Gouffre
Le bruit de l'arbre que l'on abat est absent de la mer.
Elle a enfoui leurs cris. Je ne sais rien d'eux. Ils sont calmes. Ils ne pèsent rien sur nos nuits. L'époque les a pétris en oiseaux, pris dans la sève stérile du silence.
Je n'ai rien à dire aux vagues à cet instant, et elles ne me parlent pas. Elles charrient les plaies d'une autre race qu'elles et ça n'est pas leur histoire.
Je ne peux pas dénombrer les poings fermés sur le vide. Des corps auxquels manque l'ombre des danseurs. L'autopsie révélera dans la gorge de chacun un arbre de sa terre, calciné. Les bras le long du corps, face au miroir, je cherche si nous avons dans le ventre des usines aveuglées de suie, je demande si c'était notre souffle de dormeurs sur les départs de feu.
***
Synthèse
Face aux heures amoncelées sur la ville
unie et close
il pense aux plantes quand elles deviennent des palais intimidants
et finissent par ne plus répondre
il pense aux ciels qu'il n'a pas touchés
saturés d'escadrons de myrrhe, de résine
aux fruits comme des avaries solaires, prêts d'éclater
les taches de cobalt sur la carte
ce sont sans doute les larmes du peintre
la vie s'est chargée de les vitrifier
il redessine deux corps
dans l'air instable
deux corps emmiellés
tombés sans hâte
entraînés par la lumière dans une danse hermétique
deux corps comme des criques amères
deux corps
dans la course suave de leur floraison
hymne brûlé
***
Sans titre
Jardin pièces d’eau meurtris
pont rompu
le bel animal est à terre
nos chirurgies ont glissé sur les eaux frustes du songe
comme les insurgés, adossés au mur encore brûlant,
nous avons regardé sans crainte monter cette mer fidèle
bâillon sur nos plaies
nous avons déterré sa poitrine secourable
quelques heures
avant les ors cruels de l’aube
avant que le sel ne floute à demi cette grande carcasse
la grande marche dans la chambre d’échos
les rues sont noires de doléances
petit enfant petit oiseau brûlé
quelques heures
et le jour hissé, drapeau sans couleur sur les nouveaux champs d’esclaves.
Nos chirurgies ont passé le parapet
creusant crevant le théorème
infiniment précis
infiniment logique
qu’ils avaient glué pour nous
je tombais tombais tombais
dans leurs écrans de contrôle
mon corps brillait comme une lame chercheuse
***
Trajectoires
Des citrons ont chu et roulé loin des lueurs maternelles
les herbes absurdes de la ville
lacérées
fouettées
une vie enclose, doublement couturée
quelque part une plaie dissimulée aspire le ciel
il se change en rapides et ne donne plus de pain
une vie de camp
quelques grains d'une autre terre sous les ongles
des yeux milliers surnagent la crue pour voir ce qui leur est volé
les oiseaux dessinent une cosmologie de traverse
vaine
est-ce que tu vois comme les haleines se cognent et se blessent
protons neutrons et tous leurs frères et sœurs rendus fous
langues coupées de leurs bougainvilliers
la pierraille dans la bouche
la boue dans les veines
rien ne pousse que des arbres de fièvre
derrière le mur
les automobiles racontent une histoire de prédateur
et sur le versant bâillonné des enfants se débattent dans les cordages
***
Parallèles
Comment rallier la chair
comme on ouvre un pain
quand les armes changent de main
elles qui glissent et glisseront sur le décor
quand l'envers de nos fruits sont des grenades incendiaires
j'ai entendu hurler
mais je n'ai pas bougé
j'ai entendu hurler
la rue se tordait comme un serpent blessé
bords coupants
entre les cris, tous ces ongles griffaient nos murs
nous dormons là-haut, dans nos criques
enfants, mères et pères embrassent les cendres et l'huile de nos heures usinées
en contrebas
nous les foulons
chaque jour est un soc affreux
et cette nuit encore
le silence qui a suivi était si dur
une pluie de pierre
à nos pieds
GABRIEL HENRY
Il se présente :