleil de tabac doré
tu imagines quels sont les wagons de
demain – Ceux d’aujourd’hui,
ceux de demain, dis-je. – Alors,
tu as pris le train de la vie
ou le dernier wagon.
Insomniaque
Tu lisais des poèmes
sans craindre
que l’heure s’écorne.
Les ruelles mouillées
étaient bonnes pour attendre.
Tu tournais les pages,
dans les ruelles
les balayeurs se chargeaient
d’évacuer points, virgules,
parenthèses et autre halte.
Le premier bus lancé qui passait
promettait d’être bondé
de visages et de mots nouveaux.
Habanera
Le temps passait au bout
des cigares. Dans la ruelle
étranglée jouaient leurs ombres.
L’avenue San Vincente s’encombrait
des couleurs du prisme humain.
Mais ici le temps passait peu.
Une Habanera n’aurait jamais
fait bouger leurs flancs.
Le temps brûlait.
Dans l’heure tardive
les couleurs fondaient la nuit
et les yeux des cigares
se fixaient. Elles riaient sans compter
tout comme on vit, coiffées
de leurs bigoudis importés.
Montlhéry
Toute la nuit, nous avions
fumé des cigares
et notre gorge brûlait.
Au fond de la maison
phosphorescents, tremblants, nous
attrapions la moindre idée
de notre proche fin et l’hiver
entrait par les murs.
Futur
Je n’entends pas ce que tu dis,
l’impossible sans doute.
Je ne touche jamais à
cette limite que tu décris
avec les mots quotidiens.
Pouvons-nous nous y rendre aussi aisément,
là-bas ?
Nous avons le désert à traverser de toi à moi
des haltes à faire pour dénouer nos silences
respiratoires.
Il y a ce que nous
sommes sur le point d’être, et pour y parvenir
nous misons certes sur
cette lointaine frontière. Nous sommes un but
non un lieu que tu pensais donner
avec les mots quotidiens.
180 degrés
Du tarmac on voit voler les avions
et le ciel geindre lumineux de ses échardes.
Du ciel on voit ce que nous sommes, alors
confondus à la poussière du tarmac.
Dessin
Je trace une arabesque
songe à l’Alhambra
où nous avons séjourné
avec un guide signalé
comme étant de l’espèce
parasite et que nous avons
croisé sur notre route
soucieux en bons touristes
de parler à autrui dans
la langue du pays dans
la monnaie du pays
qui a permis au guide
de manger gratuitement.
Je comprends maintenant
le dessin tortueux des pierres gravées
au-dessus des arcades qui encerclent
les bassins d’eau verte, mais je n’ai pas
la grâce des piliers saisis par un soleil soufi.
FABRICE FARRE
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Fabrice Farre est né le 7 novembre 1966, à Saint-Etienne où il est aujourd’hui fonctionnaire d’Etat. Il a consacré une thèse à la poésie contemporaine (Lettres et civilisations étrangères), et traduit les poètes tels que Lorca, Montale… Ses textes paraissent pour la première fois dans l’ex revue stéphanoise Aires(numéros 10 et 12). Ce n’est qu’en 2009 qu’il envoie à la revue Incertain Regard de nouveaux textes qui seront édités dans le numéro 0. On le retrouve, ensuite, sur les sites littéraires : Ecrits…Vains ? (avril 2011), Francopolis , Les états civils (n°8), Libelle(n°224), Voxpoesi (juin et juillet 2011), Incertain Regard(3), SymPoésieum, puis dans les revues : Pyro(Editions Le Grand incendie , n°26-27 ), Filigranes (80), Microbe(67, pour septembre), Décharge et Verso (fin 2011), Microbe (69, janvier2012). Il crée son propre blog – http://fabrice.farre.over-blog.com– afin de présenter son travail et d’accueillir ses nombreuses lectures, aussi bien françaises qu’étrangères.