Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS n°4- Février 2008- Jacques Ancet

Publié par LE CAPITAL DES MOTS ( revue de poésie) sur 16 Janvier 2008, 00:00am

Catégories : #poèmes

Ce qu’il y a
 
Ce qu’il y a on n’en sait rien    
un soleil sans doute sur le point de     
disparaître l’éblouissement    
avant la nuit de ce qui se perd    
toujours ou au contraire     
l’éclat de ce qui vient la neige au matin         
un silence plein de cris d’enfants      
qu’on ne voit pas mais qu’on sent tout près       
là comme un souffle entre deux instants
 
 
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Ou comme ce corps qui s’est défait      
et tout avec on dit c’est terrible        
on voudrait sentir la déchirure    
qu’on imagine mais c’est à peine      
si quelque chose bouge c’est rien    
on ne voit pas c’est dans la tête   
un visage un sourire effacés        
il y a trop d’objets trop de mots         
le plein du monde s’est refermé
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Parfois c’est un ciel et ses couleurs       
une ombre qui vient on n’a pas eu     
le temps de voir de trouver le calme       
les phrases qui convenaient on dit        
un peu plus tard on entre dans le       
soir sur le dos c’est un poids trop lourd       
qu’il faut bien déposer quelque part       
mais où chaque objet reste une attente        
qui réclame son dû demain oui
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Mais demain a le même visage      
un ciel peut-être un peu différent     
pas assez pourtant pour qu’on comprenne       
ce qu’on voudrait dire se retire       
ce qui vient c’est toujours autre chose      
tu ne t’y reconnais pas tu entres       
dans ce qui au fond de la voix n’a       
pas de voix tu restes là sans mots       
comme la lumière sur les mains
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Parfois tu te demandes ces bruits       
ça signifie quoi ces pas qui grincent       
ces cloches ces moteurs y a-t-il       
un sens à tout ça et pas seulement      
les bruits mais les odeurs les couleurs       
le froid des ciseaux entre les doigts       
la douceur de la peau tout ce qui       
fait ce que tu appelles le monde       
tout se tait bien sûr rien ne répond
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Ou si mais juste un souffle un peu d’air     
agité ou quelques mots venus       
sans que tu saches bien tu écoutes       
eux non plus n’on pas de sens ils sont       
comme le clignotement des signes       
sur le ciel un diagramme immobile       
où tu crois reconnaître ce que       
tu y mets chariot cygne balance       
et tout le noir qui les fait briller
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La nuit vient sans qu’on s’en aperçoive      
comme un destin aveugle guettant       
le trajet des gestes sur les vitres       
le mouvement des corps leur fatigue       
ou même ce visage resté       
dans l’ombre transparent on peut croire       
qu’il attend mais peut-être n’est-il       
qu’un reflet celui de quelque chose       
ou de quelqu’un ailleurs qui regarde
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Tu dis c’est sur l’écran une image       
prélevée à l’autre bout du monde       
tu n’es pas là où tu es tu es       
là-bas ici est un petit bruit       
un peu de nuit pour un jour sans fin        
ce que tu ne vois pas tu le vois       
mais ce que tu vois l’as-tu jamais       
vu ce que tu sens tu vis       
ta main ne rejoint plus ton visage
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Le même paysage la même       
attente mur fenêtre brouillard     
mais le même n’est jamais le même     
ni le même regard ni figés     
dans leur sens les mêmes noms gouttière     
pré clôture toits nuages pluie      
l’espace peut-être ou moins encore     
une lueur qui fuirait les choses       
et pourtant éclairerait leur centre
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Dire lueur c’est même trop dire    
quand ce qu’on veut n’est pas dire mais      
entrer plutôt dans l’épaisseur vide          
un vol d’oiseau sans ailes où tout n’est       
ni l’un ni l’autre l’entre cri et       
silence commencement et fin         
ce rien d’une image sans image       
comme la brume contient les formes       
(toit bûches poteau) qu’on ne voit pas        
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Le ciel recouvre presque la terre     
ombre sur le gris le tronc d’un chêne       
n’a d’autre sens que d’être là     
immobile sous la pluie qui tombe    
le même paysage n’est plus      
le même une sorte d’abandon     
l’habite à un temps sans rémission    
fait de jours et de feuilles seuls restent       
le vert cru d’un champ et deux sapins
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Le vide de l’instant peu à peu       
absorbe les images c’est comme       
une eau où se dilue le regard      
ses évidences ses certitudes      
l’unique mouvement est celui       
de fines gouttelettes qui tremblent       
elles restent suspendues en l’air       
sans se dissoudre on y voit les choses       
hésiter entre naître et mourir
 
 
 
Extraits de « Journal de l’air » © Editions Arfuyen- 2008
 
 
JACQUES ANCET
 
 
 
Jacques Ancet est né à Lyon en 1942. Il vit et travaille près d’Annecy. Outre un cycle de poèmes romanesques — L'Incessant (Flammarion, 1979), La Mémoire des visages (Flammarion, 1983), Le Silence des chiens (Ubacs, 1990) et La Tendresse (Mont Analogue, 1997) ––, un roman –– Le Dénouement (Opales, 2001) –– et deux proses –– Image et récit de l’arbre et des saisons (André Dimanche, 2002) et La ligne de crête (Tertium éditions, 2007) ––, il a publié une quinzaine de livres de poèmes dont, récemment, La dernière phrase, (Lettres Vives 2004), Un morceau de lumière, (Voix d’Encre, 2005), (Diptyque avec une ombre, Arfuyen, 2005), Sur le fil, (Tarabuste, 2006) et L’heure de cendre, (Opales, 2006). Essayiste –– Luis Cernuda (Seghers, 1972), Entrada en materia (sur José Angel Valente) (Cátedra, Madrid, 1985), Un Homme assis et qui regarde (Jean-Pierre Huguet, Éditeur, 1997), Bernard Noël ou l’éclaircie (Opales, 2002), Chutes (Alidades, 2005) –– il est aussi le traducteur de quelques unes parmi les plus grandes voix des lettres hispaniques comme Jean de la Croix, Ramón Gómez de la Serna, Vicente Aleixandre, Luis Cernuda, Xavier Villaurrutia, María Zambrano, José Ángel Valente, Antonio Gamoneda, Juan Gelman etc. Comme poète, il a reçu les Prix Charles Vildrac 2006 de la Société des Gens de Lettres et Heredia 2006 de l’Académie française et comme traducteur les Prix Nelly Sachs 1992 et Rhône-Alpes du Livre 1994 et la Bourse de traduction du Prix Européen Nathan Katz 2006.
 
 
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