De ce matin clair
je retiens la brume de tes yeux
la chaleur de ta voix
la vague de tes mains.
A l'orée du soir
je contemple
le grain de folie
la blancheur du jour
l'ivresse de ta joie.
En cette nuit qui nous unit
je deviens sauvage
amante lascive
de nos courbes assemblées.
Et de ces heures d'extase
j'en prolonge les sens
à m'agripper de toi
je fais ma survivance.
Pour que toujours dure
l'élan qui me mène à toi.
***
et je trébuche
et je sens mon corps tressaillir
au moindre bruit
et je me faufile
dans la nuit des ombres.
Je devine, mon amour
ta couleur souffle
ta part de vide
tes gestes pleins
quand tu veux me dire
me ressentir
me fragmenter
m'atomiser.
Raconte-moi tes ascensions
tes dimensions antérieures
tes amplitudes venues d'ailleurs
Et je me glisse
me temporise
me délecte
A ta question sur le sens
je te réponds qu'il n'y en a pas.
Nous serons fusion
puisque la lave en fabrique.
***
Opération délicate.
Emploi du bistouri. Inciser délicatement. Écarter les chairs. Ouvrir à vif. Retenir les bords. Utiliser la pince et l'écarteur. Éponger le sang. Et puis creuser. Tout doucement. Inciser encore. Gagner en profondeur. Chercher le noyau dur. L'extirper délicatement. Le poser sur le blanc du linge.
Autopsie.
Dénouer les fils. Tordre un peu de matière. Dissoudre les apparences. Trancher jusqu'au centre. Dévider les aggloméras. Extirper la masse noire. Faire macérer dans un bain de jouvence. Distordre.
Écarteler. Braquer une lumière blanche. Découper au laser les surplus. Faire rougir au feu. Griller les protubérances. Disloquer les incohérences. Distiller l'ignorance. Revenir au vocabulaire.
Clinique.
Répétez après moi:
- A
- A
C'est bien. Ouvrez un peu grand la bouche:
-A
- B
- B
- ..............
Bilan
Il n'y a pas le moindre espoir. Le dernier IRM a confirmé la progression. Cette masse noire qui s'étend à gauche de l'image, c'est elle qui bloque l'ensemble des fonctions cognitives. A la dernière biopsie, nous avons constaté une aggravation de la situation. Les séances de logothérapie semblent inutiles. Il faut tout reprogrammer. Reprendre l'ensemble des données afin de les ré-activer. Et peut-être que même dans ce cas, ce qui est effacé est définitivement perdu.
Plus de connexions, un encéphalogramme en perdition. Une courbe plate. Une mort cérébrale assurée.
Seul dans la nuit.
Ce rire. Mon rire d'enfant. Ecoute. Plonge ta main dans l'eau fraîche. Ris et ris encore. De s'asperger avec les autres gamins. De se poursuivre dans les arbres. De se bander les yeux et de jour à cache-cache. Et puis, le goût de framboise. De ses lèvres à elle. Son rire aussi. Cristallin de dentelle. Marguerite, je me rappelle. Elle s'appelait Marguerite. Petite fleur cueillie le jour de mes six ans.
OH ! Attendez !
Ne partez Pas !
Ca y est. Je me souviens ! Non ! Ne me laissez pas ! Je veux revenir ! Je me souviens !
ANNE PERRIN
Elle se présente :
ANNE PERRIN est née le 15 mars 1966 à Genève
Auteure, metteure en scène, responsable artistique de Cie de théâtre.
Elle a mis en scène deux pièces dont elle est l’auteure, J’embrasse le monde en 2012 et The Nana en 2013.
Une version courte de sa pièce The Nana est publiée dans un recueil de nouvelles « Le dos de la cuiller » aux éditions Paulette en novembre 2013, à Lausanne..
En 2018, son premier recueil, «Lui dit-elle/ pour un absent», est édité chez Z4 Editions, collection Les 4 saisons, dirigée par Pierre Lepère.
Des textes ont été publiés dans les revues suivantes :
Lichen n°31-novembre 2018- Paysages écrits n°30 - octobre 2018 -
Nouveaux délits, version numérique : Soliflore n°61- Comme en poésie n° 75 –