Combustion jubilatoire
Si nous mourons dans les bras l’un de l’autre
rappelons-nous la souffrance
qui nous a unis
goûtons-la avec une rage
inextinguible
le temps d’un instant
sans durée
rassasions-nous
de sa fragrance indomptable
de sa frugalité
charnue
repaissons-nous
de sa chair
profonde
plongeons-y pour toujours
comme dans un enfer
heureux
que rien jamais ne peut remplacer
qu’aucun paradis ne rachète
notre salut sera éternel
dans l’anéantissement de moi par toi
de toi par moi
lueur d’un univers non né
rêvé d’aucun dieu
dont nous seulement
savons la présence
qui nous consomme
***
Au bout des orteils
Vous ne savez pas
ce que me coûte de vous sourire
la quantité de désespoir
que je mâche entre mes dents
la tristesse de mort
que mes yeux distillent entre leurs cils
la profondeur du puits
dont j’extrais l’eau
qui goutte sur cette page
comme une flaque de lune
dans la nuit au désert
ma tête fatiguée s’écroule
à l’intérieur de mon ventre
ma mémoire s’abandonne
mes doigts tâtonnent mes reins
comme des gants retournés
le bout de ma langue
lèche mes orteils
par le dedans
***
Pupille d’étoile
L’œil de la plante du pied
regarde dans l’abîme dans l’abîme
la pupille s’écoule dans les interstices des rochers
sa couleur se dissipe dans la terre
le grand marteau du ciel
frappe le sommet de ma tête
il frappe et frappe et frappe
m’enfonce tel un poteau de démarcation
entre des rives qui ne se voient plus
La tornade de la plaine sans fin
a mis à sac les ronces les chardons les feuilles mortes
mon corps nu se tient comme témoin du désert
sous le vent d’un froid brûlant
L’œil de la plante du pied perce la terre
jusqu’à ce qu’il vienne à ma rencontre
me fixant comme une pupille d’étoile
impitoyable
***
Désir
Gonflé de souffle
comme un tronc d’arbre d’eau
mon corps flotte sur la mer du souffle
flotte sur le ciel d’eau
l’œil au sommet de la tête
ne voit pas
c’est un trou noir
dedans plonge la voie lactée
la tête explose
telle un fruit mûr
sur un plateau d’argent
le plateau de Salomé
la tête de Saint Jean
quand tout sera éteint
une flaque de sang noir
s’écoulera quelque part
portant obscurément le désir
***
Le dernier poème
Il n’est pas là
n’arrivera pas
mon dernier
devrait être mais
a été interdit
de naissance
à vrai dire il se cache
ne me veut plus
cherche une autre mère
non je ne l’empêcherai pas
chacun est libre de naître
où il voudra
(cela ne s’applique pas
aux humains)
Extraits de "Plongeon intime" ( Editions du Cygne)
DANA SHISHMANIAN
Née en Roumanie, diplômée en philologie de l'Université de Bucarest avec une thèse de maîtrise spécialisée en littérature comparée, Dana (Popescu) Shishmanian vit en France depuis 25 ans et travaille comme ingénieur informaticien. L'écriture et en particulier la poésie l'ont accompagnée avec intermittence au travers des expériences de la vie.
Un recueil publié aux éditions Hélices en 2008 : « Exercices de résurrection »
Un autre publié chez L'Harmattan en 2011 : "Mercredi entre deux peurs"
http://www.editions-harmattan.fr
Dernier livre paru aux éditions du Cygne : "Plongeon intime" en 2014
Plus d'infos : http://www.editionsducygne.com/
Anthologies : "Poètes pour Haïti" ( avec Khal Torabully ) Editions L'Harmattan, 2011
"Esprits poétiques n°4- Sortilèges" Hélices , 2011.