Amertumes
L'amertume, amère tumeur,
de mes jours la sombre humeur
qui s'épanouit en mélancolie
serpenta dans les veines
de l'enfant trop tôt vieilli
la mère me tue
la mère tu meurs
l'une ou l'autre perdue
L'amertume est souvenir
âpre empreinte
muqueuses labourées
mandibules crispées
en une grimace de dégoût
qui creuse le cri
c'est une douceur mensongère
une ingratitude imposture
Amertumes évanouies
tant de larmes taries
qui brillent aujourd'hui
en solutions sonores
la bouche déformée
travaille les mots nouveaux
la parole lénifiante
des sens endoloris l'élixir
***
Pornographies I
Sous la coupole fastueuse
parmi les chérubins bleutés
des hommes gravitent avides
en costard politique
sourient l’œil lourd
à l’entour d’une femme
suspendue désarticulée
lustre géant et gras
luisante comme un mannequin
Au rez-de-chaussée
dans des alcôves en fer forgé
sous les marquises et les vitraux
des matelas grenats
des corps nus inconnus
quelques fois incomplets
lubriques malgré eux
égarés dans des ébats obligés
immobiles parfois encapsulés
Dans les caves les soupiraux
parmi les décombres
s’entassent indifférents
des groupes obscurs
les restes d’une soirée dansée
familiers trop occupés
dont les vêtements tombent
et se disloquent
comme des peaux mortes
***
Parole d’homme
Que tu parles et parles
et couves le monde de bruissants tissus
guenilles et soieries superposées
de tes croyances cris rêves doutes
tout entier vivant dans ce regard articulé
qui soulève et enlève le monde abîmé
le modèle de larmes reconnaissantes
et l’emplit de tes refus salutaires
de plainte douloureuse de mots amoureux
Parle, ô parle encore, ne renonce jamais
dis-moi la beauté l’inaccessible et les maux
les désirs interdits repliés en coquillages
les ordres fous des bouches torves
les insultes meurtrières à l’homme pensant
et les fragiles effloraisons du coeur
dis-moi ce que tu cherches sans fin
et ce que tu construiras toujours
à l’horizon des mers impraticables
Homme éminemment savant et incertain
assoiffé de dire et d’images en miroir
qui chantes depuis la première déchirure
voix de cathédrales levées des profondeurs
mots innombrables chargés d’espoirs contraires
tant de paroles dégelées nous hantent
du fond des temps charmantes
fleurs d’un exil éternel
le long des murs inconsolables
HÉLÈNE GENET
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