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L'AME DE LEA. (inédit)
GENIES VERTS
Son fils
s'appelle : Youcef.
Il chasse les grenouilles
sur le canal
pour les transformer
en génies verts.
Les génie invoquent
les ancêtres
des déserts du Maroc.
Youcef invoque les génies
puis visite chaque maison
de briques rouges
avec un cheval plus rapide
que la poussière
des grains de sable.
Arrache son innocence
aux épines des roses
de Marrakech.
Vogue sur les barques bleues
d'Essaouira .
S'étourdit du parfum
des souks
embaumés d'épices
et de doux présages.
Puis, le bateau rouge
le ramène sur le canal.
Les grenouilles
coassent.
S'éloignent
les génies verts.
Son fils
s'appelle : Youcef.
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ATTENTE
Son enfant
est roi de l'univers.
Musiques,
couleurs embellies
par la lumière du passé
lui soufflent des intuitions
magiques.
Il compte les arbres
par la fenêtre ouverte,
lance des pierres
aux chats
pour les effrayer un peu.
Des pierres
à la lune,
pour faire des voeux.
Puis, court vers le fleuve
en quête du bateau rouge
dont sa mère
lui a compté mille fois
la légende.
Il attend l'arrivée
de tous les bateaux
sur le port.
Il ne sait pas
qui est son père.
Son père,
c'est l'arbre
dans le jardin.
Le vent de Mai.
La force du destin.
Il va venir
de nulle part.
Sur l'eau,
sur le bateau rouge.
Il va venir
un soir d'automne.
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DESERT DE PLUIE
C'est un désert de pluies
et de mirages
où nul n'aurait jamais dû
faire halte.
Où la fenêtre de la route
ne laisse entrevoir l'ondée
que pour mieux assécher
les yeux et le coeur.
Pourtant,
c'est au bord du puits
qu'eut lieu la rencontre.
Celle de l'homme et de la femme
du renard des sables et du loup
de l'oiseau et de la vipère.
Puits
qui donne juste assez d'eau
pour ne pas reprendre la vie.
Profondeur
insondable,
blanche comme un tombeau.
C'est là qu'eut lieu le silence.
Celui de l'oiseau et de la vipère
du renard des sables et du loup
de l'homme et de la femme.
Celui de la femme surtout.
Le silence du puits et du désert,
celui de la femme.
Le silence de l'oiseau
étouffé par la vipère.
Celui de la femme.
Le silence du renard des sables
tué par le loup.
La mort de la femme.
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CHANTS DE SABLE
Les chants de sable
rougissent l'horizon.
Peine inaudible
qui serre le coeur.
Mille étoiles filantes.
Lever du jour
qui chasse l'ennui.
Chants qui s'étirent
comme la vie,
le rire d'un enfant
les nuages dans un ciel
de feu,
l'amour immuable
de Léa pour Éliafé.
L'aube nouvelle
baptise l'amour.
Le transporte sur une colline
extatique
pour lui montrer
le domaine interdit.
Celui où il n'aura jamais accès.
L'amour pleure en silence,
se souvient des jours heureux.
Les chants inventent
de nouveaux jeux
pour le distraire.
Lui offrent
des pétales de roses
sur des mains ouvertes.
Amour
simple, immuable
comme le flamboiement
de l'horizon.
Amour
de sable et de feu,
chants enlacés
d'ultimes soupirs.
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COUPS AU COEUR
Les coups au coeur
distillent les gestes
les plus simples.
Les pas dans l'escalier
la main qui coupe le pain
l'épaule qui heurte la fenêtre.
Et c'est pour toujours
épouser la souffrance.
Mieux lire entre les mots
les soubresauts de l'amour.
Ses victoires menues
mais assurées
sur un délire
toujours possible,
qui entraîne
les oiseaux de l'esprit
dans un champ de mines,
où leur beauté
peut s'entacher subitement
du sang des victimes
de tous les combats.
La rage des combats
ternit les cieux les plus purs
quand les soubresauts de l'amour
lui serrent le souffle ;
l'enterrent dans des paniers
de fleurs colorées et vaillantes.
La rage des combats
plie l'échine
devant la force des fleurs.
Leurs couleurs arrogantes
font pâlir le sang versé.
Des parfums célestes
dispersent les fumées de guerre.
Les coups au coeur
s'estompent
sous la douceur d'un nuage,
au printemps.
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CHANTS
De son pays renaissent
des chants sibyllins.
Elle accompagne
le choeur des oiseaux
dans les squares.
Celui des enfants
aux fêtes de l'école.
Elle accompagne
sa mère
tard dans la nuit.
Quand elle s'échappe
le long du fleuve
pour lui parler
de son enfant,
de son amour perdu.
Elle chante
pour les fleurs
sur les marchés.
A voix menue,
pour ne pas effrayer
les clients.
Puis, à voix haute
dans son immeuble,
pour assurer aux voisins
qu'elle existe encore.
Elle chante en langue
Arabe
pour ne plus effleurer
la langue
du pays étranger.
ISABELLE JULLIAN
Isabelle Jullian est née en 1954. Elle a publié dans la revue « Florilège ». Elle est membre de l’association « La voix des mots » animée par Yves-Jacques Bouin.
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