Ne se lève plus
La nuit est si belle que le matin ne se lève pas, ne se lève plus.
Combien de temps cela va-t-il durer ?
Cela fait cent sept heures maintenant.
Cent sept heures, huit minutes et vingt trois secondes. Vingt quatre secondes. J'allume ma lampe, plusieurs fois, mais elle ne veut pas, elle non plus, ne veut pas donner un peu de lumière. Elle profite, elle aussi, de la nuit, je ne sais pas. Je ne sais pas ce qui se passe, cela n'arrivera qu'une fois dans ma vie, une nuit comme celle-ci.
Cent sept heures et neuf minutes, ma vie se suspend au cadran. Des moutons se promènent dans des champs, des champs, j'appuie ma tête contre l'herbe et j'écoute le bruit du vent.
Le vent se lève, il se lève, la nuit s'étend et je comment à m'habituer un peu à la lumière que l'on fait tous les deux. La lumière qui brille dans nos yeux. Le vent s'étend et ta main pend sur mon menton.
Nous sommes deux lampes dans la nuit noire et je ne sais même pas ton nom. Tu es un feu et je me tais. Le silence nous est donné.
Je ne sais pas quel nom donner au silence, le silence qui réunit les gens. C'est un mot qui n'existe pas, pas encore, un mot que nous inventerons demain si le jour vient.
La nuit est si belle que le matin ne se lève pas, ne se lève plus.
***
Rien sans l'autre
On n'est rien sans l'autre
Une plage sans sable
Du vent sans ciel
De l'eau sans mer
On n'est rien
Rien qu'un petit wagon perdu, une note suspendue, un filet, un mouchoir
Rien qu'un petit bout de hasard.
Et le temps se délite et nous ouvre les paupières si on l'oublie un jour : on est frères.
Frères de sang, frères de lait, frères jumeaux, frères… c'est beau.
On est un à deux et deux en un et tous nés du même sein
Celui du soleil, de quelques cailloux et d'un miracle en forme de chou. L'ivresse...
On n'est rien sans l'autre.
Si je guide ta main, c'est toi qui m'inspires. Si tu prends la mienne, c'est moi qui soupire. On n'est rien.
On veut tout quelquefois et c'est rien qui nous prend, un immense chamboulement et la vie au-dedans.
On veut tout et c'est rien qui nous nettoie, rien qui nous emmène comme un petit enfant.
On n'est rien sans les autres. Ils sont notre chance, nos étoiles et nos rêves.
Ils sont nos forêts et nos jours de grève.
Avec eux le temps s'arrête.
Avec vous...
La mer monte, le jour se lève et la sensation que rien ne s'achève.
***
Il ne faut rien oublier
Il ne faut rien oublier
Rien de l'éclair bruissant au fond de nos yeux
Rien du souffle, rien du feu
Rien du soleil qui éclaire l'ombre
Rien du temps qui bat la seconde
Il ne faut rien oublier
Rien des toits légers comme l'herbe, rien des fenêtres superbes
Rien des colères qui font les regards droits des princes
Rien des Dieux qu'on a croisés après les espoirs minces
Il ne faut rien oublier
Rien de nos voix, rien de nos voeux, rien, rien, c'est mieux...
Je souffle dessus les paupières closes et je prie un peu qu'elle éclose la musique, la musique…
Il ne faut rien oublier
Rien des rires qui fusent, rien des lampions-bouées, rien des jeux de Colin, rien des clefs bien cachées
Rien des oasis, des silences troublés, rien des pas, des fusées, des rêves esquissés
Il ne faut rien oublier
Rien de la fraîcheur dans le ciel immense
Et rien de nos mains maintenant que j'y pense...
Rien de nos mains
Au milieu de la nuit
Rien de l'arc-en-ciel qui luit
Il ne faut rien oublier.
DELPHINE BURNOD
Elle se présente :
Mini bio :
Comédienne, chanteuse et animatrice d’ateliers depuis une quinzaine d’années, j’ai progressivement introduit l’écriture dans mon travail auprès des jeunes. Une première publication est à venir dans la revue Dissonances du mois de mai.